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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/243

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1899
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REALISME. LA PHILOSOPHIE DE L’INTUITION


tuelle, elle n’est pas du tout opposée à la notion de substance, bien au contraire. Bergson n’opposerait plus la statique profonde de la substance (statique prétendue fausse par certains, mais parfaitement véridique} à la dynamique de l’action. Il sait, avec les scolastiques, que la substance vaut par l’acte plus encore que par la puissance et que ce qu’on dit en termes d’actions on doit le dire aussi en termes de formalités. Plotin lui permet d’intégrer le temps, comme durée, dans l'être en tant que substance. Les thomistes eux-mêmes y prêtent la main, car les théologiens ont mis en évidence la notion de subsistance. Il faut penser ici à ce qui a déjà été dit plus haut de Capréolus. Mais on peut plus encore penser à Ambroise Gatharin qui, pour avoir accédé à des points de vue pré-bergsoniens, peut paraître avoir dépassé les deux plus grands des thomistes : Gajétan et Banez, en ce qui concerne la double étape du créé et de l’incréé, les rapports et libertés réciproques qu’ils entretiennent : prédestination, providence.

Du bergsonisme phénoméniste au thomisme théologique.

Puisque H. Bergson admet qu’il n’est pas

un anti-intellectualiste, mais bien plutôt un intellectualiste et un réaliste à la manière de saint Thomas d’Aquin, puisque la durée bergsonienne retourne à l'être thomiste comme l’intuition retourne à l’intelligence, puisque ce que Bergson appelle phénomène ou image, c’est, nous le verrons encore de plus près, ce que les thomistes appellent sensations plus ou moins organisées ou accidents substantiels, faut-il faire équivaloir purement et simplement les deux réalismes, le thomiste et le bcrgsonicn ? Non pas. Le bergsonien apparaît surtout, avec son allure chercheuse et ses expressions modernes, comme une voie d’accès au thomisme traditionnel. Le réalisme est décrit par le bergsonisme comme une hypothèse séduisante, il lui faut encore des descriptions nouvelles, afin de persuader que les liens et indépendances des choses sont tels qu’ils nous apparaissent d’abord, puis davantage. C’est là que, pour rejoindre le thomisme, le bergsonisme doit se compléter par un nouvel effort.

Mais sur quel point surtout faut-il compléter le réalisme bergsonien pour le justifier davantage et l’incurver vers un thomisme, même théologique ? Afin de répondre à cette question, il faut dégager en quoi consiste la difficulté essentielle du réalisme véritable. Maintenant que le bergsonisme est arrivé nettement au réalisme, M. Bergson et ses disciples vont rencontrer la difficulté suivante : L’idéalisme est une philosophie facile ; pour constituer l’univers il y suffit de supposer un seul foyer actif : l’esprit humain : le réalisme est une philosophie difficile, qui tient compte de l’existence d’une double activité dans la connaissance : la causalité de l’objet connu et la causalité de l’esprit connaissant. Comment l’objet qui est au dehors arrive-t-il au dedans de l’esprit, si l’esprit ne se confond point avec le reste de l’univers qu’il reproduit dans son microcosme ?

Le bergsonisme n’est pas un réalisme mutilé, mais un réalisme exubérant. Toutes les impressions des sens lui paraissent conformes aux réalités extérieures : elles existent donc comme extérieures absolument identiques à ce que nous percevons (il y a même au dehors ce que nous ne percevons pas, ce que peutêtre personne ne perçoit et ne percevra jamais en ce monde). D’autre part, le bergsonisme commence à admettre la valeur des idées générales.

La difficulté est donc pour lui, double : 1. il lui faut décrire le processus du passage de l’image accident de la substance extérieure, à l’image élément de notre connaissance intérieure de la substance et aussi le processus de l'élaboration des idées générales à partir de la connaissance sensible, ce procédé de l’abstraction qu’il a

eu le tort jusqu'à présent de trop laisser de côté ; 2. il faudra justifier le mystère merveilleux qu’implique l’extraordinaire réussite de ces opérations compliquées, cette harmonie absolue, ce dualisme radical et radicalement réaliste, cette double réalisation du monde, dans notre conscience, dans l’univers.

Bref, pour être un réalisme solide, pour rejoindre le réalisme thomiste, il faut au bergsonisme une théorie complète de la connaissance par abstraction. Il faut qu’il s’entende parfaitement là-dessus avec le thomisme, puisqu’une philosophie de l’abstraction est nér.essaire pour compléter une philosophie du concret.

1. Théorie réaliste bergsonienne et thomiste de l’abstraction.

C’est à saint Thomas lui-même qu’il faut demander la description puis l’explication de la manière dont l’intelligence active de l’homme considère les images et en abstrait les idées.

On pourra s'étonner de ce procédé qui consiste à développer le bergsonisme à partir de textes de saint Thomas ; c’est pourtant le seul qui soit conforme à la saine devise : vêlera nnvis augere. C’est seulement de cette manière qu’on poursuivra dans sa propre ligne la philosophia perennis, au lieu de risquer d’en briser l’unité dynamique par de brusques recours à des innovations dangereuses. Que des philosophes apportent du nouveau, rien n’est mieux. Mais qu’il en soit de ce nouveau en philosophie comme il en est du nouveau dans la délibération morale ou dans le développement scientifique. C’est avec l’acquis philosophique du passé qu’il faudra juger les théories nouvelles ou interpréter les expériences, quitte, bien entendu, à réformer du passé, s’il le faut, ce qui doit être réformé.

L’avantage de cette méthode sera que de la sorte non seulement le bergsonisme sera complété dans la bonne voie, mais encore que l’on se rendra compte que les éléments objectifs à intégrer dans la synthèse mentale sont, pour saint Thomas, bien moins les species déjà élaborées, que les phantasmata, les images pour employer le vocabulaire bergsonien. Ce sont effectivement ces mêmes réalités, au même niveau de richesse concrète, que Bergson et saint Thomas étudient. Seulement les thomistes ont surtout commenté littéralement la théorie thomiste de l’abstraction. Ils ont trop négligé une difficulté plus fondamentale, celle que retrouve maintenant le bergsonisme : comment se faitil que l’image-sensation appartenant au monde extérieur, aboutisse à l’image consciente et par là au concept élaboré par abstraction ?

Pourtant il est dans la Somme théologique un article qui peut fixer le bergsonisme avec le thomisme. I a, q. lxxxv, a. 1 : Utrum intellectus noster intelligat res corporeas et materiales per abstradionem a phanlasmatibus ? On trouvera à VAd quartum les renseignements précis dont on a besoin mais déjà tout l’article orientait vers une solution. Dans le corps de l’article, saint Thomas s'était référé aux conditions du savoir humain, tourné vers les apparences les plus sensibles des choses de ce monde, mais capable d’y puiser des idées. Il répondait ensuite à une première objection qui ne comprenait pas qu’on pût retenir des cas concrets des traits communs sans se perdre dans des classifications arbitraires. Il a précisé, contre un second objectant, que la matière ainsi connue est celle que l’on appclerait aujourd’hui cosmique, physicochimique. Il a reconnu à un troisième objectant, que le passage du réel sensible extérieur à l’intellectuel humain qui compare et identifie pose un problème compliqué. D’un côté les couleurs par exemple sont in maleria corporali individuali sicut in potentia visiva ; et d’une autre part, à cause de l’intellect agent, virilité intellectus agenlis, il s’en produit, dans l’intellect possible, quædam simililudo. Saint Thomas va être en-