De ces données la scolastique luthérienne du XVIIe siècle allait construire la systématisation, en les aggravant de la célèbre distinction entre l’obéissance active et l’obéissance passive du Christ, qui permettrait de soumettre l’œuvre entière du Sauveur au même schéma pour mieux anéantir la nôtre devant le double mystère de sa vie et de sa mort. Voir, par exemple, J. Quenstedt, Theol. didactico-polemica, p. IIl a, c. iii, membr. ii, sect. i, th. xxxi-xl, 4e éd., Wittenberg, 1701, p. 228-247 ; J. Gerhard, hoc. iheol., XVII, c. ii, 31-63, édit. Cotta, Tubingue, 1768, t. vii, p. 30-72. Synthèse avec d’abondantes citations à l’appui dans Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, p. 285-352. A la fin du xviiie siècle, la même conception s’affirme encore avec les mêmes traits essentiels. Voir, par exemple, J.-F. Seiler, Ueber den Versôhnungslod Jesu Christi, Erlangen, 1778-1779.
2. Églises réformées.
C’est, au contraire, de son propre fondateur que le calvinisme tient la sotériologie méthodique dont l’autorité n’allait plus cesser de faire loi. Insl. rel. chr. (éd. de 1559), II, xvi, 1-12, dans J. Calvini opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 367-379.
Elle coïncide absolument, dans ses grandes lignes, avec celle du luthéranisme. Pour satisfaire à la justice de Dieu, le Christ prend sur lui tout ce que nous avions mérité, c’est-à-dire, avec la mort, la malédiction qu’elle comporte : … Operæ simul pretium eral ut divinæ ullionis severiiatem senlirel, quo et iras ipsius (Dei] inlercederet et salisfaceret justo judicio. Aussi a-t-il éprouvé omnia irati et punienlis Dei signa, y compris les peines de l’enfer que désignerait l’article du symbole : Descendit ad inferos.
Telle est la doctrine à laquelle se tiennent les théologiens calvinistes postérieurs, comme J.-H. Heidegger et Fr. Turretin en Suisse, J. Owen et Jonathan Edwards l’ancien, dans les milieux de langue anglaise ; celle également dont s’inspirent les confessions officielles de foi, particulièrement le synode de Dordrecht (1619), ii, 1-4, dans E.-F.-K. Muller, Die Bekentnisse der reformierlen Kirche, p. 848-849.
2° Période ancienne : Secousses doctrinales. — Ces outrances de l’orthodoxie protestante déterminèrent aussitôt une réaction en sens inverse, qui vaudrait à la théologie rédemptrice de la Réforme, avec de longues difficultés, l’avènement d’un type nouveau.
1. Explosion du rationalisme : Socin. — Hic plurimum erratum fuisse…, inter eos pr^sertim qui sese ab
- ECCLESIA ROMANA SEPARAVERANT##
ECCLESIA ROMANA SEPARAVERANT. Il suffit de Cette
déclaration, inscrite par Socin en tête du De Christo servalore, pour attester ses intentions agressives et marquer en même temps quel en fut l’objectif principal. C’est à la doctrine de la satisfaction reçue dès lors dans le protestantisme qu’il destine ses coups et contre ses « erreurs » que son dogmatisme lui inspire l’assurance d'être le porte-parole de la véritable révélation. Voir Prælectiones theologicæ (édition posthume, 1609), 15-29, Bibl. Fratrum Polonorum, t. i, p. 564600, dont les positions sont résumées dans Christianse religionis brevissima inslitutio, p. 664-668, et copieusement défendues contre le pasteur J. Couet dans De Christo servalore (1578, mais édité seulement en 1594), ibid., t. ii, p. 115-246.
Refutalio sententiæ vulgaris de satisfaclione Christi pro peccatis noslris, écrit expressément Socin, Chr. rel. inst., p. 665. Ses autres ou-vrages poursuivent, en effet, cette « réfutation » au double point de vue rationnel et positif. La satisfaction ne lui semble ni nécessaire, puisque Dieu peut toujours renoncer au châtiment ; ni réelle, puisqu’il affirme partout sa volonté de pardonner au coupable sans autre condition que le repentir ; ni possible, puisque, pour acquitter notre dette en justice, le Christ aurait dû souffrir la
mort éternelle autant de fois qu’il y a de pécheurs. Prœl. theol., 15-18, p. 565-573 ; cf. De Chr. serv., iii, 1-6, p. 186-206. Après quoi l’auteur d’exterminer successivement, au nom de l’exégèse, les quatre groupes de textes auxquels il ramène la prétendue preuve scripturaire de cette notion. Præl. theol., 19-23, p. 573-588 ; cf. De Chr. serv., ii, 1-8, p. 140-155.
Chemin faisant, on voit apparaître, à bâtons rompus, le système personnel de Socin. Il est d’une simplicité rudimentaire. Chacun peut et doit expier son péché par la pénitence : la mort du Christ n’y contribue que par l’amour et la confiance qu’elle tend à nous inspirer ou par le bénéfice qu’elle nous assure d’un intercesseur efficace dans le ciel. Pral. theol., 19 et 23, p. 575 et 587.
Tant par ses affirmations que par ses critiques, le système socinien a longtemps régné sans rival, non seulement sur l'Église unitaire, mais encore sur la théologie rationalisante que le xvine siècle a vue inonder le protestantisme, soit en Allemagne, voir Chr. Baur, op. cit., p. 505-530, soit un peu dans tous les pays.
2. Essai d’apologétique légaliste : Grotius. — Juriste de métier, mais théologien à ses heures, H. Grotius voulut opposer une réplique au rationalisme socinien. D’où sa célèbre Defensio fidei catholicæ de satisfaclione Christi (1617).
L’auteur se réclame de l'Écriture et de la tradition de l'Église, jusqu'à terminer sa dissertation par une liste de teslimonia Palrum. Mais il éclaire volontiers l’une et l’autre par un fréquent appel aux catégories juridiques. Au moyen de ce double critère, il entreprend la défense de la satisfaction contre la théologie et l’exégèse de Socin, dont il passe au crible les divers arguments. Si l’adversaire était de taille, son partenaire ne se montre pas inférieur à lui. Rarement sans doute un cfïort plus vigoureux fut accompli pour intégrer le mystère de notre rédemption dans un système cohérent de la raison et de la foi.
Cette catholica sententia, il va sans dire que Grotius la situe d’instinct dans les cadres protestants. Pœnarum pro peccatis noslris persolulio : c’est en quoi consisterait pour lui, Def., i, 13, édit. Lange, p. 10, la forma de notre rédemption. Acquittement où le vocabulaire du droit dont il est coutumier lui permet de voir, ibid., 21-22, p. 22-23, une punilio en vue de nous assurer l’impunitas. Cf. ni, 1, p. 46 : Punilio unius ad impunitatem alteri consequendam. Échange que le libre dévoùment du Christ suffit à protéger contre le reproche d’injustice et qui ne porte pas atteinte à la bonté divine parce que, étant le fait d’un tiers, il ne peut nous profiter, vi, 7, p. 80, qu’au titre légal de la solulio recusabilis.
Mais, dans cette famille théologique, Grotius crée une importante variété. Au lieu de la justice vindicative, en effet, c’est à la sagesse de Dieu, en tant que souverain de l’univers, que revient chez lui le rôle dominant. La mort du Christ n’est plus, dès lors, au sens strict, qu’une divinæ jusliliæ demonslratio, i, 1, p. 2-3, c’est-à-dire « un exemple insigne » destiné à maintenir, malgré l’amnistie accordée aux pécheurs, cette sanction du péché qui est indispensable à la bonne marche du monde moral, v, 4-8, p. 67-70. Toute la philosophie de l'œuvre rédemptrice est ainsi réinterprétée sous le signe de la loi. Cf. Baur, op. cit., p. 414-435.
Quelque peu méconnu par ses contemporains, le système de Grotius devait fructifier en Angleterre et plus encore, sous l’influence de Jonathan Edwards le jeune, aux États-Unis. Textes dans E.-A. Park, The alonemenl, Boston, 2e éd., 1860 ; étude par F. -H. Foster, Hislorical introduction à la traduction anglaise de la Defensio, Andovcr, 1889. A l’orthodoxie postérieure il ne cesse de fournir bien des compléments.