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SCHISME BYZANTIN. RAPPORTS AVEC L'ÉTAT


de qui ils recevaient de larges aumônes. Ils louvoyèrent, donnèrent tort à Nicon sur plusieurs points, sacrifièrent en particulier le pouvoir indirect de l'Église sur le temporel, qu’il réclamait fort justement, et favorisèrent assez ouvertement les desseins eésaropapistes d’Alexis, en déclarant que le bon plaisir impérial est une loi, que personne, pas même un patriarche, n’a le droit de résister à un ordre de l’empereur. Voir les Réponses des patriarches, dans les Kocvovixccl Sia-âÇeiç de M. Gédéon, t. i, Constant inople, 1888, p. 341 -3<18, mauvaise édition ; édition meilleure dans les HaTp'.ap/ixà ëyYP a ? a ( 'e Delicanis, t. iii, p. 92 sq.

L'épiscopat russe, tout acquis aux idées de Nicon, fut fort mécontent de la réponse des Orientaux. Loin de l’accepter comme parole d'Évangile, il la passa au crible de sa critique, au concile de Moscou de 1667. Dans les débats qui eurent lieu, l'équivoque qui enveloppait la doctrine des patriarches orientaux fut dissipée et l’on arriva à la conclusion ferme que l'Église et l'État sont deux sociétés parfaites, égales entre elles, indépendantes l’une de l’autre dans leur domaine propre. La thèse du pouvoir indirect de l'Église sur le temporel fut sacrifiée ; mais c'était déjà une belle victoire des évoques russes d’avoir fait proclamer l’indépendance absolue de l'Église dans sa sphère. Au demeurant, certains théologiens russes continuèrent à professer la doctrine de Nicon dans son intégrité. Nous la trouvons en particulier dans le grand ouvrage d’Etienne Javorskij contre les protestants intitulé Kamen vêrij, La pierre de la foi. La supériorité de l'Église sur l’Etat est assez clairement insinuée là où Javorskij déclare que le devoir des empereurs est d’assurer le bien temporel et corporel de leurs sujets, tandis que la puissance spirituelle vise à procurer le bonheur total de l’homme dans son corps comme dans son âme. Kamen vêrꝟ. 3° éd., Moscou, 1749, p. 81.

Mais la doctrine de Javorskij sonnait mal aux oreilles de Pierre le Grand. Théophane Procopovic lui faisait entendre un tout autre langage, dont nous avons donné plus haut l’idée maîtresse, cf. col. 1440 sq. L'épiscopat russe dut à nouveau se courber sous le joug. Pendant les deux siècles qu’a vécu le régime instauré par l’autocrate, l'Église russe a produit pas mal de prélats courtisans. On en a vu appliquer au tsar les paroles de Jésus à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Certains orateurs dépassèrent tellement les bornes dans les éloges adressés à l’empereur, qu’en 1817 Alexandre I er, par un oukaze qui figure dans la collection des lois impériales, défendit d’attribuer à la majesté impériale des louanges qui ne conviennent qu'à Dieu. Il faut reconnaître pourtant que les thèses césaropapistes de Procopovic ont trouvé en Russie peu de partisans et beaucoup de censeurs impitoyables, toutes les fois qu’une lueur de liberté est venue laisser libre cours à l’expression spontanée de la pensée. C’est ce que l’on vit en 1905, lorsque parut un édit de tolérance et que la censure ecclésiastique relâcha un peu de ses rigueurs. Le régime synodal établi par Pierre le Grand fut l’objet des critiques les plus acerbes dans les revues des académies ecclésiastiques. On réclama la convocation d’un grand concile national et le rétablissement du patriarcat. Les projets de réforme affluèrent des quatre coins de l’empire. La Russie religieuse fit vraiment alors la confession publique de ses misères et de l’esclavage où l’avait réduite le césaropapisme des tsars. Malheureusement ce bel élan fut bientôt durement comprimé et l’on retomba sous la férule de l’Ober-procouror. L’avènement du gouvernement provisoire de Kerenskij (février octobre 1917) donna d’abord au clergé russe l’espoir fie l’affranchissement. Mais cet espoir fut bientôt déçu. Ce n'était pas un régime de vraie liberté

que le gouvernement de Kerenskij aurait réservé à l'Église, s’il s'était maintenu. On en a la preuve dans la composition et les débats du grand concile national de Moscou (1917-1918). Ce concile avait à peine commencé ses sessions que le bolchévisme triomphant déchaînait contre la malheureuse Église russe la plus perfide et la plus atroce des persécutions. Ce qu’il importe de remarquer, c’est qu'à la veille de cette persécution, l’ensemble des théologiens et des canonistes russes, loin d'être favorables au césaropapisme, réclamaient bien haut l’indépendance de l'Église dans sa sphère et critiquaient âprement le régime imposé par Pierre le Grand.

Grecs modernes.

Plus fidèles que les Russes à

l’ancien esprit byzantin, théologiens et canonistes grecs de la période moderne et contemporaine se sont montrés trop souvent favorables à la suprématie de l'État sur l'Église. Les quatre patriarches d’Orient ont été les premiers à donner l’exemple de cette attitude. Nous avons cité plus haut, col. 1439, un passage suggestif de leur encyclique de 1848. Avant cette date, en 1767, le patriarche œcuménique Samuel Khanzérid (1763-1768), avait loué le sultan d’avoir supprimé les deux patriarcats d’Achrida et d’Ipek et de les avoir replacés sous la juridiction de Constantinople, qualifiant le décret du souverain infidèle du nom de novelle impériale. Mansi-Petit, ConciL, t. xxxviii, col. 913-918. Nous avons vu aussi les mêmes patriarches d’Orient faire le jeu du césaropapisme par leurs réponses sur le cas du patriarche Nicon, par leur approbation octroyée à la légère au Règlement ecclésiastique de Pierre le Grand. De même, dans son Manuel de droit canon, Athènes, 1898, p. 21-23, le canoniste grec. Mélèce Sakellaropoulos ne trouve rien à redire, du point de vue doctrinal, au statut organique de l'Église hellénique de 1833-1852, que nous avons signalé ci-dessus, col. 1442 sq. Le même auteur déclare expressément que l'État a le droit d’intervenir dans les affaires ecclésiastiques, « lorsque l'Église n’observe pas les canons et a besoin de réforme ». Un autre canoniste grec, Eutaxias, nous apprend que l'Église orthodoxe n’a pas de doctrine arrêtée sur les relations de l'Église et de l'État et que la nature de ces relations varie suivant les États. Cette vue a au moins le mérite de cadrer avec les faits.

Mais d’autres auteurs prennent la défense de l’indépendance de l'Église et, poussés par des motifs apologétiques, s’efforcent de montrer que l'Église grécorusse, depuis le schisme, a maintenu cette indépendance. Du césaropapisme byzantin ils trouvent une explication ingénieuse : d’après eux, les empereurs, quand ils se mêlaient des affaires religieuses, le faisaient en vertu d’une délégation de l'Église et comme ses mandataires. Ainsi parlent le Grec Apostolos Christodoulou, Manuel de droit ecclésiastique, Constantinople, 1896, p. 122-128 et le Serbe Nicodème Milas, Le droit ecclésiastique de l'Église orientale orthodoxe, § 15 et § 222-225. Ce dernier expose une théorie des relations des deux pouvoirs calquée sur la doctrine catholique.

A en croire Chrestos Androulsos, les sources de la Révélation ne contiendraient rien sur le sujet qui nous occupe. Il distingue trois systèmes de relations des deux pouvoirs : la compénétration réciproque, auvaXXyjXîoc, qu’il trouve réalisée à Byzance ; la suprématie de l’Etat sur l'Église, TroXiTeioxpoma, pratiquée dans les États protestants ; la suprématie de l’Eglise sur l'État, [epoxpa-uia, enseignée par les catholiques. La sunallétie a toutes ses faveurs, et il préfère le régime de la séparation à la politéiocralie, qui a prévalu en Grèce. 'ExxX'/jrcia xal TroXireia, Athènes, 1902.

Depuis sa constitution, l’Eglise roumaine a plusieurs fois protesté contre le régime césaropapiste par la voix de ses meilleurs théologiens et canonistes, parmi