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RATIONALISME. L’ITALIE DU XV le SIÈCLE


ne sera-t-il pas logiquement amené à la religion naturelle ou à l’athéisme ? Il faudra du temps sans aucun doute pour que penseurs et savants arrivent à un tel état d’esprit, mais dès le xvi° siècle il se fait déjà saisir.

Léonard de Vinci. — Au xme siècle, Roger Bacon (1214-1294), cf. t. ii, col. 8-31, tout en acceptant les croyances astrologiques de son temps, avait déjà indiqué la valeur et quelques traits de la méthode scientifique. Après lui, le travail avait continué, entravé ou caché par le mouvement philosophique ou théologique. Mais à la fin dû xv c siècle, Léonard de Vinci (1452-1519) olTre déjà tous les caractères du savant moderne ; il est au-delà de la scolastique : la science de la nature n’est plus ramenée à la logique, elle est pour lui la science des phénomènes et de leurs causes données par l’expérience ; au-delà de l’humanisme : s’il connaît Aristote, Euclide, Vitruve, Archimède surtout, qui lui apprend à ne poser que des problèmes limités afin de les pouvoir vérifier, il contrôle toujours l’autorité par le fait. Il semble cependant — mais n’est-ce pas simplement la théorie de la double vérité? — mettre à part l'Écriture sainte : « Je laisse de côté les Écritures sacrées, parce qu’elles sont la suprême vérité. » Cité par Séailles, Léonard dcVinci…, Paris, 1892, p. 195. Il aboutira à cette conception générale des choses : le monde est un ensemble de phénomènes unis par des rapports nécessaires que les mathématiques peuvent traduire en nombres, mais plutôt un vivant qu’une machine. Une âme anime le monde, âme artiste qui fait de lui une œuvre harmonieuse, raison souveraine dont la « quintessence » est l’effort vers un bien pressenti, la cause finale. L’homme est un microcosme surtout par son âme ; il aide à comprendre la vie universelle. Sa loi morale est la nature mais réglée ; sa vraie fin, la science qui lui donne la mesure des choses. Le sage est donc celui qui sait. Évidemment, il n’y a place dans ce système pour aucune forme du surnaturel. Vasari, Délia vila de piu excellenti piliori…, Venise, 1550, accuse même le Vinci d’impiété : il a contre les moines et les prêtres, dit-il, contre les pratiques religieuses, contre les saints et la sainte Vierge, des paroles qui annoncent Luther et tout le XVIe siècle ; mais de plus, sa façon devoir l’univers lui permet même de ss passer d’un Dieu personnel. L’un des derniers historiens du Vinci, Franeesco Crestano, Leonardo da Vinci, Rome, s. d. (1920), a rattaché ses conceptions philosophiques à la philosophie du Portique. Cf. Charhonnel, loc. cit., p. 438-453. Les contemporains du Vinci ne connurent pas ses écrits mais sa pensée ne fut pas sans influence sur eux. Plus tangible est l’influence immédiate de Copernic, dont le De orbium cœleslium revolulione paraît à Nuremberg, 1543. Ruinant la foi dans la valeur absolue de la perception sensible, qui faisait supposer la terre et L’homme centres du monde, affirmant le principe de la simplicité de la nature — la nature atteint son but par les moyens les plus simples — il aboutissait à l’héliocentrisme auquel semblait se refuser la Bible el bouleversait ainsi de fond en comble les opinions reçues sur les rapports de la terre et du ciel.

e) Enfin le stoïcisme a passé au premier plan de l’humanisme. — Si, de Juste Lipse (1547-1606), cf. t. ix, col. 778-783, à Guillaume du Vair (1556-1621), traducteur du Manuel d'Épictèle, 1585?, auteur de La Philosophie morale des stoïciens, 1586?, du Traité de la Sainte l’hilosopliie, 1603, des penseurs tentent de concilier stoïcisme et christianisme, d’autres s'éprennent du stoïcisme : de sa morale, ou parce que, détachés du christianisme divisé, il leur plaît de rencontrer une morale élevée et qui exalte la nature humaine, ou parce que cette morale est une protestation contre la corruption du siècle et un refuge dans le malheur des

temps — de sa métaphysique ensuite, avec son concept du destin, son Dieu immanent au monde. C’est une poussée vers la laïcisation de la morale el vers le panthéisme.

En Italie, les trois principaux représentants du mouvement ainsi créé sont Telesio, Bruno, Campanella. Hostiles à l’aristotélisme, s’inspirant du néoplatonisme et du stoïcisme, n’ayant point encore l’esprit scientifique, mais restés dans la tradition padouane, tous trois son l avec des nuances diverses immanentistes ; ils ont une conception animiste des choses ; enfin, s’ils tiennent compte encore des dogmes, c’esl pour les interpréter dans le sens de leur philosophie.

a^Bernardino Telesio de Cosenza (1508-1588), principalement dans son De rerum natura jttxla propria principia, Rome, 1555, Genève, 1558, luttera contre l’aristotélisme pour l'étude indépendante de la nature et pour l’expérience. Non ratione sed sensu, il voit le monde comme un animal gigantesque, OÙ chaque être, organisé suivant les nécessités de sa fin particulière et doué de sensibilité et de conscience, s’harmonise suivant des lois nécessaires avec les êtres voisins en vue de la fin commune. L’homme, organisé lui aussi suivant sa fin, est âme et corps. Il a deux âmes : une âme de matière subtile dans les cavités cérébrales, par où il reçoit l’impression des choses extérieures, et une aulre immortelle — concession sans doute à l’orthodoxie — par où l’homme s'élève moralement. L'âme réagit dans le sens de la conservation : de là viennent la science et la morale. Comme cette conservation suppose en effet l’entente avec autrui, à côté de la sapientia qui nous donne la mesure des choses par rapport à nous, il y a Vliumanitas qui résume les vertus sociales ; la sublimitas les comprend l’une et l’autre sous leur forme parfaite. Ces vertus donnent à l’homme une satisfaction qui constitue la sanction morale. Spinoza renouvellera ces vues morales. Le De rerum natura, t. IX, De somno. Quodanimal universum ah unica anima substaniia gubernetur, a été mis à l’Index par le concile de Trente : App. Donec expurgentur. Cf. Charbonnel, loc. cit.. ]>. 453-458.

b) GiordanoBruno (1548-1600), cf.t. ii, col. 1148-1160, ce dominicain suspect dès son noviciat, cherchant dans la Réforme dès 1576 L’absolue liberté d’agir et de penser, rompant avec elle parce qu’elle trompait cet espoir, revenu ensuite non à la doctrine catholique mais en pays catholique, où il liait comme l’on sait, sans mériter l'éloge enthousiaste qu’ont fait de lui Jacobi, Schelling et Hegel, est néanmoins « l’homme en qui le génie de la Renaissance se produit avec le plus d'éclat ». Saisset, Giordano Bruno, dans Revue des Deux-Mondes, 1847, t. ii, p. 1085. On ne connaît pas de façon certaine les huit raisons par quoi le Saint-Office motiva sa condamnation. Mais de ses écrits où se mêlent Platon, Plotin, Scot Érigène, saint Thomas et surtout Raymond Lulle, Nicolas de Casa et Copernic et pour quelques détails, Aristote, où les plus récentes données de l’astronomie et de la cosmographie et des théories très anciennes s’associent dans une synthèse parfois confuse, flottante, et où T0CCO, éditeur de ses Œuvres latines, édition nationale, 8 tomes en 3 volumes, Naples et Florence, 1879-1891, a distingué trois phases, ceci ressort : 1. Bruno, s’inspirant de Telesio, condamne l’aveugle soumission à Aristote et même à toute la tradition. Cf. Cabala del Cavallo, dans Œuvres latines, t. ii, p. 143 : « Si l'âge est la marque et la mesure du vrai, dit-il, puisque le monde a aujourd’hui vingt siècles de plus », les modernes sont supérieurs aux anciens. Cité par Saisset, loc. cit., p. 1090. « Le juge suprême du vrai », ce n’est pas l’autorité, « c’est l'évidence… si les sens et la raison sont muets, sachons douter et attendre ». Mais cette manière de voir toute moderne n’est pour rien dans sa condam-