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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/253

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    1. PROBABILISME##


PROBABILISME. PROSPÉRITÉ, LES CASUISTES

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L’ouvrage fut consacré par un incroyable succès (oir dansHurter, <>p. cit., t. iii, col. 1192-1193, la liste des Compendia qu’on en lit sur une Lngtaine d’années). On imagine que, de tant de cas, certains sont extravagants. ils répondent moins à une nécessité des consciences qu’à l’on ne sait que] goût vertigineux, de la part des casuistes qu’on appellerait de race, pour la solution de ces sortes d’embarras. Un Diana a la passion des cas, comme d’autres celle du jeu. Plus ils sont difficiles, bizarres, irréels, et plus on (lirait qu’il est content, car il exercera d’autant mieux sou ingénieux esprit. Lui et ses pareils imagineront « les monstres pour avoir le plaisir de nous représenter jusqu’où va l’intrépidité de leur méthode. Devant ces abus, il est plaisant d’entendre revendiquer pour la casuistique le droit d’appliquer le raisonnement aux questions de morale, où les grandes données naturelles ou surnat urelles ne suffisent pas. Avouons qu’elle n’y a pas failli. Mais il arrive qu’on déraisonne à force de raisons. Au vrai, nous sommes loin avec ces auteurs du grand et passionnant problème de l’usage de la raison dans les choses des mœurs chrétiennes, qui est le problème de la théologie morale tout court. On n’a pas attendu l’ère des casuistes pour le résoudre ; ils ne succèdent pas à un âge fidéiste ou irrationnel. Ne mêlons pas les propos. On a affaire ici non au noble besoin humain de raisonner, mais à une démangeaison de subtiliser et de compliquer, qui est à celui-là comme une maladie est à la santé.

Les nouveaux casuistes n’ont plus chère prétention que la bénignité. Leurs devanciers furent loin d’être durs aux pécheurs, nous l’avons souligné. Mais l’indulgence est chez ceux-ci plus habile. Puisque est érigée en règle d’action l’opinion probable, grâce à quoi les doutes, qualifiés de spéculatifs, sont tranchés en toute sécurité et convertis en certitudes pratiques, rien d’aisé comme de restreindre les obligations et de soustraire les consciences au péché. En même temps que s’accuse chez ces auteurs l’un des soucis initiaux du probabilisme, qui fut de pourvoir à la sérénité de la vie morale, on les voit de moins en moins exigeants à l’égard de la probabilité. Quelle opinion désormais ne prétendra à la dignité de probable ? Cette fois, on loue de la part des casuistes un respect souverain des consciences et le scrupule de ne majorer aucune obligation. Que ne l’ont-ils concilié avec un égal respect de la loi et le scrupule de n’en pas diminuer les exigences 1 A la différence aussi de leurs prédécesseurs qui songeaient de préférence aux âmes scrupuleuses, portées à entendre rigoureusement des règles en réalité fort praticables, ceux-ci s’adressent aux consciences normales, voire quelque peu larges, à l’usage desquels ils élaborent leurs adoucissements. Il est significatif qu’arrivant au chapitre de la conscience scrupuleuse les ouvrages de ce temps ont prodigué déjà chemin faisant toutes leurs facilités.

Ainsi comprenons-nous fort bien que le mot de bénignité, autant que celui d’opinion probable, soit alors à la mode. Tamburini l’affiche dès son titre même : Explicatio Decalogi… in qua omnes fere conscientise casus… mira brevitate, claritate ac quantum licet benignitate declarantur. La bénignité est un critère du choix des opinions, et cette déclaration d’Escobar ne vaut pas moins dans les matières morales qu’ailleurs : « Chaque fois que s’offre à moi une chose qui est dite pénale chez les interprètes du droit civil ou canonique, ou bien qui relève de l’odieux et non du favorable, alors des deux sentences contraires relatives au problème je choisis celle qui est plus bénigne et plus douce, selon la règle du droit : Odiosa sunt restringenda. » Cité par K. Weiss, P. Ant. de Escobor g Mendoza als Moraltheologe in Pascals Ilclciiclilung und im Lichic dcr Wahrheit auf Grunde der Quellen, Fribourg-en-Brisgau, 1911, p. 105. Et du lien de la bénignité avec la multi plication des opinions probables, nous avons l’aveu le plus franc dans cet autre texte du même Escobar, où

il semble donner a distance la réplique aux doléances

de I lenriquez, enregistrées plus haut : Combien n’ont-ils pas tort ceux qui se plaignent qu’en matière de conduite les docteurs leur produisent tant et de si diverses décisions ! Mais ils devraient plutôt s’en réjouir, en v voyant autant de motifs nouveaux de consolation et d’espérance. Car la diversité des opinions en morale, c’est le joug du Seigneur rendu plus facile et plus doux. La Providence a voulu dans son infinie bonté qu’il y eût plusieurs moyens de se tirer d’affaire en morale et que les voies de la vertu fussent larges afin de vérifier la parole du psalmiste : Via » tuas. Domine, demons-Ira milii. » Universa theologia moralis, Lyon, 1052, proœmium. Se défendant contre les accusations que l’on sait, Escobar ajouta quelques lignes à la préface de son Liber theologite moralis en la réédition de 1659, où parait invinciblement le même esprit qui est, sans qu’il y songe, le plus grave tort de sa morale : « Que si je donne l’impression d’adhérer aux opinions quelque peu relâchées, ce n’est pas qu’alors je définisse ce que je pense, mais j’expose ce que les doctes, sans léser leur conscience, pourront appliquer en pratique lorsqu’il leur semblera expédient pour apaiser l’âme de leurs pénitents. » On se rappelle un propos semblable de Tamburini. Avec les meilleures intentions du monde, comment prendre parti pour une telle bénignité ? Hurter, op. cit., t. iv, col. 276, porte sur Escobar un jugement curieux : « Nous ne nions pas qu’il ait été souvent plus bénin que de raison, peu exact en ses citations, peu solide en ses preuves et quelque peu obscur en ses discours ; il a cependant fort bien mérité de la théologie morale. » Mais que fallait-il donc pour qu’il en déméritât ?

Entre les casuistes de cette génération, nous ne pouvons omettre de dépeindre brièvement le célèbre Caramuel, grand homme en son siècle, bientôt le centre d’une imposante littérature, où ses critiques mêmes le traitent avec les plus respectueux égards. Les traits que nous venons de signaler sont en lui représentés au vif. Bien différent d’Escobar pour le tempérament — ce dernier était bonhomme et placide, au témoignage des curieux qui allèrent le voir après les Provinciales, tout surpris du bruit fait autour de son nom et s’excusant de ses maximes sur ce que d’autres docteurs étaient plus relâchés que lui (voir dans les Œuvres de B. Pascal, coll. des Grands écrivains de la France, t. v, p. 384, n. 1 ; cf. Sainte-Beuve, Porl-Rogal, t. iii, p. 52, n. 2) — rien n’est plus remuant et impétueux que ce personnage, en qui se découvre comme un rejeton attardé et abâtardi de l’humanisme : un prodige en son genre, mais à qui manque le seul grain de bon sens qui eût donné leur prix à ses qualités (voir son article). Un jugement peu sympathique et fort vraisemblable sur Caramuel. dans Nicole, Lilleræ provinciales…, Cologne, 1665. append. ii, p. 612-613. Mais de l’un à l’autre, comme de ceux-là à leurs pareils, le fond doctrinal et l’inspiration morale sont identiques. On doit seulement au tour d’esprit propre au dernier d’en pouvoir lire des expressions plus savoureuses. Rien n’est drôle et bouffon comme ses titres et dédicaces, comme les déclarations d’amitié qu’il prodigue envers Diana (et que Diana lui rend bien), comme son style, sa verve et son entrain. Mais lien n’est attristant comme les appréciations morales prodiguées au long de ses courses et aventures par ce cistercien, cet abbé, cet évêque. Relevons-en quelques exemples.

En morale, il n’y a que des opinions, point de certitudes. Nous sommes des hommes et non des anges : qui se souvient de sa condition n’attendra pas des docteurs évidences et démonstrations, quand ils ont déjà grand’peine à discerner le plus probable du moins probable.