3° Diversité des courants modernes.
« Mêlée d’opinions » qui donne, « à première vue », l’impression d’un « chaos i : tel est l’aspect sous lequel l'état présent de la théologie rédemptrice parmi ses coreligionnaires apparaît à J. Gindraux, La philosophie de la croix, Genève, 1912, p. 202. On peut aisément prendre un aperçu de cette confusion, pour l’Angleterre et l’Amérique, dans The atonenicnl. A clérical symposium, Londres, 1883 ; The atonrmrnl in modem religious thought. A theological symposium, Londres, 3e éd., 1907 ; pour l’Allemagne, dans E. Pfennigsdorf, Der Erlôsungsgedankc, Gcettingue, 1929 (compte rendu d’un congrès théologique tenu en 1928 à Francfort-sur-Mein). Voir sur ces manifestations collectives, Le dogme de la rédemption. Éludes critiques et documents, p. 355-428. Il suffît à la théologie catholique d’une orientation générale à travers cette littérature.
1. En marge de l’orthodoxie.
Vivement ouvert par Socin, le procès de la satisfaction traditionnelle est plus que jamais à l’ordre du jour pendant tout le xixe siècle et certaine convergence dans une nouvelle manière de la remplacer arrive à s'établir parmi les écoles de gauche qu’unit cette réprobation.
Kant, puis Hegel donnent, un moment, aux théologiens d’Allemagne la tentation d’absorber la rédemption chrétienne, à titre de symbole, dans le développement moral de l’espèce humaine. Mais ces spéculations métaphysiques n’obtinrent qu’un succès momentané. Le « rationalisme » postérieur, aujourd’hui vulgarisé dans les masses par le mouvement national-socialiste, est devenu plutôt franchement négatif, en prétendant refuser au christianisme, voire même au simple théisme religieux, sous prétexte d' « autosotéric » (Éd. de Hartmann), l’audience de l’esprit contemporain.
Depuis Schleiermacher en Allemagne, Erskinc et Coleridge en Angleterre, la pensée protestante s’installe de plus en plus sur le terrain exclusif de l’expérience religieuse. En conséquence, la sotériologie dogmatique d’autrefois se transforme en une psychologie, où le subjectivisme s'épanouit d’autant mieux que l'Écriture cesse d'être une autorité pour devenir un témoignage de la foi de ses auteurs et que l’histoire de ce dogme n’est plus qu’un moyen d’en faire toucher du doigt la relativité.
Il en résulte que, sauf peut-être en Amérique, où il survit au moins en partie chez H. Bushnell, le rationalisme socinien d’antan, avec ses horizons un peu courts, fait place aux formes plus subtiles du protestantisme libéral, diversement représenté, en Allemagne par Alb. Ritschl et Ad. Harnack ; en France, autour de 1850, par A. Réville et l'école de Strasbourg, puis par Eug. Ménégoz (1905) et A. Sabatier (1903) ; en Angleterre et aux États-Unis, par F.-I). Maurice et B. Jowett au milieu du xixe siècle, G. -H. Stevens et II. Rashdall au début du xxe. Dieu Père plein d’amour pour nous et indulgent au repentir sans besoin d’autre satisfaction ; péché qui altère la conscience de notre rapport filial avec lui et nous rend esclaves des passions inférieures ; salut par le Christ, dont la sainteté parfaite éveille en nous tmil à la fois la conscience et détruit l’empire du péché, sa mort n'étant plus qu’un moment de cette œuvre spirituelle comme suprême révélation de la malice humaine et de l’amour divin : tels sont les thèmes désormais courants, avec toute une gamme de nuances personnelles dont il n’est pas possible de Taire état.
Quelques doctrines moins communes ont vu le jour dans les milieux piélistes. Celle, en particulier, de la Rédemption by sample, où le Christ est conçu comme le type de l’humanité, en ce double sens qu’il brise d’abord en lui-même la domination du péché par la parfaite sainteté de sa vie et qu’il nous communique ensuite le même pouvoir par la vertu contagieuse de
son héroïque mort. Voir R. Mackintosh, Historié théories o/ alonemenl, p. 232-250. Plus curieuse encore est la théorie, chère à nombre de prédicateurs anglais, ibiiL, p. 252-250, d’après laquelle Jésus vient révéler dans le temps les souffrances éternelles que le péché cause à Dieu. Cnc christologie à base de kénose accentue, d’ordinaire, le mysticisme de ces deux dernières conceptions, au risque de ne rejoindre l’ordre chrétien que pour se fourvoyer en plein irrationnel.
2. Au sein de l’orthodoxie.
Contre ces attaques violentes ou ces transpositions ruineuses les croyants de la Réforme n’ont pas manqué de faire front, sauf à hésiter sur la tactique la plus conforme aux besoins actuels.
Tout le commencement du xixe siècle est marqué par le règne à peu près universel de l’ancienne orthodoxie. Mais déjà plusieurs, comme P. -F. Jalaguier en France, R.-W. Daleen Angleterre, Fr. Godet en Suisse, croient devoir la pallier en recourant au légalisme de Grotius. Elle est formellement combattue par une école mitoyenne, qui se propose de maintenir la valeur objective de la rédemption, mais au moyen d’une théologie nouvelle où les considérations de l’ordre psychologique et moral passent au premier plan. Ses représentants les plus notables furent J. Macleod Campbell (1855) et R. Moberly (1901) en Angleterre, Edm. de Pressensé (1867) en France, Hofmann d’Erlangen (1853) en Allemagne. Dans la passion, au lieu de la peine comme telle, c’est la « pénitence » du Christ qu’ils s’appliquent à mettre en relief. Ce qui les amène à faire valoir, en conséquence, l’hommage que sa volonté sainte rend à la condamnation portée par Dieu contre le péché, dont son union physique et morale avec le genre humain fait, d’une certaine façon, peser sur lui le poids.
Dans la théologie contemporaine, en Angleterre surtout, s’accuse la tendance à un révèrent agnosticism. La foi pourrait survivre au naufrage des systèmes et devrait suffire à notre curiosité.
Ceux qui parviennent à surmonter cette tentation s’appliquent à combiner en synthèses plus ou moins éclectiques les divers courants antérieurs. La formule dominante est celle d’une expiation pénale mitigée, où la dette des pécheurs reste payée par les soulîrances tant corporelles que spirituelles du Christ, mais débarrassées de tout caractère vindicatif par l’appel à la notion moderne de solidarité, qui détrône la substitution de jadis, et transformées par la conscience pure du Sauveur en une décisive ratification du jugement divin. Tel est, en gros, le type d’orthodoxie auquel semblent appartenir, parmi bien d’autres, des théologiens considérables tels que les Allemands M. Kâhler, H. Mandel, H. Stefîen et R. Jelke, les Anglais P.-T. Forsyth et J. Denney, les Français Ern. Bertrand, C.-E. Cabut et H. Monnier.
Il arrive même parfois que la préoccupation de la souffrance expiatoire y soit subordonnée à la médiation réconciliatrice du Christ (L. Choisy, Wetzel) ou à la réparation objective du péché par la vertu de son obéissance et de son amour (J.-S. Lidgett, G. Fulliquet, P.-L. Snowden et, par instants, H. Monnier). Retours inconscients, et qu’on souhaiterait moins fugitifs ou moins isolés, vers les positions que l'Église mère n’a pas cessé de tenir.
Même en laissant de côté les négations persistantes qu’elle a provoquées sur le fond le plus essentiel de la foi, on peut difficilement ne pas reconnaître qu’en définitive, au seul regard de l’histoire, l’efïorl Intense déployé par la Réforme autour du dogme de la rédemption n’aboutit qu'à un échec. Pour ne rien dire des autres, l’instabilité de ses meilleurs produits, si elle flatte son sens aigu de l’individualisme, ne dénonce t-elle point, aux yeux de quiconque réalise la valeur