152J QUESNEL. ATTAQUES CONTRE LES « RÉFLEXIONS MORALES » L522
sont traitées avec cette force et cette douceur du Saint-Ksprit qui les font goûter aux cœurs les plus durs. Vous y trouverez de quoi vous instruire et vous édi lier. Vous y apprendrez à enseigner les peuples que vous avez à conduire… Ainsi ce livre vous tiendra lieu d’une bibliothèque entière. »
Cependant, les attaques se précisent. Ce sont d’abord des escarmouches : le 15 octobre 17015, l'évêque d’Apt, Foresta de Colongue, interdit dans son diocèse la lecture des Réflexions murales, et à la même date Fénelon écrit : « Il faudra examiner le livre de Quesnel, approuvé à Chàlons. » Quesnel multiplie les lettres et les thèses pour détendre son livre, tandis que le jansénisme fait de nombreuses conquêtes, surtout dans le clergé du second ordre et dans la bourgeoisie parlementaire. Or, le grand moyen de propagande, c’est le livre des Réflexions, approuvé par Noailles. devenu archevêque de Paris.
Le P. Lallemant, S. J., publie deux ouvrages retentissants : Le P. Quesnel séditieux, Paris, 1704, in-12, et Le P. Quesnel hérétique, Paris. 1705, in-12 ; dans ces deux écrits, le livre des lié/lexions est jugé très sévèrement. La bulle Vineam Domini, qui condamne le silence respectueux, approuvé par les amis de Quesnel. ralentit un peu et détourne les attaques dirigées contre le livre de Quesnel ; mais, le 3 juillet 1707, l’archevêque de Besançon, et. le 5 août, l'évêque de Xevers condamnent le livre des Réflexions et interdisent la lecture de ce livre suspect et hérétique. L'évêque de Nevers remarque qu’on y insinue des erreurs déjà condamnées et qu’on inspire aux lidèles un esprit de révolte contre l’autorité ecclésiastique. Quesnel lui-même publie alors des écrits qui attirent l’attention de Rome : Motif de droit ; — Anatomie de lu sentence de M. l’archevêque de Matines ; — Avis sincères aux catholiques îles Provinces Unies ; — Divers abus et nullités du décret de Rome du 4 octobre 1707 contre M. l’archevêque de Sébaste, et d’autres écrits qui, en attaquant l’archevêque de Matines, attaquent ceux qui ont été publiés contre le jansénisme. Aussi dans une dépêche chiffrée de Torcy à l’abbé de Polignac, ambassadeur à Home, on lit, à la date du 26 décembre 1707 (.4II. étr., Rome, Correspond., t. cdlxxiii) : « On a parlé de censurer le livre de Quesnel, et à Paris Noailles, qui a approuvé ce livre, se montre inquiet de cette nouvelle. » L’abbé de Polignac répond, le 7 janvier 1708, que le livre est entre les mains des examinateurs et qu’on regarde Quesnel comme le chef des jansénistes. Ibid., t. cdlxxxii.
1° Le décret du 13 juillet 1708. — La dénonciation du livre en cour de Rome avait déjà été laite par le P. Timothée de La Flèche, capucin français (Jacques Peschard), qui était venu à Home, en avril 170I5, comme secrétaire du procureur général de son ordre. Dans ses Mémoires, publiés en 1774 et réédités en 5e édition, en 1907, par le P. t’bald d’Alençon. il raconte lui-même (p..i-M) que l’assesseur Casoni fit d’abord traîner l’affaire en longueur, mais, lorsqu’il devint cardinal, son successeur, le P. Alexis Dubuc. théatin et professeur de théologie à la Propagande, examina l’ouvrage avec soin. Cependant, l’affaire n’avança que lentement, à cause des discussions très vives soulevées alors par la question des rites chinois et des rites malabares. Après avoir recueilli par écrit les suffrages, Clément XI ordonna des jeunes et des prières publiques, fit des aumônes extraordinaires et célébra lui-même la messe du Saint-Esprit pour obtenir du ciel une assistance particulière : enfin, le 13 juillet 1708, le livre de Quesnel lut condamné par le bref Universi dominici gregis, sous les deux titres où il avait paru : Le Nouveau 'testament français, avec des réflexions mondes sur chaque verset, Paris, 1699, et Abrégé de la monde de l'Évangile, des Actes des
apôtres, des Épttres de saint Paul, des É pitres canoniques et de l’Apocalypse, ou Pensées chrétiennes sur le texte de ces Livres sacrés, Bruxelles, 1693-1694.
Le décret n’entre pas dans le détail des erreurs condamnées. Il déclare que l’ouvrage » produit le texte sacré du Nouveau Testament corrompu par une entreprise téméraire et d’une manière tout à fait condamnable, comme conforme, en plusieurs chefs, à une autre version française condamnée par le pape Clément IX, le 2 avril lli(18°. Il contient aussi des o notes et des observations qui, sous ombre de pieté, tendent malignement à abolir la pratique de cette vertu. Dans ces notes se trouvent répandus, en divers endroits, des sentiments et des propositions séditieuses, téméraires, pernicieuses, erronées, ci-devant condamnées et sentant évidemment le venin de l’hérésie de Jansénius. » En conséquence, le décret défend d’imprimer l’ouvrage de Quesnel, de le transcrire, de le lire, de le retenir ou de s’en servir, et cela sous peine d’excommunication encourue par le seul fait. « Tous ceux qui ont chez eux ce même livre ou qui l’auront à l’avenir devront le remettre et le consigner entre les mains des Ordinaires des lieux ou des inquisiteurs en matière d’hérésie, lesquels, sans différer, brûleront et feront brûler les exemplaires qu’on leur aura donnés, nonobstant toutes résistances et oppositions quelles qu’elles soient. » Toujours fidèle à sa méthode, M. Albert Le Roy déclare que le P. Timothée ne fut que la mouche du coche, car il était l’instrument docile du cardinal Fabroni et des jésuites. Le bref ne fui pas reçu en France par suite de certaines clauses contraires aux usages du royaume.
Quesnel répliqua à cette condamnation par un écrit intitulé : Entretiens sur le décret de Rome contre le Nouveau Testament de Chàlons, accompagné des réflexions morales, où l’on découvre le vrai motif de ce décret, <m soutient le droit des évêques et l’on justifie l’approbation de Mgr le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, Paris, 1709, in-12. Ce sont trois entretiens d’un bourgeois, d’un avocat et d’un abbé. Les deux premiers veulent justifier la doctrine de l’assemblée du clergé sur le droit qu’ont les évêques de juger les constitutions et les décrets de Rome avant de les recevoir, qu’il s’agisse de décrets disciplinaires ou de constitutions dogmatiques. Le troisième prend la défense des Réflexions morales contre le décret de Home, montre les excès de fond et de forme de ce décret, en même temps que la conduite sage du cardinal de Noailles quand il a approuvé la traduction du Nouveau Testament et les réflexions qui l’accompagnent. Ce décret est l’effet d’une noire intrigue, un ouvrage de ténèbres et d’une horrible cabale ; c’est un attentat scandaleux contre l'épiscopat, une pièce subreptice nulle et de nul effet, donnée sans cause. sans raison et sans une procédure régulière, puisque l’auteur n’a été ni cité ni entendu ». Cette condamnation n’est qu’une vengeance du parti ultramontain contre le cardinal de Noailles, qui, à l’assemblée de 170."), avait soutenu les droits de l'épiscopat. Pour intéresser Louis XIV à sa cause, Quesnel ajoute que le bref a été dressé et introduit en France sans que le roi ait été pressenti. Au fond, le jansénisme se cache derrière le gallicanisme.
Quesnel voulait compromettre définitivement le cardinal de Noailles ; mais celui-ci essaya alors de se désolidariser des jansénistes en se pliant aux exigences de la cour au sujet de Port-Royal. Le décret du Il juillet 1709 supprima l’abbaye de Port-Royal, et peu de temps après la maison fut renversée de fond en comble, en vertu d’un arrêt du roi. Les jansénistes s’indignent contre la conduite de Noailles, et celui-ci profondément attristé, songea, dit-on, à donner sa démission. Le cardinal accusait La Trémoille et l’abbé