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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.1.djvu/427

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    1. PROPRIÉTÉ##


PROPRIÉTÉ. ESSAI DE S YNï III.— !.

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de quelque utilité. L’expérience des crises économiques prouve d’ailleurs clairement que le processus rationnel d’élaboration n’esl pas infaillible ; il lui arrive de se déployer en opérations complexes, dont les résultats, quelque impressionnants qu’ils soient par leur masse, se trouvent dénués d’utilité, parce que précisément la liaison est rompue entre l’usage d’élaboration et l’usage d’application. La fièvre du productivisme consiste justement a faire des efforts gigantesques et onéreux, en vue de dégager îles utilités nouvelles, sans

avoir pourvu a leur applical ion aet uelle par une i epar

t it ion large et judicieuse. L’analyse rationnelle montre

clairement que les utilités ainsi dégagées, des qu’elles ne

s’aiguillent plus vers les actes d’application, c’est-à-dire vers leur utilisa’ion actuelle, ne méritent plus que d’une manière équivoque le nom d’utilités. Ces

prétendues utilités n’en sont plus, parce qu’elles ne se rattachent plus au principe de toute utilité, à la satisfaction immédiate des besoins par l’usage d’application.

5. La structure complexe de l’appropriation.

En décrivant ci-dessus la relation générale d’usus, nous avons pris soin de distinguer celui-ci de l’appropriation. Nos meilleures façons d’user des choses n’impliquent pas que nous nous les affections à titre exclusif. L’appropriation se présente en général comme la condition de certains usages et en signale la matérialité. Nous nous approprions l’aliment de manière exclusive, parce que notre corps a besoin de se l’assimiler entitativement. Sans l’infirmité besogneuse de l’usager, l’usage ne réclamerait pas cette affectation exclusive. Mais, maintenant que nous connaissons la structure binaire de l’usus, il convient d’examiner comment l’usage d’application et l’usage d’élaboration se comportent chacun au point de vue de l’appropriation. Il s’agit toujours, on ne l’oublie pas, d’une appropriation de fait, sans référence à l’ordre juridique où s’établit le droit proprement dit de propriété.

a) L’usage d’application et l’appropriation de fait. — La réponse est ici assez simple. L’appropriation s’explique et se mesure par le besoin à satisfaire. Chaque homme doit donc « s’appliquer » les utilités qui lui sont nécessaires et nous savons que, de l’un à l’autre, le dosage du nécessaire varie médiocrement, parce que les besoins matériels sont psychologiquement limités et sensiblement égaux entre tous les participants d’une même civilisation. Le jugement moral se nuance tou-_ tefois : toutes les vertus qui président à la consommation, à la modération du luxe, à la dépense libérale, aux générosités charitables ont ici à dire leur mot qui diffère d’un personnage à l’autre, d’une époque de prospérité à une période de gêne, etc. La règle est que tous les hommes ont le même titre naturel et surnaturel à se rassasier, à se vêtir, à se loger, à se protéger du froid, à être soignés dans leurs maladies, et ainsi de suite. De plus, des considérations sociales se font jour, car l’individu n’est pas la seule unité naturelle de consommation : les groupes naturels, au premier rang la famille, ont des besoins qui leur sont propres et un même titre à les voir satisfaits, par l’application d’utilités. Individus, familles, sociétés naturelles, États ont des besoins légitimes : sans nous prononcer encore sur le régime juridique de propriété, nous concluons que ces besoins doivent être satisfaits. Il faut donc qu’une masse d’utilités soit constituée et répartie entre toutes ces personnes pour leur être « appliquée ». Propriétaires ou non, il n’importe pour l’instant. On ne voit que des personnes ayant même titre à employer à leur usage l’ensemble des utilités existantes et admises à se les appliquer, par une appropriation de fait s’il le faut, si l’application des utilités aux besoins requiert cette affectation exclusive. En revanche, la limite du besoin, en bornant l’usage d’application, borne aussi l’appropriation de fait. Au delà du besoin, il n’y a plus d’uti lité, plus de véritable usage, par conséquent aucune raison de s’attacher quoi que ce soit a ce litre.

b) L’usage d’élaboration et V appropriation de lait. La situation est ici plus complexe. On sait que l’usage

d’élaboration ne s’exerce pas pour Lui-même, mais qu’on s’y livre pour constituer une masse d’utilités dont on disposera ultérieurement. L’analyse doit se faire plus subtile, si l’on veut apercevoir les exigences précises de l’usage d’élaboration en matière d’appropriation.

Il apparaît tout d’abord naturel que l’homme, conscient de ses besoins sans cesse renaissants, s’eflorce d’y faire face par des actes d’épargne prévoyante. Toutes les opérations qui ont [jour effet de mettre en réserve, de tenir en disponibilité des biens utilisables appartiennent rationnellement à l’usage d’élaboration. C’est en effet produire véritablement de l’utilité que de conserver des réalités actuellement inutiles jusqu’à l’heure où elles pourront satisfaire un besoin.

Mais cette mise en réserve, s’il s’agit de réalités matérielles, n’exige-t-elle pas leur appropriation de fait ? Il le semble bien, mais il faut convenir que cette exigence ne revêt pas en tous les cas une rigueur absolue. Il suffit de concevoir l’appropriation de fait comme une détermination de compétence : une personne déterminée détient une chose en sa possession pendant le temps et dans la mesure exigés par la conservation utile de cette chose. Il est à prévoir que le temps et que l’exclusivité de cette détention varieront suivant les catégories d’objets en cause. Tenir en réserve la nourriture du lendemain ou s’assurer l’usage éventuel d’une source, d’une forêt, voilà deux usages d’élaboration qui imposent à l’appropriation des conditions très différentes de durée et d’exclusivité. Tout ce que l’usage d’élaboration réclame, c’est une possession qui assure à l’usage d’élaboration sa conclusion normale ou, en d’autres termes, qui permette au détenteur d’exercer rationnellement, lorsque l’heure en sera venue, l’usage d’application.

D’autre part, l’usage d’élaboration comporte, outre les simples opérations d’épargne, les actes beaucoup plus nombreux et importants qui constituent la production proprement dite. L’acte de production n’est pas une création instantanée, mais un mouvement d’organisation rationnelle, modifiant les éléments utiles préexistants et les conformant de telle sorte qu’ils offrent ensuite aux besoins humains de nouveaux rapports d’utilité. Si l’usage d’élaboration ainsi décrit appelle une appropriation de fait, c’est-à-dire la possession exclusive de telle utilité par telle personne, c’est don. : dans la mesure où le processus de production requiert cette appropriation. En théorie, on imagine parfaitement que la raison pratique puisse marquer les choses de son empreinte et les modifier utilement sans se les attacher de manière exclusive ; mais, en fait, comme notre raison ouvrière s’attaque au domaine de la matière et use d’organes et d’outils matériels, le phénomène d’individualisation que nous avons déjà noté à propos de l’usage d’application se retrouve dans l’usage d’élaboration. Les productions de l’esprit, qui ne sont pas les moins fécondes en utilités, échappent de soi à cette loi d’appropriation. Mais, dès que la production intéresse les réalités matérielles, met en œuvre des moyens matériels, on voit poindre cette exigence : pour que telle réalité extérieure reçoive la forme que mon industrie lui destine, il faut que je la distingue et la sépare du milieu, (pu— je la prenne entre mes mains, sous mon pouvoir physique ; que, pendant quelque temps, je la détienne à un titre particulier et, sous ce rapport, exclusif ; par nécessité, si je veux l’informer de mon idée, je ne puis plus la considérer purement comme une chose, mais il faut que, d’une certaine manière et pour un certain temps, j’en fasse ma chose.