Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 13.2.djvu/730

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2873
2874
ROMAINS (ÉPITRE AUX). BUT


Malgré ces mesures vexatoires, la communauté ne sombra pas. Elle devait donc compter un assez grand nombre de prosélytes ou de païens convertis. A l’avènement de Néron, en 54, les juifs jouirent d’une plus grande liberté et purent commencer à rentrer. Mais en 58 la communauté devait être encore en majeure partie composée de païens convertis. Toutefois, les juifs, qui avaient formé auparavant un élément important de l'Église, ne pouvaient constater sans amertume qu’ils avaient perdu leur influence. D’autre part, les gentils convertis pouvaient être portés à les mépriser et à leur faire sentir l'état d’infériorité où ils se trouvaient par suite des circonstances. Mais l'Église n'était point divisée en deux fractions rivales ni bouleversée par l’action des judaïsants. Elle n’offrait rien de semblable à la situation des Églises de Galatie.

3. Les données de l'épître. — Dans l’hypothèse que nous venons d’exposer, le caractère et le ton de l'épître s’expliquent assez bien. Elle s’adresse moins à des juifs qu'à des « gentils ». En écrivant, saint Paul ne fait que remplir sa mission auprès des < gentils » au nombre desquels comptent les fidèles de Rome, i, 5-7 : êv olç serre devant se traduire : « au nombre desquels vous êtes », et non : « au milieu desquels vous habitez. » Comme des autres gentils, l’Apôtre en attendu « des fruits spirituels », i, 13-15 ; il a le devoir de les offrir à Dieu eux aussi comme un sacrifice ; c’est pourquoi il a osé leur écrire, xv, 15 sq.

Il veut leur communiquer « quelque don spirituel, pour les affermir », ti yâp', a[i.x uve’jji.a’uxôv, c’est-àdire contribuer à leur progrès et à leur persévérance dans la foi. i, 11. L’Ambrosiaster, sur ce passage, suppose que les Romains, instruits par des juifs, ne devaient point avoir la véritable foi au Christ et que l’Apôtre voulait venir à Rome la leur donner, les mettre dans la voie du salut. P. L., t. xvii, col. 53. Cette opinion ne trouve aucun appui dans le f. Il et ne peut se concilier avec les passages, i, 8 ; xv, 15 sq.

Enfin les noms mentionnés dans xvi, 1-15 — si, comme nous le croyons, ce chapitre fait bien partie de l'Épître aux Romains (voir plus haut, col. 2866) — sont presque tous grecs ou latins. Sans doute plusieurs ont pu être portés par des juifs de race, mais l’ensemble donne bien l’impression d’un milieu gréco-romain. En somme l'épître suggère une Église appartenant à la gentilité non seulement par sa situation géographique mais aussi par sa composition. Cf. xi, 13-3-'.

En outre, l'épître ne vise point spécialement des judaïsants. Elle n’est point polémique, elle reste ton jours dans le ton de l’exposition. L’Apôtre n’y fait l’apologie ni de son évangile ni de sa personne.

On rapproche, il est vrai, de l'Épître aux Calâtes, le passage xvi, 17-20. Mais ces quatre versets appartiennent à un chapitre qui se présente comme un supplément. Ils visent de faux docteurs, des agitateurs qui provoquent des divisions et causent des scandales ; mais, loin de fournir le thème, ils sont placés à la fin de la lettre comme une dernière recommandation destinée à prémunir les fidèles contre un danger qui les menace. Cf. xvi, 17 ; I Tiin., vi, 5 ; TH., i, 11. Les personnages visés sont probablement des judaïsants, mais nous n’en retrouvons la trace nulle part ailleurs dans l'épître. Il serait vraiment exagéré de chercher dans ces quelques versets la situation qui a déterminé le thème ainsi que le ton de l'épître. On ne saurait, d’ailleurs, voir des judaïsants dans « les faibles » du c. xiv. Il s’agit de chrétiens d’origine soit juive, soit païenne, à tendances ascétiques, se livrant à des abstinences que l’Apôtre ne veut point condamner. Cf. xiv, 2.

Toutefois un certain nombre de passages ne donnent-ils pas l’impression que saint Paul s’adresse spécialement à des juifs ? Ne suppose-t-il pas ses lecteurs familiarisés avec l’Ancien Testament et attachés au

judaïsme ? Cf. iv, 1 ; vii, 5-6 ; viii, 1, 15. Les c. ix-xi, où est exposée la situation d’Israël en face du salut, ne forment-ils point le centre de l'épître. Bien plus, saint "Paul met en scène des juifs qui jouent le rôle d’objecteurs et provoquent des apostrophes. Enfin il prend des précautions pour ne pas blesser la susceptibilité des juifs. Cf. ni, 1 sq., 31 ; iv, 1 ; VI, 1, 15-16 ; vii, 7-13 ; ix, 14, 19, 30 ; xi, 1, 11. C’est pourquoi un certain nombre d’exégètesont cru l'épître adressée à des judéochrétiens : Volkmar, Holsten, Renan, Ed. Reuss, Sabatier, II. J. Holtzmann. Ils traduisent èv olç èote, i, 5^ « au milieu desquels vous êtes ».

Tous ces passages, pris isolément, seraient sans doute suffisants pour créer une probabilité. Mais, en regard d’autres passages formels en faveur de la thèse opposée, ils comportent une autre explication. Saint Paul n’oubliait point qu’il y avait dans la communauté de Rome un noyau de juifs ; il devait en tenir compte ainsi que du nombre important de prosélytes, convertis de la première heure qui n’avaient point subi les vexations des pouvoirs publics et avaient dû rester à Rome sous l’empereur Claude. Ils étaient familiarisés avec l’Ancien Testament et les doctrines judaïques. D’ailleurs l’Ancien Testament n'était-il pas la principale, même l’unique autorité que l’Apôtre put invoquer ? Il le citait en s’adressant aux païens comme aux juifs.

Quant aux passages où l’Apôtre met en scène des adversaires ou des objecteurs, on peut y voir un procédé littéraire analogue à celui de la diatribe stoïcienne. Ce genre donnait à l’enseignement de la philosophie morale plus de vie et d’intérêt. Cf. art. Paul, t. xi, col. 2345-2346.

IV. But de l'épître. — L’Apôtre a un vif désir de voir les fidèles de Rome ; il s’est souvent proposé de se rendre auprès d’eux et. il demande à Dieu de lui accorder ce bonheur ; i, 9-13. Mais sa lettre ne saurait avoir pour but principal d’annoncer cette visite : il n'était pas nécessaire pour cela d'écrire un exposé du salut chrétien. Cette visite n’est guère que l’occasion ou le prétexte de la lettre ; d’ailleurs elle restait toujours problématique dans la pensée de l’Apôtre.

La lettre n’a pas non plus pour but principal de remédier à une situation ou de traiter un cas particulier dans l'Église de Rome. Elle n’est point motivée par les besoins spéciaux de cette Église. D’ailleurs l’Apôtre ne l’avait point fondée et n’en avait pas la direction. Il ne l’avait même jamais visitée et ne connaissait que par ouï-dire sa composition et ses besoins.

En écrivant aux fidèles de Rome, il veut avant tout remplir son rôle d’apôtre des gentils. Il « se doit aux Grecs et aux barbares », Rom., i, 14 ; cf. i, 6, 13. Eif exposant aux chrétiens de Rome l'œuvre du Christ, il veut traiter le problème qui l’a toujours préoccupé au cours de son apostolat : le rôle de la Loi et la situation du judaïsme dans le plan général du salut. En exposant ce plan divin, il ne s'élève point contre un parti judaïsant. Il pense à tous les juifs ; il expose leur situation dans l’histoire religieuse de l’humanité. Il est profondément attristé en voyant ses coreligionnaires, encore loin du salut, ix, 2. Il voudrait les voir réunis avec les gentils dans une même foi et il espère leur conversion, ix, 13. Cf. S. Augustin, Inchoata expositio, 1, P. L., t. xxxv, col. 2088-2089. En dehors de toute polémique, il développe la doctrine du salut par le Christ sans la Loi. Mais il est amené par la nature même du sujet à définir le rôle de cette Loi et la position des juifs en face du salut. Sans doute il y a parmi les chrétiens de Rome des agitateurs, intrigants dangereux capables de séduire les fidèles ; cf. xvi, 17-20 ; Paul le sait, mais ce n’est point là ce qui lui fournit le sujet de sa lettre. Il se contente, dans une dernière recomman-