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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/413

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PROPRIÉTÉ. LES ER R EU RS SOC1 LISTES

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il est Facile de constater que le marxisme ne se borne pas à emprunter aux économistes libéraux leur théo rie de la valeur.

Malgré qu’il en ait, le socialisme scientifique repose sur une Infrastructure philosophique où l’on reconnaît la conception déterministe de l’histoire propagée avec quelques variantes en Allemagne par les disciples de Hegel, en France par les positivistes, el en Angleterre par les utilitaristes radicaux. On voit qu’il ne faul accepter qu’avec beaucoup de réserve l’opinion cou rante selon laquelle l’année 18 18 marque un renverse ment inopiné et définitif de l’histoire socialiste : avant 18 18, il n’y aurait eu qu’utopie et sentiments lité. toutes les revendications socialistes reposant sur quelque idéal moral ou religieux ; 1X18 aurait VU l’ave nement d’un socialisme doctrinal, systématique, armé d’une conception de l’univers, d’un socialisme objec tif et précis comme une science exacte. L’originalité de Marx est d’avoir groupé ce qui était épars avant lui… La paternité des idées n’appartient pas moins à leurs vrais auteurs. Or, c’est à Fichte qu’appartiennent la critique de la théorie économique de la valeur el l’antithèse de la valeur et du prix ; à Lamennais, l’idée de la loi d’airain des salaires et celle du surtravail ; à Owen, l’idée que, l’homme étant le produit du milieu, il faut changer le milieu pour changer l’individu ; à Saint-Simon, l’idée que la société est de longue date partagée entre une classe laborieuse et une classe oisive dont l’antagonisme explique les crises historiques ; à Auguste Comte, l’idée que les eapitaux tendent à s’accumuler dans les mêmes mains et que la disparition de la petite entreprise est inévitable ; à Fourier et à Considérant, l’idée que de là résulte une nouvelle féodalité ; à Mil] enfin, l’idée que l’émancipation îles salariés doit être avant tout leur œuvre. » Gaston Richard, La question sociale et le mouvement philosophique au xixe siècle, Paris, 1914, p. 201.

Quelque décevantes que soient toujours ces recherches de paternité, et même si les attributions, comme nous le croyons ici, demeurent discutables, elles offrent du moins ce résultat positif de nous donner une meilleure intelligence du système de pensée socialiste en en fouillant les origines. Or, il est incontestable que ces origines se placent dans un fort courant matérialiste. Entre autres précurseurs, Blanqui exposait déjà les thèmes économiques du matérialisme marxiste dans la Critique sociale, écrite deux ans avant la publication du Capital. « En philosophie. Blanqui était matérialiste comme Marx. Il a exposé ses vues dans une œuvre étrange, L’immortalité par les astres, où la conception mécaniste de la nature est conduite logiquement à ses conséquences extrêmes. » L’individu perd toute espérance d’immortalité personnelle, mais

les lois mécaniques de la matière et du mouvement garantissent un équivalent de l’immortalité par une sorte de métempsycose ou de retour éternel. Gaston Richard, op. vit, p. 201-203.

Il n’importe guère, après tout, que Marx ait emprunté. Au point de vue historique, on ne peut nier que le socialisme scientifique ait trouvé en lui son expression. Celle-ci, on le sait, fut marquée par l’évolutionnisme de l’époque et par l’idéalisme hégélien. Mais ce qui constitue la trouvaille de Marx, ce l’ut, à notre avis, et peut-être sous l’influence de Feuerbach, de renverser les lermes de cet idéalisme pour al l ribuer au fait matériel la dialectique hégélienne de l’idée. Le matérialisme historique joue vraiment dans la doctrine marxiste le rôle de /leus ex machina. Tandis que l’idéal, selon Hegel, résorbai ! par synthèse la thèse et l’hypothèse contradictoires, c’est le lait, pour Marx, qui porte en soi, avec le germe de sa propre destruction, la Ici évolutive de son progrès. Toul fail se présente donc avec sa loi nécessaire : la loi abstraite et universelle n’existe

pas, au gré de Marx. Il esi rai que celle génération nécessaire de l’idéal par le lait historique s’impose, semble i 11, comme une loi universelle. Marx est pris au piège. Parce qu’il pose en loi la dialectique nécei du réel, chargé de son germe évolutif, il rend a la métaphysique un hommage aveugle au moment qu’il croit l’assujettir à la loi du fait matériel. Sans doute, il veut ne connaître aucune loi de l’idéal ; mais il a réintroduit la loi idéale, sa nécessité, son universalité, au cœur du réel. Les lois naturelles de l’évolution sociale formulées par Marx ne sont qu’une autre forme symbolique, adaptée a notre époque d’athéisme, de cette loi supérieure qui domine les destinées humaines et qu. générations antérieures appelaient Dieu. L’évolution économique est pour Marx un Dieu sévère, violent et cruel… Il exige des hommes qu’ils sacrifient a un but reconnu inévitable absolument tout, jusqu’au sentiment de leur propre volonté. » A. Philip. Henri de Mon ri lu irise doctrinale du socialisme, 1928, p. 109. On ne saurait mieux dire ; la loi évolutive du matérialisme historique, malgré Marx, devient pour lui en fait un axiome suprême d’explication métaphysique, ce que les théistes appellent cause première ; les libéraux, ordre naturel et nécessaire : Blanqui, lois mécaniques de la matière et du mouvement, etc. Cf. B. Jacob. Lt matérialisme historique, dans Rev. de met. el de nv)r., 19(17. p. 101-420.

Dans cette vue, la propriété capitaliste trouve son explication marxiste, explication qui, par moments, rappelle les explications a quia, purement descriptives. La propriété ne dépend d’aucun principe idéal, mais elle est inscrite nécessairement dans la phase capitaliste du processus historique. Que, du reste, on ne se rassure pas. car cette nécessité est toute provisoire. Dans le fait capitaliste, à côté de la thèse propriété, Marx aperçoit l’antithèse expropriation, qui se réalise fatalement, par le déroulement inévitable de l’exploitation capitaliste. Le capitalisme, par sa loi interne, est son propre fossoyeur > puisqu’il se concentre en quelques mains de plus en plus rares et engendre une prolétarisation de plus en plus générale. La synthèse s’ébauche, se dessine : une socialisation complète du capital, c’est-à-dire l’éviction de la propriété privée.

La rigueur systématique du marxisme ne tarda pas à se détendre grâce aux exigences de l’action sociale et politique et grâce au positivisme même des doctrines libérales qu’il avait à vaincre. Pour B. Malon, le progrès n’est plus, comme dans la doctrine de Marx, une nécessité ; le socialisme intégral, c’est-à-dire envis sous tous ses aspects, dans tous ses éléments de formation, avec toutes ses manifestations possibles, est l’aboutissement synthétique de toutes les actions progressives de l’humanité présente. Le socialisme n’est pas exclusivement économique, son objectif est aussi philosophique, politique et social : il embrasse la propriété, la famille, la religion, l’État. L’idée, le sentiment, sont des facteurs du progrès au même titre que les forces organiques. » G. de Greef, Le translormism* social, Paris. L895, p. 289.

Cet élargissement, cet assouplissement de l’idéologie marxiste tt ut ïigï i prtvttlr, car le matérialisme dialectique a l’état pur ne caractérisait pas assez nettement, aux yeux de la Ion le et pour l’action, le nouveau socialisme. Est-ce que logiquement, le marxiste n’aurait pas dû, comme l’optimiste libéral, laisser faire et laisser passer sans prétendre arrêter ou seulement modifier le processus historique ? Du reste, une reviviscence des philosophies idéalistes et criticistes révélait la faiblesse de la conception matérialiste de l’histoire. On vil donc le marxisme se vider peu à peu des thèses les plus caractéristiques de Karl Marx. Aujourd’hui, l’on serait en peine de découvrir entre toutes les formes <c socialisme les liens d’une unité philosophique réelle.