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RATIONALISME. L’ITALIE DU XVI* SIÈCLE

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nation. Cf. Gilson, Descartes en Hollande, dans Revue de métaphysique et de morale, juillet 1921, p. 547. Il ne s’en tient pas cependant aux données de l’expérience ; il est entraîné bien au-delà par la spéculation philosophique et par les sciences occultes auxquelles il croit et qui concordent avec son animisme universel. 2. Il distingue dans l’univers la matière qui est la base éternelle de l'être, l'âme qui ordonne tout sans jamais se morceler, l’intelligence qui est la cause formelle des êtres, puisqu’elle les produit suivant un plan préconçu, leur cause efficiente, et leur cause finale, puisqu’elle s’identifie au principe platonicien de perfection. 3. Mais ce ne sont pas là trois substances distinctes ; elles sont trois aspects de l’Unité infinie ou Dieu. En Dieu, qui peut se définir l’absolue coïncidence », De minimo, 1581, p. 132, le monde des choses et le monde de la pensée trouvent leur unité. Immanent à l’univers, il le produit en vertu d’une nécessité interne. La nature « être vivant, saint, sacré, vénérable », De immenso, I. V, c’est Dieu incarné, « nature de la nature ». Spaccio dans les Opère publiées par Wagner, Leipzig, 2 vol., 1830, t. ii, p. 220. Il est natura naturans, la nature saisie dans sa force génératrice ; l’univers est natura naturala. 4. Conséquences : a) Dieu ne se définit pas : ce serait l’enfermer dans des limites : on ne le représente pas : tous les symboles sont imparfaits ; on ne le démontre pas : l'âme ne le saisit que dans l’universelle harmonie, b) On a vu que sans cesser d'être un, il est triple : matière, âme, intelligence ou encore unité, âme, intelligence : voilà la Trinité. Cf. É. Namer, Les aspects de Dieu dans la philosophie de Giordano Bruno, Paris, 1926 ; c) l’univers est infini dans l’espace et dans le temps. Le monde solaire n’est qu’un monde parmi les mondes infinis. Bruno conduisait le système de Copernic à des conséquences devant lesquelles Copernic s'était arrêté, d) Jésus-Christ n’est donc pas le Verbe incarné, mais un fondateur de religion en qui il y a comme une présence efficace de Dieu. 5. Le sage n’a pas à espérer le ciel ou à craindre l’enfer : la vraie religion est une gnose, la connaissance que « Dieu est voisin de l’homme, avec lui et plus intérieur à lui que lui-même ». Cité par Blanchet, Campanella, Paris, 1920, p. 452. Et le but dernier de la vie morale est la fusion de l'âme avec l'Être divin. Cf. Eroïci furori, dans Opère, t. n. Le christianisme a tort de diminuer la nature humaine par la théorie du péché originel et de lui imposer un rigoureux ascétisme. L'échelle des valeurs qu’a établie la sagesse antique est bien supérieure. 6. Que le catholicisme cesse de s’opposer à la philosophie et se contente de remplir auprès des masses sa mission morale et sociale : une vérité dite de foi est l’enveloppe d’une idée morale. Qu’il garde les formules traditionnelles qui assurent l’efficacité de ces idées sur le peuple, mais qu’il laisse les philosophes les interpréter à leur manière. Cf. Delta causa dans Opère, t. i, p. 275 ; Cena de la Ceneri, ibid., p. 175 ; Spaccio, ibid., t. ii, p. 172. Sur Bruno, voir Bartholmess, Giordano Bruno, 2 vol., Paris, 1847 ; Charbonnel, loc. cit., p. 459-565, et L'éthique de Giordano Bruno et le second Dialogue du Spaccio, Paris, 1919 ; Xénia Athanassiévitch, La doctrine métaphysique et géométrique de Bruno exposée dans son ouvrage « De triptici minimo », Belgrade ; 1923, É. Namer, Giordano Bruno, De la causa, principio et uno, traduction française, Préface, Paris, 1926.

c) Campanella (1568-1639), bien que du xvii » siècle, reste de la Renaissance italienne par sa pensée. « Sa doctrine, dit son plus récent historien, L. Blanchet, est bien le legs de la philosophie du xvi p siècle, à celle du xvii 6. » La penser italienne au x VIe siècle, dans Revue de métaphysique et de morale, 1920, p. 230. Ce dominicain, que le Saint-Office condamnera à la prison perpétuelle pour avoir tenté en Calabre une révolte

politico-religieuse, suivit de bonne heure le naturalisme et le panpsychisme de Telesio. Dans son De sensu rerum et magia libri IV, pars mirabilis occultée philosophiez, ubi demonslratur mundum esse Dei vivam statuant, beneque cognoscentem, omnesque illius partes partiumque particulas sensu donatas esse… quantus su/peit ipsarum conservalioni ac lolius in quo consentant, Francfort, 1620, in-4°, on retrouve, accentuées, les théories de Telesio sur Dieu immanent au monde et sur l’univers pénétré d’intelligence et de sensibilité. On y retrouve aussi la théorie qui se rattache à cette conception de la magie, puissance naturelle. Mais c’est une question débattue de savoir si Campanella doit être rangé parmi les libertins. B. Charbonnel, loc. cit., p. 574-614, et C. Dejob, Est-il vrai que Campanella fut simplement déiste ? dans Bulletin italien, t.xii, 1911, p. 124-140, 232-245, 277-286, soutiennent qu’il fut un catholique, mais avec quelques inconséquences qui expliqueraient ses condamnations par le Saint-Office. L. Blanchet affirme au contraire que, « sous le masque de formules orthodoxes », il a une doctrine « déiste, panthéiste et toujours naturaliste ». Loc. cit., p. 242. La révolte de la Calabre, dont Campanella fut l’inspirateur sous le nom de Messie, eût été alors le premier pas vers l’avènement d’une république universelle, démocratique et communiste, dont tous les peuples eussent été unis par une religion sans dogmes ou à peu près. Cf. la Cité du soleil, qu’il écrit en 1602, publiée en 1623 à Francfort, à la suite de ses Realis philosophise epilogisliræ, et où il s’inspire del’Ulopia de Thomas Morus. Et Campanella demeura fidèle à son esprit rationaliste. Dans son Atheismus triumphalus, Borne, 1631, in-fol., il soutient si faiblement les dogmes attaqués par l’athéisme, qu’on l’a soupçonné d’hostilité voulue envers ces dogmes. En tous cas, il entasse au c. ii les objections faites au christianisme et à toute religion en général ; l’effet était déplorable ; ses supérieurs l’obligèrent à mettre la réponse en face de l’objection. Enfin, il est moderniste avant l’heure. Considérant les découvertes faites par Copernic du système solaire, par Galilée de nouvelles étoiles, par Colomb d’un nouveau monde, De gentilismo novo relinendo, Paris, 1636, in-4° : Utrum liceat novam post Genliles conderc philosophiam ?, il tire deux conclusions : 1. la philosophie et la théologie ont des domaines distincts ; 2. la théologie ne doit plus s’appuyer sur aucune philosophie, et moins que sur toute autre sur celle d’Aristote qui lui a valu tant de déboires. Elle doit se présenter non comme fondée en raison mais comme fondée sur le Christ, « première Baison, première Sagesse, première et éternelle Philosophie ».

Somme toute : « distinguer de la foi le domaine de la raison », revendiquer pour la raison l’indépendance, à tout le moins soumettre à la critique les données de la foi ef aboutir à nier la divinité de Jésus-Christ, « à montrer par des considérations historiques ou logiques que la religion chrétienne, loin de jouir d’un privilège surnaturel, n’est ni plus ni moins que les autres…, découronner la religion de son prestige surnaturel pour la ramener à n'être qu’une affaire politique » et pour la réduire à une fonction sociale auprès du peuple, « nier l’immortalité personnelle de l'âme, dont la durée ne saurait dépasser celle de chaque organisme, ou y substituer un retour anonyme au foyer de l'âme universelle, sinon une métempsycose indéfinie, de manière à faire apparaître comme chimériques… les récompenses du ciel et les châtiments de l’enfer… supprimer la providence pari iculière, si bien que la prière devient inefficace et le miracle illusoire, métamorphoser le Dieu du christianisme en une force immanente mêlée au corps de l’Universel, amorcer ainsi le panthéisme » ; affirmer que la nature vit par elle-même soumise à l’action interne de l'âme des choses et des