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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/247

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479 PROBABILISME. ÉVÉNEMENT. JKAN DE SAINT-THOMAS

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conforme à son esprit. Avec cela, on ne peut méconnaître que Jean de Saint Thomas soil Ici pénétré du génie de min temps, et nous ici rouvons en cette dispute les traits distinctifs du probabilisme tel’indu l’élabora en quelques mies des pins grandes cbaires <le théologie de la Péninsule depuis Médina. Les art. 3 el l sont en ce sens particulièrement significatifs.

Selon not re t héologien, on peut agir avec une probabilité pratique, bien que l’opposé apparaisse plus probable et plus sur », a. 3, n. I. « même si la partie contraire apparaît plus sûre eL plus probable », n. 5,

même si l’autre partie semble plus sûre et mieux garantie ou plus probable ». N. 10. Sur le sens de ces propositions, un texte ôte toute incertitude :

Respondetur non teneri aliquem sequi quod prudentius apparel neque ex parte rei cognitse aut volitæ aeque ex parte modi cognoscendi, iil est neque ex parle melioris medii ad aliquem linciu. quia potest eligere médium sullicicns et utile, nec tenetur semper eligere utilissùnum et optimum : neque ex parte directionis seu modi cognoscendi, quia non tenetur quis esse prudeiitissinius et majori claritate vel scientia procedere dummodo suûlcienti prudentia utatur, ila ut temerarie et imprudenter non procédât. Neque hoc est signum animi parum lirmi, siquidem habet suflicientem lirmitatem qui prudenter procedit et non temerarie, licet non habeat maxiniani firmitatem et perfectionem prudentiae. Uni !., n. 12.

Amplification dialectique de l’argument de Médina. Il est vrai qu’il suffît d’être prudent et bon, sans l’être au superlatif. Mais choisir le moins probable de préférence au plus probable, n’est-ce pas ne plus être prudent du tout ? Comme chez Médina, il y a sous ce raisonnement une notion altérée du probable ; aussi, l’auteur entreprend-il sans retard une démonstration tout à fait significative en faveur de la thèse ainsi énoncée :

Non repugnare circa idem formari diversas et oppositas sententias probabiles etiam practice, quia neutre alarmât aut negat absolute veritatem sed soluni probabiliter aut fallibiliter. Ibid., n. 44.

La démonstration, n. 38-53, revient à ceci : Il n’y a pas contradiction qu’un homme dise : « Ceci m’apparaît vrai », et du même objet en même temps : « Le contraire m’apparaît vrai aussi. » Car il peut y avoir des apparences dans l’un et dans l’autre sens. La probabilité, on le voit, est clairement réduite à n’être qu’un jugement sur les apparences et non plus sur la chose. En logique et en morale classique, une opinion est exclue par sa contradictoire. La fameuse formido ne se comprend du reste que si l’esprit est engagé à l’endroit du réel. Pour qui se contente de dire : « Ceci m’apparaît vrai », aucune crainte n’est en jeu ; car il est certain que ceci lui apparaît vrai. L’état de l’esprit auquel s’arrête Jean de Saint-Thomas et sur lequel il entend régler l’action est antérieur à l’opinion véritable. Il opère une interruption indue du mouvement naturel de l’esprit, lequel tend au réel et ne juge des apparences qu’en vue de s’engager quant à la chose. Il est arbitraire de régler l’action sur un jugement qui n’appartient qu’au temps d’élaboration de l’opinion. La manière de ce théologien est moins crue que celle de Vasquez, lequel disait sans broncher : « Agissez à rencontre de votre opinion pourvu que ce soit selon l’opinion probable des autres. » Cette fois, on nous invite à suivre notre propre opinion, mais il s’agit d’une opinion relative à l’apparence et qui peut subsister dans l’esprit avec sa contradictoire, c’est-à-dire, pour parler franc, d’une opinion avortée. Mais, dans les deux cas, l’autorisation de choisir le moins probable méconnaît la nature de l’esprit et compromet la vérité de l’action morale. A son tour, Jean de Saint-Thomas excepte de la règle qu’il vient d’établir les cas où est engagé le bien d’un tiers ; il veut qu’on agisse alors selon le plus probable.

La loi douteuse en son existence ainsi que le vœu (qui est une loi privée) dans les mêmes conditions ne causent pas l’obligation. A. : s, n. 21. Sur le voeu, voir encore le commentaire de la il il. disp. XXIX,

a., ’i lin. Jean de Saint Thomas introduit ce principe fâcheux en sa topique par ailleurs intéressante de la probabilité. Il avoue en toutes lettres que la loi enellet est une chaîne que nous imposons a l’inférieur, le réduisant pour ainsi dire en servitude et obéissance ; or, dans le doute relatif a la Servitude et a quelque pénible Obligation, chacun possède sa liberté i. L’héritage suarézien est ici manifeste en l’un des plus constants adversaires de Suarez. Ajoutons que, plus strict que ce dernier, notre auteur ne dispense pas de l’obligation si le doute est relatif au sens de la loi. Il tient aussi, comme Suarez l’avait déjà fait, que le doute sur l’application au cas présent de la loi laisse à celle-ci sa force, à moins, dit-il, que ne soit évidente la nécessité de l’exception.

De Suarez (qu’il nomme d’ailleurs parmi d’autresi dérive aussi chez Jean de Saint-Thomas le principe de possession érigé en instrument de résolution des doutes. A. 1. A ce principe est même très nettement ramené le principe tutioriste (auquel son passé mérite des ménagements), en des termes, il est vrai, assez expéditifs : puisque la possession permet de trancher le doute en faveur du possédant, n’est-ce pas désormais le parti le plus sûr ? On en vient à se demander si ces théologiens d’autrefois n’avaient pas leurs heures d’ironie. Il est clair que la considération du péril objectif, âme du tutiorisme médiéval, a cessé chez un Jean de Saint-Thomas d’être un principe déterminant de la conduite. Pour justifier cet usage du principe de possession, notre théologien invoque une idée de la volonté comme possédant sa liberté et son indifférence, et de l’obligation comme l’en dépossédant. Comme si la volonté était à la loi dans le rapport du possédant au prétendant, et non du principe d’action à sa règle. Une métaphore cette fois soutient le raisonnement ; Suarez fondait l’un des siens sur un mot.

Le thomisme du célèbre commentateur fut donc perméable aux influences de son milieu et de son temps. L’intention générale d’une entière fidélité à saint Thomas n’est pas douteuse chez ce théologien. II ne s’accorde même pas la liberté d’abandonner son maître sur des points particuliers. Avec cela, il se trouve défendre les thèses les plus contraires à l’inspiration comme aux textes de saint Thomas dans le moment même où il croit commenter celui-ci : nous venons d’en relever un exemple, qui prend toute son acuité dans l’exégèse du Quodlib. viii, a. 13, entendu par Jean de Saint-Thomas au rebours du sens original (voir notre art. Éclaircissements…). Nous ne croirions pas que ces exemples abondent et nous pensons que la pénétration du commentateur a heureusement exploité maintes ressources de la doctrine thomiste. Mais il faut aussi les constater quand ils se rencontrent. Qu’on ne s’étonne pas outre mesure de les rencontrer en effet ! De saint Thomas à son commentateur du xviie siècle, il n’est pas sûr qu’il y ait une tradition d’école sans rupture ni mélange. De plus, ce théologien ne retourne pas à saint Thomas, comme nous l’entendons aujourd’hui, mais il le commente, en fonction d’un milieu doctrinal déterminé, où lui-même évolue. D’où cette large infiltration étrangère en son thomisme. Sans rien créer, Jean de Saint-Thomas a par là contribué à la diffusion du probabilisme parmi les théologiens s’autorisant du Docteur angélique, jusqu’au jour où les excès du système leur auront révélé la méprise.

Autour des grands noms que nous venons de citer gravitent certainement en ce temps-là maints auteurs moindres, collaborateurs de leurs initiatives. Voir, par exemple. A. Schmitt, op. cit., c. m-v. Il importait de