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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/283

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PR0BABIL18ME. NOUVELLES POLÉMIQUES

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Ce retour d’une vieille querelle devail trouver son épilogue devant les juges de l’Index. La traduction latine des Entretiens était prohibée en 17° : * par l’Inquisition ; l’auteur eu fut fort mécontent, si l’on en juge par sa lettre au P. Serry, dominicain, dont nous avons donné un extrait plus haut ; mais l’ouvrage français n’en fut pas moins réimprimé dans le Recueil de divers ouvrages en 1724. lui 17<> | étaient à leur tour condamnées les deux réponses que nous avons citées. Reusch, Index, p. 18$1-$289,

A peine délivré de ses Entretiens, Daniel se chargea d’une nouvelle affaire. Elle eut pour occasion des incidents survenus dans le diocèse de Rouen en 1696, où était mêlée la Theologia dogmatka et moralis du P. Noël Alexandre, dominicain, parue en 1694 ; ils sont racontés dans Dôllinger-Reusch, op. cit., t. i, p. 617-623 ; cf. ici l’art. Péché, t. xii, col. 268 ; l’origine de la présente controverse, dans le Recueil de divers ouvrages, t. ii, préf. Dix lettres de Daniel sont nées de là, adressées à Noél Alexandre, qui, dans l’intervalle, ne manquait pas d’y répliquer : une interdiction royale vint mettre fin à leur littérature. Les lettres de Daniel sont reproduites dans le Recueil cité, t. ii, p. 1-233 ; on trouve celles d’Alexandre dans le Recueil de plusieurs pièces pour la défense de la morale et de la grâce de Jésus-Christ contre un libelle et des lettres anonymes d’un Père jésuite, Cologne, 1698. Une partie de cette documentation intéresse la probabilité, Daniel ayant cru habile de mettre là-dessus le litige, avant d’en venir aux questions de la grâce. L’un des gros problèmes ainsi agités est celui de la participation dominicaine au probabilisme ; on ne cherchera une information impartiale ni chez l’un ni chez l’autre des deux adversaires. Daniel à son tour, après Pirot, taxe sans hésiter de jansénisme la réaction antiprobabiliste ; et quant aux condamnations d’Innocent XI, que son correspondant, bien entendu, lui avait assenées, voici avec quelle aisance il en triomphe : « Je vous demande si le pape Innocent XI, sollicité, comme il fut pendant tout son pontificat, de condamner la doctrine de la probabilité, c’est-à-dire cette proposition « qu’on peut suivre l’opinion probable quand elle est véritablement probable », et qui, s’étant fait instruire de part et d’autre, n’en voulut jamais rien faire ; si, dis-je, ce pape, en condamnant ces abus particuliers condamnés de tout temps par les plus habiles théologiens qui enseignent la probabilité, a eu dessein de condamner la doctrine de la probabilité même, toute différente des propositions qu’il condamne, et de laquelle il n’a point fait la moindre mention. » Loc. cit., p. 44. Mais Daniel ne manque pas d’en venir à son adversaire même de qui il critique la doctrine de la probabilité, défendue au traité des péchés en la Theologia doymalica et moralis. Alexandre en cet endroit avait en effet exposé les règles générales relatives au choix des opinions (tr. VII, c. iv). Son insistance (règles 13-31) est que la vérité, non la probabilité, dirige la vie morale. Il ne s’agit pas de balancer entre loi et liberté, mais d’aller au vrai. Les règles des mœurs comme celles de la foi doivent être demandées à la tradition. Dans les cas indécis, que l’on recoure aux règles canoniques ou, à leur défaut, aux autorités chargées de statuer en matière de vie chrétienne. Si le doute persiste, on choisira le plus sûr ; de même dans le cas de deux parties également probables. Le principe de possession ne tranche le doute qu’en justice. Le confesseur n’est pas tenu d’accommoder son jugement à l’opinion moins probable du pénitent ; il trahit son ministère s’il absout un pénitent fidèle à l’opinion moins probable, car il est juge et médecin (l’auteur suppose ici que l’opinion plus probable est l’opinion vraie et que le pénitent n’invoque rien, sinon la probabilité reconnue de sa propre opinion). On voit si ces thèses devaient plaire aux probabilistes. Daniel

v choisit habilement l’endroit vulnérable, qui est la

règle 13 ainsi énoncée :

Cum dus opiniones probabiles concurrunt in materia moitim quorum altéra tavd legicontra Ubertatem, altéra libertatl contra legem, nefai est et iUicitum eam amplecti ci mcundum Durai agere quae rtat pro Ubertate rejecta altéra qiue legi consona est ac proinde probabilior.

On n’agirait donc licitement dans le sens de la liberté que si l’on possédait pour elle une certitude ; de deux opinions probables, il semble que la plus probable soit par définition du côté de la loi. Pour autant, l’auteur n’était pas empêché de formuler sa règle 18 en ces termes :

Tutiorem opinionem sequi non tenemur cum opposita

sentent ia verior et probabilior est.

Les règles de la polémique voulaient que Daniel forçât l’opposition des deux énoncés et retînt de préférence le premier. Il a beau jeu pour dire cette conclusion impraticable. Alexandre répond comme il peut à ces griefs ; du moins sa réponse confirme-t-elle qu’il n’oblige pas à suivre toujours le plus sûr et ce qui est d’une plus grande perfection. Quant à Daniel lui-même, qui plaide avec tant de chaleur pour la probabilité, on le voit tout d’un coup, au cours de la vi c lettre, changer de personnage et se déclarer, en ce qui le concerne, dit-il, contre l’usage de la moins probable. Et le voilà montrant excellemment que ce système repose sur deux principes incertains, savoir qu’on agit prudemment en s’inspirant de quelque opinion probable, et que la loi est insuffisamment promulguée dont on doute si elle oblige. Il se rallie alors à ce qu’il appelle « ce sentiment mitoyen où je vois que tant de monde donne aujourd’hui i (p. 70), permettant qu’on délaisse le plus sûr quand le contraire est plus probable. Et voici comme il achève sa profession inattendue : « En un mot, ce principe : Dans le concours de deux opinions probables il faut suivre la plus sûre lorsqu’elle est en même temps la plus probable, est une règle des mœurs moralement certaine, et elle n’a point les inconvénients et les absurdités où l’on tombe en soutenant qu’on est obligé de suivre toujours le plus sûr, fût-il le moins probable ; au contraire, les règles que suivent les probabilistes ne sont point moralement certaines, comme je crois l’avoir bien prouvé. » P. 77. Dès la ve lettre, Daniel passait aux questions de la grâce. N’est-il qu’un homme disert, défendant les causes opposées pour le seul amour de l’art ? Il n’est certainement pas exempt de ce travers. Pour cette fois, le changement soudain de son attitude ainsi que les formules calculées qu’il emploie donneraient plutôt l’impression qu’il exécute une consigne reçue. On était alors sous le généralat de Gonzalez.

Parmi les lettres suivantes de N. Alexandre, deux reviennent sur la probabilité à l’occasion d’une thèse de théologie soutenue par les jésuites dans leur collège de Lyon, le 26 août 1697. La conversion de Daniel ne l’empêche pas dans des lettres adressées au dominicain Serry, en 1705, de se divertir à reproduire des passages de la 5e (sur la probabilité) et de la 9e Provinciales (sur les équivoques et restrictions mentales). où le jésuite de Pascal est remplacé par un jacobin, qui soutient le même personnage et cite des casuistes de son ordre. Daniel a laissé aussi un Traité théologigue des péchés d’ignorance, imprimé au t. i, du Recueil… p. 719-790, l’un des exemplaires de la position de la Compagnie sur cette matière apparentée à la probabilité, lui 1701. Alexandre publie à Delft ses Paralipomena théologies moralis seu variai de rébus moralibus epistolse, dont les premières pages concernent la probabilité et défendent les thèses de son grand ouvrage. On h’voit dans ce nouvel écrit pencher à l’excès vers les solutions sévères à l’occasion des cas particuliers.