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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/425

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    1. PROPRIÉTÉ##


PROPRIÉTÉ. ESSAI DE SYNTHÈSE

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c’esl ; i dire leur affectation exclusive à la personne

qui en use.

Ce sont en ell’et deux notions aisément séparantes. En fait, nous nous préoccupons ordinairement d’utiliser les choses matérielles, et c’est parce que les biens matériels utiles se restreignent dans des limites impo sées par la quantité, que nous concevons leur utilisation à la façon d’un accaparement. Même si nulle idée de dégradation ou d’usure ne l’affecte, l’usage d’un objel matériel tel qu’une montre ou un diamant comporte ce caractère d’exclusivité. Avoir un livre a son usage, n’est-ce pas, en psychologie concrète, » e le réserver ? Mais l’usage ne se confond pas avec cette affectation exclusive ; celle-ci se présente comme une condition de certains usages et comme un signe de leur précarité. Nous sommes en effet des êtres composés de matière ; il y a donc une part de nous-mêmes que nous ne maîtrisons pas pleinement, qui nous échappe à chaque minute et dont notre vouloir ne peut user qu’en pourvoyant sans cesse à son renouvellement. Or, ce renouvellement nécessaire de notre être physique se fait aux dépens du milieu matériel. Il nous faut donc user des biens de ce monde, non pas comme feraient de purs esprits, mais en partie pour y puiser les éléments nécessaires à l’intégrité de notre corps ; c’est seulement au prix de l’assimilation, c’est parce qu’une certaine quantité d’éléments matériels se trouvent incorporés à notre substance et identifiés numériquement avec elle, de manière exclusive et incommunicable, c’est par là que nous en usons.

On voit bien qu’une telle nécessité ne révèle pas l’essence positive de l’usage, mais trahit seulement la précarité et l’imperfection de nos moyens d’user. D’ailleurs, il faut le dire, nous ne sommes pas toujours contraints de nous approprier les choses de cette manière pour en user. Il y a en effet chez nous des activités, et des plus nôtres, qui n’ont pas pour but de combler la défaillance chronique de notre être corporel. Nos meilleures façons d’user de ce monde échappent à cette faiblesse. La contemplation esthétique, l’élaboration d’une œuvre d’art, une entreprise désintéressée, le jeu, la connaissance scientifique et philosophique : voilà des façons d’user de ce monde qui n’impliquent aucune appropriation exclusive. C’est donc dans la mesure où nous sommes faibles et besogneux, que, pour user des choses, nous devons nous les appliquer et nous les affecter de façon exclusive. En principe, la nature rationnelle de l’homme lui confère d’abord et sans réserve le pouvoir et le droit d’user des choses. C’est seulement indirectement, par un détour, que, suivant les cas, la nature exige ou admet le fait de l’appropriation exclusive des choses par l’homme dans l’usage qu’il en fait, si cette exclusivité est nécessaire ou favorable à cet usage. Cette conclusion s’éclairera si nous analysons la structure complexe de l’usage.

4. La structure complexe de l’usage : utilisation parfaite et usage d’élaboration. — L’usage humain des choses révèle à l’analyse une structure complexe tenant à son caractère rationnel.

L’homme, en effet, ne se contente pas d’utiliser simplement les réalités extérieures propres à satisfaire ses besoins, de tirer parti d’utilités existantes et présentes. On sait que les primitifs eux-mêmes, adonnés à la petite chasse et à la simple cueillette, usent d’un outillage rudimentaire (arc et flèches, récipients) et se livrent à des opérations d’une technique sommaire, rationnellement conduites en vue de dégager des utilités. On discerne là en germe toute la complexité rationnelle que le progrès matériel apportera à l’usage des choses par l’homme. Dès l’origine et jusqu’à nos jours, cet usage de plus en plus complexe révèle à l’analyse u rythme constant, essentiellement binaire. I finie part, il a une phase nécessaire d’utilisation

parfaite, achevée et définitive, consistant dans l’application d’utilités naturelles ou artificielles à la satisfaction des besoins humains ; c’est la consommation au sens 1res large, accueillant maintes activités gratuites et prisées pour elles mêmes, telles que le jeu, le sport, l’étude désintéressée, la contemplation ou la recherche scientifique. D’autre part, il y a une phase extrêmement élastique d’usage préparatoire, relatif, qui vise à dégager, à rechercher, a aménager, a accroître par le travail la somme d’utilités disponibles. On use des choses lorsqu’on les applique à ses besoins ; on en use encore lorsqu’on les aménage pour les mettre à même de nous mieux servir.

Quelle que soit la phase considérée, il s’agit en tous les cas de ce que saint Thomas appelle l’usage des choses extérieures, par opposition à leur nature, dans l’art. 1 de la q. lxvi. La nature des choses ne dépend pas de la volonté de l’homme. L’usage des choses, au contraire, est au pouvoir de l’homme quia per rationem cl l’oluntatem potest uti rébus cxlcrioribus ad suam ulililatem, quasi propter se jadis. Il consiste essentiellement à exploiter les propriétés naturelles des choses, ce qui peut se faire d’une manière simple et directe en satisfaisant des besoins déterminés par l’application d’utilités correspondantes ou, d’une manière réflexe et en quelque sorte au second degré, en aménageant les diverses propriétés des corps, de l’air, de la vapeur, de l’électricité, en vue de multiplier les rapports d’utilité. Toute cette activité est donc bien une œuvre de raison, un fait humain, non seulement une nécessité pour l’homme, mais une attitude digne de sa nature. Cependant, quelques remarques s’imposent sur la portée de la division binaire que nous traçons dans l’épaisseur de Yusus rationnel des choses et sur les caractères distinctifs qu’il faut reconnaître à chaque élément de ce couple.

a) Portée de la division binaire introduite. — Notons tout d’abord qu’en donnant une structure binaire à l’usage humain des choses, on ne prétend aucunement dresser un catalogue biparti, où tous les actes d’usage viendraient se ranger sous deux chefs distincts. Il s’agit en réalité d’un schème binaire de fonctions abstraites et non d’une répartition concrète des opérations. Il s’agit moins d’une classification d’espèces fixes que d’un instrument d’analyse, propre à expliquer la suite rationnelle des activités. Telle opération concrète, consistant par exemple à moudre des grains de froment, pourra, selon le point de vue d’où on la considère, figurer dans le premier ou dans le second temps de l’usage. C’est que l’élaboration des utilités nouvelles, aussi bien que leur application à la satisfaction des besoins, comporte des séries d’opérations dont l’ensemble est enchaîné de telle sorte qu’un même acte peut servir de confluent où trouvent leur emploi les utilités dégagées au cours de multiples enchaînements préparatoires et servir de point de départ, ou de chaînon intermédiaire en vue d’applications ultérieures. C’est ainsi que la mouture du froment constitue un acte d’application à l’égard de toutes les utilités dégagées par l’industrie des engrais chimiques, par celle des machines agricoles, par l’agriculture, par les entreprises de transport, etc. Cependant, si la minoterie vise dans une certaine mesure à satisfaire des besoins immédiats en farine, elle fait fonction à son tour d’entreprise préparatoire, elle s’insère dans un nouveau processus de production en dégageant des utilités qui trouveront leur emploi dans l’industrie du pain.

Entre les activités de pure élaboration, comme l’extraction des matières premières, et les activités que l’on |ieut considérer comme de pure application, telle la consommation des aliments, il existe un entrelace ment de chaînes dont chaque anneau constitue l’application des utilités précédemment dégagées et la