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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/424

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PR0PR1ÊT] ESSAI DE SYNTHÈS1

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raison, reflet ou émanation selon certains de la raison divine conduisant l’univers, et des sujets, organes délibérants, pouvoirs de décision et agents d’exécu lion : la vie vertueuse consistait a faire régner dans ce petit monde un ordre analogue à l’ordre pacifique et Juste d’une cité, ou chacun demeure a vi place, remplit su fonction et s’acquitte par conséquent de ce qu’il doit.

SI l’on prenait ces métaphores au pied de la lettre, la morale serait toute relative a un état social déterminé ; elle risquerait et mériterait peut élu— de disparaître avec lui. 1 et est aussi bien, en face de la critique socio logique, le danger que courent certaines morales fondées mu une philosophie Insuffisamment critique, nui ntentent île voir en Dieu un législateur, dans la du bien et du mal un code de préceptes positifs et négatifs, dans l’acte bon une obéissance, dans le péché une Infraction, dans la béatitude un salaire, et dans la perdition une pénalité.

Or, en ee qui concerne le droit de la personne sur les choses, le danger est pressanl de verser dans une telle illusion. Ce rapport de personne à chose se trouve ralement formule en termes Juridiques, empruntés a une technique fortement pénétrée d’influences sociales historiquement déterminées. Par suite de cette illusion. on croit avoir analysé à fond la relation de personne à chose lorsqu’on a reconnu à la première un droit aliso lu. ^ans autre limite que le droit des personnes voisines et Us prescriptions légales et réglementaires. A la vérité, cette analyse n’est pas fausse sur le plan particulier de la technique juridique ; mais elle n’épuise pas, à peine ctllci.rc t elle la réalité morale et humaine -ce dans la relation de personne à chose. Victimes d’une illusion analogue, mais soucieux d’aboutir à des équences pratiques différentes, d’autres esprits ireent de mettre en lumière les devoirs moraux incombant a la personne dans l’usage qu’elle fait des choses. Pour soutenir leur dessein, ces esprits produisent îles moyens empruntés aux menus catégories historiques où leurs adversaires s’étaient déjà fournis, et attribuent a ies moyens, valables sur leur plan particulier, une signification qu’ils ne comportent pas sur le plan moral. Par exemple, une doctrine récente et d’ailleurs ingénieuse, pour montrer que le droit de propriété est grevé de devoirs moraux, s’efforce d’assouplir le concept technique « le ce droit : elle confère au propriétaire un droit assez analogue a ce que la langue juridique appelle droit d’usage, sorte de propriété amputée de ses attributs les plus caractéristiques ; mieux. elle considère parfois le propriétaire, non pas même comme un véritable usager, mais comme un simple administrateur ou mandataire, tenu de faire fructifier la chose pour le compte et selon les instructions du véritable propriétaire, Dieu ou l’État. Usager, administrateur, mandataire, l’homme se voit donc dépouillé de sa propriété précisément pour apprendre a s’en servir moralement. On ne lui laisse qu’un vague dominium subordonné, concept émoussé qui. sous le couvert de l’analogie, a perdu son trait distinctif de souveraine indépendance. Or, c’est ce trait qui définit la vraie propriété et qui donne une utilité technique a sa définition.

on voudrait parfois recommander cette conception en l’attribuant à saint Thomas. Il est vrai que la omiste, en matii n de propriété, s’inspire elle certaines — historiques manifeste ment tributaires île la sociologie médiévale. La relation de l’esprit divin ou humain aux choses s’y trouve formulée en termes de droit féodal, se référant a la hiérarchie verticale des conditions suzeraines et vassales. me aux chaînes superposées des propriétés libres et éminei propriétés subordonnées pour les quelles on doit hommagi ce. Ces représenta mer, de m OJL.

lions oui pu servir à exprimer en un temps la vérité de

tous |eS temps ; mais il est neeess.un’de lis ciiliqucr, de montrer leur relativité et de les dépasser, le qui se peut du reste en fidèle orthodoxie thomiste, i ar, selon la doctrine même de saint I bornas, la relation esseii tielle de personne a chose se conçoit anl cneui cmciil el sans référence a un état social donne ; c’est donc une réalité préjuridique, si l’on admet que le droit, a proprement parler, 01 donne la v ie en société, I Ile > onslste dans un lait moral : l’utilisation rationnelle des choses par les personnes aux fins de celles ci. si l’on veut.ma

l ser cet usas, on VOÎI qu’il n a pp. n lient ici bas qu’aux

créatures rationnelles. I n anthropomorphisme assez

gracieux attribuerait volontiers aux êtres inférieurs un certain domaine, une maîtrise d’usage, à l’égard des i cailles qui leur sont nécessaires. La nature, dit on. a déposé au creux du sillon l’humidité el certains sels

minéraux à l’intention de la semence ; et, lorsque, brin à brin, l’oiseau bât il son nid et le capitonne de Qocons, il entre dans le plan providentiel. Ne pouvons nous pas concevoir une sorte de droit naturel au profil de la tige vivante sur les éléments chimiques nécessaires a

sou développement, en laveur de l’oiseau sur le nid qu’il s’est construit ? Tout être appelé parle Créateur a Croître et à se perpétuer ne trouve t il pas dans cette vocation le droit d’appréhender ce qui lui est nécessaire et d’en user ?

La réponse thomiste est négative et elle se fonde sur une analyse rigoureuse de l’usus. Pour le vulgaire, user consiste a consommer ; l’on attache d’ailleurs à cette idée une intention péjorative, discernable surtout dans les expressions telles que s’user ou usé. On voit que les hommes soul sensibles a celle misère des choses qui ne les met qu’un temps à noire disposition et qui, trop tôt à notre gré, les trappe d’impuissance à nous servir. Toutefois, ce n’est là que le revers de l’usage, sa rançon ordinaire, mais non sa loi nécessaire, lui fait. les choses offrent d’autant plus d’utilité qu’elles s’usent moins et que l’on peut en user davantage sans les user. Au positif, en quoi consiste donc l’usage ? On use vraiment des choses lorsqu’on les assume par un libre exercice du vouloir et qu’on en applique les propriétés natives ou acquises à la réalisation d’une fin selon un plan rationnel. C’est pourquoi, d’une part, les créatures irrationnelles ne peuvent user de rien ; elles peuvent consommer et en un certain sens jouir, mais il n’est d’utilité qu’au jugement d’une personne capable de saisir rationnellement l’application, la liaison de telle consommation à une fin ; ainsi, l’humus s’épuise au service de la [liante, l’oiseau occupe son nid, le renard sa tanière, mais il faut un esprit pour découvrir en ces faits un usage. C’est pourquoi, d’autre part, l’usage est le propre des agents qui agissent propler finem ; une personne ne peut entrer en rapport volontaire et conscient, c’esl à-dire se comporter en personne, avec les choses qu’en usant de celles ci. Non seulement l’homme peut user de tout, mais il ne peut qu’en user, et il se manquerait s’il n’en usait pas, c’est a dire s’il ne les appliquait pas à son propre épanouissement. En user ainsi, c’est faire figure d’homme. Se nourrir, respirer, pénétrer par son esprit les lois de l’univers.

s’enrichir l’imagination, se reposer les veux au spectacle de la liai lire, modeler la matière brute, lui imprimer des formes artificielles qui l’humanisent et en dégagent toute l’utilité’: Ici est l’usage humain de ! -, OÙ se mêlent le travail des mains et celui de l’esprit, la contemplation et l’action,

Ne nous arrêtons pas à considérer ce que cel usage peut parfois nous couler : il nous est île soi profondément naturel. A en user de la sorte, nous nous révélons dans la vérité de notre nature raisonnable et libre.

3. L’usage </ l’appropriation des choses. On doit

distinguer l’usage des choses et leur appropriation,

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