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PROTEST MTISM

LE LUTHÉRANISME, ORGANISATION

titude, que les fragments historiques de l’Évangile sont entourés d’une gangue mi-partie légendaire, mi-partie dogmatique ; qu’il est néanmoins Impossible de reconnaître et de distinguer ces trois éléments ; mais qu’il est Indispensable de renoncer à leur signification, afin de restituer la figure du Christ historique, et que la seule et légitime voie est de reconstituer SOI1 histoire d’après les Interprétations que la psychologie et la psychanalyse permettront, sans d’ailleurs conférer à aucune d’elles la moindre certitude. Ce que M. Berguer assure avec tant de confiance, un autre professeur de théologie à Genève, M. G. Fulliquet, l’avait déjà pro posé en partie en nous révélant que Jésus avait pris connaissance de la notion du Fils de l’homme, dans les ouvrages de la Perse ! Les problèmes d’outre-tombe, 1918.

D’une façon générale, l’influence de Harnack, auteur de L’essence du christianisme, se fail sentir en tous ces milieux ; Jésus leur apparaît comme le prophète d’une religion qu’il aurait voulue sans prêtres et dont la tradition ecclésiastique a transformé le sens primitif. L’influence de Loisy est encore assez active, et rien n’est plus commun que d’entendre reprocher au Nouveau Testament et à l’Église originelle d’avoir, par une longue erreur, annoncé la proximité de la fin du monde, ce qui obligea peu à peu les chrétiens à rénover leur foi autour de principes complètement nouveaux, mais déterminés par la persistance d’une Église que l’on avait crue assez tôt destinée à disparaître dans la gloire du royaume des cieux.

On a pu remarquer que la jeunesse studieuse ressent le contre-coup de ces batailles d’idées où se perd la foi traditionnelle. Elle va d’une solution à une autre solution contraire, et « cette alternance d’affirmation et de recherche traduit fort bien, dit-on, ce qu’est l’âme religieuse en notre temps ». M. Ch. Clerc, Journal de Genève, 29 sept. 1923.

Du point de vue dogmatique, la Réforme suisse semble donc aujourd’hui livrée aux plus actives forces du rationalisme allemand. Son attitude en face du culte et de la liturgie ne sera pas moins confuse. On y conserve généralement la haine aveugle de Zwingli contre toutes les cérémonies du culte catholique : guerre aux sacramentaux, guerre aux manifestations liturgiques de la piété catholique : prières vocales, chants, processions, prostrations, objets sacrés du culte. On n’utilise pour la cène que des coupes et des plats de bois, on s’y montre extrêmement défiant à l’égard des innovations rituelles, que la liturgie anglicane, par exemple, adopte de plus en plus nombreuses. Des pasteurs, comme M. M. Neeser, y dénoncent en termes d’un étrange archaïsme « des traces de cléricalisme » et prévoient avec une terreur comique que ces innovations innocentes ne tarderont pas à entraîner après elles l’épiscopat et la confession auriculaire, et le mysticisme sacramentel qui exigera, sur des autels rétablis, autre chose qu’ « une indéfinissable hostie ». Bref, le mouvement liturgique est accusé de servir de véhicule à la foi romaine, et c’est à quoi les pasteurs se déclarent hostiles. Il est en effet bien à craindre que l’hostilité butée de ces théologiens, à qui « l’indéfinissable hostie » ne dit rien que superstition et idolâtrie, n’étouffe, pour de longues années, les timides essais de restauration liturgique que certains avaient tentés au temple de Lausanne. Le mouvement de la Haute Église anglicane et allemande n’existe encore pour ainsi dire pas dans l’Église helvétique.

2. Organisation.

Reste à montrer ce qu’est devenue l’organisation de l’Église helvétique telle que Zwingli l’avait décrétée.

Pour Zwingli, la liberté « évangélique » doit se concilier avec la notion d’Église d’État. Celle-ci domine, et l’on assure que celle-là ne souffre pas de cette mainmise. Le nationalisme dirige la piété, ou plutôt se sou met la vie religieuse. Zwingli a créé une Église d’État, tandis qu’à Genève Calvin instituait un État évangélique. L’idée de Zwingli a été battue en brèche, vers 1845, par le pasteur Vinet, qui protesta, au nom de la liberté, contre la tyrannie de l’État. A la suite de Vinet, les deux tiers des pasteurs du canton de Vaud se séparèrent de l’Église institutionnelle pour fonder uni-Église libre. D’ailleurs, ces Églises libres, autonomes, et qui ne comptent pour assurer leur développement que sur elles-mêmes et la générosité de leurs adeptes, n’ont pas cessé de décliner, au moins autant du point de vue matériel que du point de vue spirituel. Aujourd’hui même, la question de l’organisation de l’Église helvétique préoccupe les pasteurs, et quelques-uns, que met dans l’embarras l’antinomie fatale entre la liberté évangélique et le concept d’Église organisée, n’hésitent pas à conseiller la suppression radicale des Églises et l’instauration d’une communauté religieuse sans pasteurs ni Bible. « Cet effondrement de l’Église nous paraît nécessaire, inévitable, une libération. Toutes les Églises sont des organisations passagères, trop petites et trop étroites pour retenir l’esprit de celui qui apporta la bonne nouvelle au monde. Il faut que le vase soit brisé pour que l’odeur du précieux parfum remplisse la maison. » Hans Faber, Le christianisme de l’avenir, 1920, p. 188. D’autres, moins radicaux, souhaitent simplement voir se multiplier des i Églises beaucoup plus restreintes et plus différenciées qu’elles ne le sont actuellement ». Frommel, Études religieuses et sociales, 1895. En somme, une pullulation de sectes, vaguement unies par une vague foi commune. Mais on n’avait pas prévu la fortune de sectes assez étrangères au protestantisme helvétique qu’elles mettent aujourd’hui en véritable péril. Telle Église se donne à la secte des frères dissidents ou dcrbgstes larges, telle autre à la Christian science, telle autre aux adventistes du septième jour, telle autre, à V Assemblée du corps de Christ. Cette course à l’individualisme pur aboutit à ce que l’on a appelé les Églises multitudinisles. Ce régime, d’une liberté sans frein pouvait, à la rigueur, ne pas trop effrayer, aussi longtemps que toutes ces formes religieuses restaient sous le contrôle et l’influence et l’autorité bienfaisante de l’État. Mais, depuis le. 30 juin 1907, la situation s’est trouvée subitement transformée.

A Genève, la séparation des Églises et de l’État fut votée. Il fallut, songer à réorganiser une nouvelle Église nationale protestante genevoise. La nécessité s’imposa de grouper les fidèles et de limiter leur liberté d’action et d’examen. On ne vit pas d’autre moyen pour sauver de la ruine l’Église en péril. On élabora donc une constitution (7 juill. 1908), à laquelle furent censés adhérer tous les protestants » qui se considéraient comme faisant partie de l’Église ». D’ailleurs, aucune obligation ni juridique ni dogmatique. Il suffisait de voir en Jésus, de quelque manière qu’on le comprenne, le grand inspirateur des âmes. La constitution l’appelait cependant le Sauveur des hommes. Elle se référait à la Bible « librement étudiée à la lumière de la conscience chrétienne et de la science ». Elle acceptait l’Évangile « comme une source de vie éternelle et de progrès individuel et social ». C’est à ce compromis entre la libre pensée et la foi que s’arrêtèrent les pasteurs, trop avisés sur la situation véritable de leur confession pour risquer le grand refus, s’ils avaient nettement posé le problème de la foi chrétienne aux regards de leur Église en désarroi ! M. Neeser, La séparation à Genève, 1919.

Déjà, les nécessités de la vie ont apporté des modifications profondes au régime de la séparation. En fait, les destinées des Églises dépendent encore de l’attitude des pouvoirs civils à leur égard. On y distingue toujours les Églises officielles et les Églises libres. Comme