Ainsi, d’après ce texte, (les juifs convertis auraient transmis aux Romains la foi au Christ avec l’observation de la Loi. Les judéo-chrétiens de Rome n’acceptaient point la divinité du Christ : ils la jugeaient contraire à l’unité de Dieu. L’Apôtre supposerait qu’ils n’ont point revu la « grâce de Dieu spirituelle » et qu’ils auraient eu besoin « d'être confirmés ». L’auteur fait allusion à Rom., i, Il et peut-être aussi à i, 2-4. Les judaïsants qui ont enseigné à Rome seraient les mêmes qui ont troublé la foi des Calâtes. Le cas est analogue, mais l’attitude de Paul est différente. L’Apôtre s’irrite contre les Calâtes, car, instruits exactement, ils se sont laissé entraîner ; mais il ne s’irrite point contre les Romains, car ils ont reçu la foi du Christ sans avoir vu ni aucun miracle ni aucun apôtre. Cette foi aurait été purement verbale. Ils n’en avaient point pénétré le sens ; car on ne leur avait point exposé « le mystère de la croix du Christ ». Des chrétiens à la foi exacte étant survenus, des controverses seraient nées concernant les aliments et la pratique de la Loi.
Cette notice de l’Ambrosiaster contient des affirmations assez singulières. Les judéo-chrétiens de Rome auraient rejeté la divinité du Christ comme contraire à l’unité de Dieu ; ils n’auraient point reçu la « grâce spirituelle » ; ils auraient eu au Christ une foi purement verbale, ignorant le « mystère du Christ ». Dans ces conditions, leur christianisme aurait été inférieur à celui de la première prédication apostolique et l’on ne comprendrait pas comment saint Paul aurait pu, dès les premières lignes, louer leur foi, i, 8, et dire qu’elle était la même que la sienne, i, 12. L’on ne comprendrait pas non plus pourquoi il n’insiste pas plus sur la divinité du Christ. Des idées analogues à celles de l’Ambrosiaster sur la situation de l'Église de Rome se rencontrent chez d’autres auteurs ecclésiastiques anciens, ainsi que dans des prologues de certains manuscrits de la Vulgate.
Saint Augustin supposait dans l'Église de Rome une situation analogue à celle des Églises de Galatie. Mais il avait soin de noter que c'était une conjecture exégétique suggérée par le texte : Quantum ex ejus lextu intelligi potest. Voir Epistolse ad Romanos inchoala exposilio, P. L., t. xxxv, col. 2087-2089.
Origène (Rufin) et saint Jérôme sont moins afïïrmatifs : sain t Paul s’efforce de maintenir la balance égale entre les deux éléments. Origène, In. Rom., P. G., t. xiv, col. 911 ; S. Jérôme, In Gai. (d’après Origène), P. L., t. xxvi, col. 395. Pelage, par contre, ne voit aucune dissension entre les fidèles de Rome : ils tiennent leur foi de la prédication de Pierre. Saint Paul veut les « confirmer », non qu’il y ait dans leur foi des lacunes, mais pour que cette foi soit fortifiée grâce au témoignage et à l’enseignement des deux apôtres. /'. L., t. xxx, col. 648. D’après le Pseudo Primasius, l'épître fut écrite pour ramener le calme elle/, les chrétiens. Juifs et g -utils prétendant également avoir la supériorité, saint Paul intervient pour les ramener, les uns et les autres, à une juste compréhension des choses et mettre fin à cette dispute inutile. P. L., t. I.xviii,
col.. Il 1-115. Saint. Thomas suppose également des rivalités entre juifs et gentils. Éd. Vives, t. x.x, p. 100, 573.
La thèse de l’Ambrosiaster se retrouve dans les argumenla ou prologues de nombreux mss. de la Vulgate. On les trouvera dans Ilarnack, Marcion, 2° éd., L924, p. 127* sq., ainsi que dans la Revue biblique, 1926, p. 161 sq. Voici i’argumentum del'ÉpIl re aux Romains : Romani sunt in parti bus Italite. m præventisunta falsis apostolis, et sub nomine Domini nostri Jesu Christi in legem et prophetas erani inducti. Hos revocat apostolus ml veram evangelicam ftdem, scribens eis a Corintho.
Ces uns croient reconnaître dans ces prologues des idées marcionites : opposition entre saint Paul et
l’Ancien Testament ou le judaïsme. Dom de Rruyne, Promues bibliques d’origine, marcionite, dans Revue bénédictine, 1907, p. 1 sq. ; Harnack, Marcion, p. 129* et Zeitschr. für die N. T. Wisscnschaft, t. xxiv, 1925, p. 201 sq. La notice de l’Ambrosiaster se rattacherait à cette doctrine, qui accentue l’opposition entre saint Paul et l’Ancien Testament. Le P. Lagrange a abandonné cette opinion, après l’avoir d’abord acceptée dans la première édition de son commentaire sur l'Épître aux Romains. Voir Revue biblique, 1926, p. 101 sq. La thèse de De Bruyne et Harnack a été réfutée par W. Mundle, dans Zeitschr. für die N. T. Wissenehaft, 1925, p. 56 sq. Le caractère marcionite de ces prologues n’est nullement évident. Pas plus que l’Ambrosiaster ils n’opposent saint Paul et l’Ancien Testament. D’ailleurs, s’ils étaient nettement marcionites, comment seraient ils passés dans les mss. de la Vulgate sans que les copistes se. soient aperçus qu’ils n'étaient point conformes à la doctrine de saint Paul ? Il y avait à Rome, au temps de saint Justin, diverses catégories de judéo-chrétiens : des intransigeants, que saint Justin condamne ; d’autres qui observaient la Loi sans fanatisme et croyaient au Christ : ceux-là « peuvent être sauvés » ; enfin d’autres qui, tout en reconnaissant Jésus comme le Messie, ne le regardaient point comme Fils de Dieu préexistant : saint Justin rejette cette doctrine : « Un très grand nombre, dit-il, qui pensent comme moi, ne consentiraient point à parler ainsi. » Cf. Dialog., xlvii, 3, P. G., t. vi, col. 576580 ; xl viii, col. 581. Faut-il voir dans ces diverses tendances un écho de ce que fut l'Église de Rome vers l’an 58? L’on ne peut l’affirmer avec certitude. Mais, déjà avant saint Justin, certains esprits peu familiarisés avec la doctrine du IVe évangile ne concevaient point sans difficulté la préexistence du Christ. Cf. Hermas, Pasteur, Sim., v, 2, 5, 6 ; Sim., ix, 1. Il en était sans doute de même au I er siècle. Ces tendances particulières ont laissé des traces jusqu’au iiie siècle. Cf. Eusèbe, H. E., V, xxviii, P. G., t. xx, col. 512. L’Ambrosiaster, au siècle suivant, a-t-il eu des renseignements sur ce point ? C’est possible ; mais en toute hypothèse ils n'étaient nullement de nature à faire comprendre l'Épître aux Romains. C’est pourquoi ce commentateur ne donne point ses explications comme fondées sur une tradition historique, mais comme des conjectures exégétiques. Cela apparaît clairement dans les phrases : ut datur inlclligi… et quam ibrem negat illos spiritalem Dei gratiam consecutos ac per hoc conftrmationem eis déesse, allusion évidente à Rom., i, 11. Les prologues de la Vulgate sont dans la même ligne que l’Ambrosiaster et paraissent avoir la même origine. De plus, saint Augustin, nous l’avons noté, col. 2871, présente nettement lui aussi, sou explication comme une conjectmv appuyée sur le texte.
2. Renseignements de l’histoire générale.
Ces renseignements ne contiennent rien de positif sur l'Église de Rome ; ils permettent seulement de dire quelle est l’hypothèse la plus vraisemblable.
Les premiers convertis furent très probablement des juifs auxquels vinrent se joindre des prosélytes et des païens. Les juifs furent expulsés de Rome sous Claude, 11-51. Ces judéo-chrétiens durent être parmi les proscrits. Cf. Orose, llisl., t. VII, c. vi, P. L., t. xxxi, col. 1075 ; Act., xviii, 2 ; Suétone, Claude, 25. Dion Cassius, il est vrai, parle simplement d’une défense de se réunir, llist., I. LX. vi, 0, datant de l’an 11. Il s’agit sans doute de mesures qui précédèrent l’expulsion et que l’empereur prit dès le commencement de son règne. Le récit d’Orose non la date, qui serait la neuvième année de Claude est confirmé par les Vêtes, xviii, 2. Il est possible qu’une série de vexations contre les juifs les aient amenés à quilter Rome. Mais Suétone parle bien d’une expulsion : Roma expulit.