Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1865

SE NTE NC ES.

LECT1 It

L 8 6 6

reconnaître la même autorité qu’aux œuvres des maîtres en théologie. Par ailleurs pourtant, en raison île-, précautions et des garanties qui entourent cet enseignement, la lecture des Sentences demande à

être prise très au sérieux.

1° Œuore de bachelier. Elle n’est pas. et ne peut être œuvre du maître, dont le livre de texte est la Bible. Par conséquent elle marque le début de l’enseignement théologique, non pas nécessairement des études ni même des travaux d’un auteur donné. Si on eearte pour l’instant le problème de la rédaction et de l'édition de ce commentaire, il demeure, dans la série des ouvrages d’un maître en théologie, l'œuvre du début ; antérieure donc aux Questions disputées et aux Quodlibets. que seul le maître peut soutenir, antérieure aux commentaires script uraires, qui seront le thème de son enseignement. Il faut donc se garder de lui donner la préférence sur ceux-ci. Il n’y a pas encore la vigueur de pensée, ni la clarté d’exposition que les œuvres du maître apporteront. Et, dans l'étude d’un auteur, de l'évolution et du progrès de sa pensée théologique, le commentaire des Sentences ne peut être que le point de départ : c’est à partir de lui que doit se mesurer le progrès réalisé ou les changements survenus. II faut s’en souvenir pour un cas comme celui de la Somme théologique de saint Thomas, œuvre de maturité, laissée inachevée et dont la IIIe partie a été complétée par de simples emprunts à son I. IV des Sentences.

Mais, ces réserves faites, la lecture îles Sentences ne doit pas être sous-estimée comme valeur. Le bachelier qui l’entreprend est entré dans sa trentième année ; les règlements fixent cet âge, comme les trente-cinq ans pour la maîtrise : très souvent même il est bien plus âgé et il a exercé déjà, surtout s’il est religieux. plusieurs charges importantes dans son ordre. Il est donc en pleine possession de ses ressources. La scolarité requise de lui au préalable l’a rompu aux méthodes de l’argumentation et du raisonnement scolastiques. Il a entre sept et neuf ans d'études à la faculté de théologie : il a pris part comme respondens ou opponens aux séances de dispute : il a même enseigné déjà durant deux ans en qualité de bachelier biblique.

2° Œuore préparée. — Son commentaire lui-même est loin d'être improvisé : car on s’y prépare de longue date. On l’a déjà en vue quand, à titre d'étudiant, on assiste aux différentes leçons et du maître et des bacheliers qui, pendant ces années d'étude, se succèdent dans la chaire des Sentences. On réfléchit ; on confronte ; on note ; et par avance déjà on prend parti. Les manuscrits nous gardent encore la trace de ce travail : soit sous la forme de notes marginales qui accompagnent le texte des Sentences que l'étudiant possédait, et qui trahissent parfois les deux ou trois séries de cours auxquelles il a assisté. Tel, entre autres, le manuscrit de Paris, Bibliothèque nationale, lai. Il 702, où se trouvent mentionnés et relevés Albert le Grand, Kudes de Rosny, Herlrand de Bayonne, Jean de Montchy, Pierre de Lamballe, Etienne d' uxerre, Guillaume d’Auxerre. Soit sous forme de véritable recueil scolaire, collecte des principales questions cueillies au jour le jour aux lectures des bacheliers, et notées a la suite sur le cahier ; comme le fameux manuscrit de Paris. Bibliothèque nationale. lot. l’i '>. ; >_ patiemment et savamment décrit par M. Chenu, Maîtres et bacheliers de l’Université de l’uris fers 1240. dans Éludes li’hisl. lillcr. et doctrinale du XIW siècle, p. 11-39 ; ou le non moins célèbre recueil de la bibliothèque Vaticane, /"I. 1086, composé patiemment par Prosper de Reggio Emilia antérieurement et concurremment a sa lecture des Sentences. où sont notées toutes les questions, disputées en ces mêmes années 1311-131 1. qui peuvent avoir quelque

incidence sur son propre enseignement. Soit encore sous l’orme de compilation plus savamment conduite, où le travail de rapprochement est lait déjà, et où l’on possède sans doute le commentaire servi par le

bachelier, indiquant sans hésiter les sources où il a puisé, comme c’est le cas pour le ms. de Paris, Bibliothèque nationale, lut. 14 ~> ; o. foi. T 1 1 : Explicit lectura supra primum Sententiarum compilata ex diversis doctoribus et ex diversis lecluris. scilicet fratris l’home, lù/idii. Hervei, Durandi sallem in fine et ex quibusdam aliis bonis lecluris sicut ex qùestionibus de quolibet quorumdam doctorum specialiter magistri Thome de Balliaco cl quorumdam aliorum sicut patere potest in lectura. jacta anno Domini MCCCXVI.

D’une façon plus précise et plus directe encore, ce travail de préparation du bachelier se lit comme à livre ouvert dans ce qu’on pourrait appeler les brouillons de son cours. Tel est sans doute le cas pour le ms. d’Assise 186, dans lequel le P. Henquinet proposait de voir Un brouillon autographe de saint Honavenlurc sur le commentaire des Sentences, dans Etudes franciscaines, t. xliv, 1932, p. 633-655 ; t. xlv, 1933, p. 59-81 (encore qu’il inclinerait davantage maintenant à y voir plutôt le couronnement de son œuvre théologique et le fruit de ses lectures). Tel est à coup sûr le sens de recueils comme ceux de Paris, Bibliothèque nationale, lat. 10 407 et Mazarine 732, où, à raison de un ou deux folios réservés pour chaque distinction, se voient accumulés les matériaux, anonymes ou identifiés, qui serviront au bachelier à élaborer luimême sa construction quand son tour de lire les Sentences sera venu. C’est ainsi que dans ce dernier on trouve utilisés de préférence : Thomas d’Aquin, Pierre de Tarentaise, Gilles de Rome, Henri de Gand, Bonaventure, Alexandre de Halès, Richard de Mediavilla, Guillaume de La Mare, Godefroid de Fontaines, Jean Persora, Kilwardby, Peckham, dont les noms et les thèses, pour les sept premiers surtout, forment le fond de sa documentation.

Le commentaire ne sera donc pas une œuvre improvisée. Bien souvent même, par excès de conscience professionnelle, il fournira à propos de chaque thèse du Lombard un relevé très détaillé, comme un véritable répertoire, de toutes les positions prises pour ou contre elle, des explications qui sont venues les commenter différemment. Et ainsi s’explique le double caractère de polémique et d’actualité que revêt fréquemment cette première œuvre du bachelier. Il ne s’agit pas de discussion proprement dite, sous forme de dispute publique, puisque le commentaire est une leçon. Mais, dans cet exposé, le lecteur s’en prend à telle ou telle thèse précise, et généralement à telle doctrine récente dont il énumère tous les arguments et qu’il réfute longuement aussi, si cette thèse ne lui agrée pas. Les auteurs ainsi réfutés ne sont pas, en général du moins, désignés nommément ; on dira : quidam, magni, alii ; ou quidam magister novus, etc. Parfois les noms sont donnés. Un commentaire comme celui de Jean Baconthorp est particulièrement intéressant à cet égard à cause des références qu’il fournit. On en trouvera la liste, abondante, dans F. -M. Xiberta, De scriptoribus scholasticis sœculi XIV ex ordine carmelilarum, Louvain, 1931, p. 204 sq. Jean Brerner abonde également en citations et références. Voir Meier, Citations scolastiques chez Jean Bremer, dans Rech. de théol. anc. et médiév., t. iv, 1932, p. 160-186. Mais nombreux sont ceux qui agissent comme eux. Par là, par ce désir qu’a le bachelier de se montrer au courant des dernières discussions, et souvent même d’y prendre position pour sa part, les commentaires sur les Sentences reflètent assez bien l’actualité théologique et philosophique.