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Corneille de la Komel, puis il était allé au skite de Porphyre et de là, nomade comme tant de moines de son pays et de son époque, il était revenu à Pskov, où, semble-t-il, il jouissait d’une certaine réputation de lettré. Une fois, il poussa jusqu’à la ville livonienne de Neuhausen pour y disputer avec quelque « romain », mais bientôt il revint à la solitude de sa préférence, au skite de Porphyre dans le Zavolzie, où il se lia d’amitié avec plusieurs moines, dont le célèbre Théodoret, l’apôtre des Loparej et devint un des plus fervents adeptes des doctrines de Nil Sorskij. Il semble avoir été en correspondance avec Ivan le Terrible à l’occasion du Sloglav et dès lors on le voit adversaire manifeste des propriétés monastiques. Il le faisait par motif religieux et il se défendit d’avoir jamais encouragé le tsar à procéder à des mesures arbitraires. Puis Ivan le fit venir à Moscou et peu après le fit nommer higoumène au monastère de la Troitsa.

Le riche monastère, fondé jadis par Serge de Radonège dans le dénuement le plus absolu, était alors le plus opulent des monastères de Russie. On comprend que le pauvre solitaire, placé soudainement dans cette administration exceptionnellement compliquée, ayant affaire à des moines qui se trouvaient parfaitement satisfaits de cet état de choses et n’entretenaient visà-vis des solitaires du Zavolzie qu’inquiétude et aversion, se soit vite rendu la situation intenable. Au bout de six mois, il s’en retourna dans son cher ermitage de Porphyre. Il avait laissé un mauvais souvenir à la Troitsa et, plus tard, on trouvera plusieurs de ses anciens sujets parmi ses accusateurs les plus acharnés.

On fit venir à Moscou Artème, pour y discuter avec BaSkin ; celui-ci semble avoir accusé l’ancien higoumène de la Troitsa. Artème flaira un piège et repartit pour son ermitage. Ce fut là sa faute la plus grave. On comprend pourtant son hésitation à paraître devant un synode où la majorité était composée de ces joséphiens qui avaient déjà découvert et châtié tant d’hérétiques et qui, surtout, s’étaient toujours montrés si intolérants vis-à-vis des moines de l’autre école. En tous cas, on fit chercher Artème, on l’arrêta, on l’amena à Moscou et on le traduisit devant le concile en janvier 1554. Ses accusateurs furent Nectaire, higoumène de Thérapontov, .lonas, ancien higoumène de la Troitsa, Adrien, cellérier delaTroitsa, Ignace, moine de la Troitsa, Siméon, higoumène de Saint-Cyrille de Belozero, Nicodème du même monastère et enfin le métropolite Macaire lui-même.

On lui reprocha son voyage en Livonie qui devint alors une louange de la foi latine. On l’accusa d’avoir violé le jeûne du carême et même, une fois qu’il dînait chez le tsar, il aurait mangé du poisson pendant le carême. On lui fit des reproches encore plus graves sur sa doctrine : il aurait dit à Nectaire que Joseph de Yolokolamsk avait mal commenté la vision d’Abraham (quand la Trinité lui apparut sous la forme de trois anges) ; il aurait dit au moine Jonas, ancien higoumène de Sergiev Troitsa, que le signe de la croix est inutile (encore faudrait-il voir quelle était la pensée d’Artème : ne voulait-il pas simplement condamner une multiplication de rites extérieurs non conjoints à l’esprit de mortification et de vie intérieure ? ) ; à un autre il aurait déclaré qu’il était inutile de faire chanter des services funèbres pour ceux qui étaient morts dans leurs péchés (on reconnaît ici la ressemblance avec la doctrine de Maxime le Grec sur le purgatoire). Artème aurait marqué l’incompatibilité entre chanter des canons « au très doux Jésus » et violer ses commandements ; ainsi de même, disait-il, on chante des acathistes en l’honneur de la pureté de la Vierge et l’on ne réforme pas sa vie. Il fut accusé encore d’avoir douté de la justice des condamnations prononcées contre les hérétiques novgorodiens. Artème nia toutes ces accusations, sauf celle d’avoir mangé du poisson pendant le carême et s’excusa en disant qu’il dînait alors avec le tsar. On fit venir un groupe de moines d’outre-Volga qui justifièrent Artème. II fut pourtant condamné et envoyé au monastère de Solovki. Théodose Kosoj subit la même sentence. Le bienheureux Théodoret fut envoyé à Saint -Cyrille de Belozero ; Savva Sakh, qui était connu comme « habile écrivain », fut dirigé sur un monastère de Rostov ; l’évêque Cassien qui avait cherché à défendre les accusés dut renoncer à son évèché et s’en aller ; d’autres enfin furent dispersés dans divers monastères. On le voit, la répression avait été rude.

Il n’est pas aisé de déterminer au juste quelle fut l’hérésie d’Artème. Il nous semble pourtant qu’il fut condamné par un de ces excès de zèle que l’on rencontre trop souvent, hélas, dans l’histoire des joséphiens.

Artème et son compagnon Théodose Kosoj s’enfuirent de Solovki et vinrent en Lithuanie. Artème y devint un des principaux champions de l’orthodoxie et s’engagea dans de brillantes controverses avec les protestants. Théodose Kosoj tourna mal. Il renia ses vœux, prit femme et abandonna sa religion. Artème lui écrivit une lettre touchante pour le ramener dans le droit chemin.

Les documents de l’affaire BaSkin, Artème, etc., ont été publiés par Stroiev dans Akty arkheograf. expeditsii, t. i, n. 238, 239. La lettre d’Ivan IV a Maxime le Grec sur Baskin se trouve dans Akty istoriCeskie, t. i, n. 101 ; voir encore O. Bodianskij, Les conciles de Museau contre les hérétiques tin XVIe siècle (Moskovskie sobory…), dans Ctenija, t. iii, 1843, n. 3 ; ajouter encore [’Annaliste russe ( Lêlopisets russkij), 1895, n. 3, p. 7, et l’Hist. ilu royaume de Moscovie écrite par A. Kurbskij, dans Russ. Ist. Bibl., t. xxxi, 1914. Les lettres de I’higoumène Artème ont clé publiées ibid., t. iv, col. 13f>9 sq.

S.-G. Vilinskij, Les lettres ilu moine Artème (Poslanija…), Odessa, 1906 ; I. Emel’janov, L’hérésie de BaSkin et de Théodose Kosoj, dans Trudꝟ. 18f>2 (divers titres » ; P.-M. Zaknov, Le starets Artème, écrivain du XVIe siècle (Starets Artemijl, dans Zurn. Min. Nar, l’r., 18X7, n. Il ; S. Sadkovskij, Artème, higoumène de la Troitsa, dans Clenija, 1891, n. 4 ; N. Kostomarov, Mathieu BaSkin et ses associés, Hist. russe en biographies, t. i, c. xix.

Nous ne connaissons L’hérésie de Théodose de Kosoj que par les travaux qui furent écrits contre lui. Il y en a deux : la Longue épîlre (Poslanie mnogoslovnoe) d’un auteur inconnu, mais qui est peut-être le fameux moine Zénobe Otenskij, et surtout la Démonstration de la vérité ( Pokazanie isliny) qui est certainement de ce moine.

La Longue épître fut écrite en réponse à une lettre envoyée à l’auteur par certains Lithuaniens orthodoxes, que les hérésies de Kosoj avaient émus. D’après ces Lithuaniens, Kosoj aurait nié l’utilité des églises matérielles, des icônes du Christ et de sa mère, des anges, des martyrs et des saints Pères. Les arguments de Théodose Kosoj sont les mêmes qu’on avait jadis attribués aux judaïsants : la prohibition du culte des idoles dans l’Ancien Testament. Il aurait aussi nié l’utilité de la prière, surtout vocale (des ecténies, etc.) et n’aurait admis que les métanies spirituelles en rejetant les corporelles. « Qui donc, s’écriait-il, a fait la division des jours, en jours de jeûne et jours gras ? Dieu a créé tous les jours égaux. » La distinction entre aliments permis et aliments interdits certains jours offusquait aussi notre novateur comme étant une « tradition humaine ».

Donnait-il aussi dans le libéralisme religieux ? Il semble avoir affirmé en tous cas que « tous les hommes, Tartares, Allemands et autres nations sont une seule chose devant Dieu », mais peut-être ne rejetait-il que l’orgueil démesuré des tenants de la troisième Rome.