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SILVESTRK II


Gerbert, qui séjourna quelque temps encore à la cour impériale, reçut finalement l’abbaye de Bobbio, dont la splendide bibliothèque était bien de nature à lui proeurer maintes satisfactions, dans le domaine des mathématiques surtout. Le fameux Codex Arceriaruis (aujourd’hui à Wolfenbuttel) qu’il y trouva, lui fournit les œuvres des arpenteurs romains Balbus, Nipsus, Épaphrodite, qu’il eut l’occasion d’utiliser. Mais le milieu même de Bobbio ne donnait à Gerbert que des satisfactions modérées. L’opinion publique, en Italie, se montait de plus en plus contre les étrangers ; la mort d’Otton 1 1 (982) précipita les événements. En 983, Gerbert regagnait Reims, où il revenait à ses anciennes fonctions : il pensa quelque temps à reprendre le chemin de l’Espagne. Bientôt d’ailleurs la politique allait l’accaparer, au point de ne lui laisser plus guère de temps pour des études désintéressées.

Nous n’avons pas à étudier ici, dans le détail, l'œuvre littéraire de Gerbert. En dehors de sa correspondance, très précieuse à bien des points de vue (la vieille édition d’André Duchesne, reproduite dans P. L., t. cxxxix, col. 201-264, le cède à celle de J. Havet, Lettres de Gerbert, Paris, 1889), elle comprend à peu près exclusivement des ouvrages de mathématiques, que l’on trouvera rassemblés dans Bubnov, Gerberti opéra mathematica.

Quant au traité De corpore et sanguine Domini, mis sous son nom par Pez, et reproduit dans P. L., t. cxxxix, col. 179-199, il n’est certainement pas de Gerbert, voir ici t. xi, col. 809. Le Sermo de informatione episcoporum, édité par Mabillon et reproduit ibid., col. 169-178, est donné par un seul des mss qui le contiennent comme l'œuvre d’un Gilbertus philosophus papa urbis Romæ ; son authenticité est loin d'être établie. Nous retrouverons plus loin, col. 2081, le De rationale et ratione uti, ibid., col. 159-162, qui est la résolution d’une difficulté dialectique soulevée par un mot de Porphyre.

L’homme politique.

1. Gerbert au service d’Adalbéron de Reims. — A partir de 983, date où il était rentré à

Reims, Gerbert se mit de plus en plus au service de la politique de son archevêque, Adalbéron, qui, depuis 969, occupait le siège de saint Rémi. Comme tous ses prédécesseurs, Adalbéron se mêlait beaucoup des grandes affaires du royaume de France ; mais, tandis que les anciens archevêques s'étaient montrés les meilleurs soutiens de la dynastie carolingienne contre les Robertiens, lui ne faisait pas mystère de ses sympathies pour la famille qui, arrivée deux fois déjà au trône de France, mais deux fois évincée, n’avait cessé de renouveler ses tentatives. En favorisant Hugues Capet, Adalbéron, d’ailleurs, songeait davantage encore aux intérêts de la dynastie allemande des Ottons qu'à ceux des Robertiens. Le roi carolingien Lothaire (954-986) était, en effet, pour l’Allemagne un voisin quelque peu gênant. En 985, quand Lothaire, profitant de la minorité d’Otton III, se jette sur l’Alsace, puis sur Verdun, Adalbéron, aidé de Gerbert, intrigue pour opposer au Carolingien « qui ne gouverne la France que de nom, Hugues Capet qui en est le maître véritable ». Gerbert, Epistol., xlviii, édition Havet. L’union des Allemands avec les Robertiens, explique Gerbert, ce serait la perte de Lothaire et le salut d’Otton III. Cette machination faillit être funeste à Adalbéron. Cité par le roi Louis Y, qui venait de succéder à son père Lothaire († 2 mars 986), à comparaître devant l’assemblée de Compiègne (mai 987), Adalbéron n'évita la peine que méritait sa félonie quepar la mort accidentelle de Louis Y (22 mai). Mais alors, d’accusé, Adalbéron devint l’arbitre de la situation. C’est lui qui, à l’assemblée de Sentis (derniers jours de mai), fait donner la couronne de France à Hugues Capet, lui qui sacre le nouveau souverain dans

la cathédrale de Reims (3 juillet 987). Dans toute cette affaire, Gerbert avait été sans cesse, pour Adalbéron, l’auxiliaire le plus actif.

2. Le concile de Saint-Basle.

Dix-huit mois plus tard, Adalbéron mourait (23 janvier 989). Gerbert avait eu des promesses ; il comptait que la reconnaissance d’Hugues Capet lui assurerait le siège de Reims. Mais celui-ci le donna à Arnoul, un bâtard du feu roi Lothaire, espérant désarmer ainsi les derniers Carolingiens. Le calcul ne réussit pas ; bien vite Arnoul trahit Hugues Capet, qui finit par mettre la main sur lui et demanda contre le prélat félon une sentence de déposition au pape Jean XV. Voir Mansi, Concil., t. xix, col. 173. Comme celui-ci tardait, le roi convoqua pour le 17 juin 991 un concile des prélats français au monastère de Saint-Basle de Verzy. Cette assemblée, dont Gerbert lui-même donne un long récit dans ses Acla concilii Remensis ad Sanclum Basolum, P. L., t. cxxxix, col. 287-338 (abrégé par Richer dans son Historia, t. IV, c. li-lxxiii, P. L., t. cxxxviii, col. 147155), groupait, avec les suffragants de Reims, les archevêques de Sens et de Bourges, les évêques d’Orléans, Autun, Langres et Mâcon, enfin un grand nombre d’abbés de monastères. La présidence revenait à l’archevêque de Sens, Séguin ; mais le véritable animateur du concile était un autre Arnoul, évêque d’Orléans, dont Gerbert inspirait les démarches. Les deux rois, Hugues et son fils Robert, associé au trône, arrivèrent à l’assemblée le 18 juin.

Arnoul de Reims finit par avouer la trahison dont il s'était rendu coupable ; mais, quand il s’agit de statuer sur la peine, ses défenseurs, qui se recrutaient surtout parmi les abbés, firent valoir que la cause n'était plus intacte, puisque le pape en avait été régulièrement saisi ; d’ailleurs, c'était là une « cause majeure » que le droit, ou plutôt la jurisprudence, réservait au Saint-Siège. Depuis le ixe siècle, cette jurisprudence s'était inscrite dans les Fausses Décrétais, dont nul n’avait plus l’idée de contester l’authenticité. Les décrétales attribuées à Damase furent lues à l’assemblée ; elles auraient dû emporter pièce et empêcher le concile de procéder contre l’archevêque félon. Mais l'évêque d’Orléans, Arnoul, fourni d’arguments par Gerbert, ne s’en laissa pas imposer. Luimême et son inspirateur se rendaient obscurément compte que les collections canoniques authentiques étaient les témoins d’une jurisprudence toute différente de celle que préconisaient les faux isidoriens ; les conciles africains, en particulier, leur donnaient et des précédents et des textes législatifs montrant à l'évidence que les « causes majeures » dont on parlait tant n'étaient pas, de droit, réservées au Siège apostolique. Arnoul le dit, il le dit avec véhémence et bientôt de la région sereine des idées générales descendit dans le champ de la polémique contre les occupants du Siège apostolique. Bien des échos étaient venus jusqu’en France des événements pénibles ou même scandaleux qui, au cours du xe siècle, avaient déshonoré le Saint-Siège. Tout cela fut rappelé sans pitié. Le raisonnement d’Arnoul ne menait à rien de moins qu'à l’idée qu’il y avait lieu de refuser l’obéissance à des papes ignorants et immoraux. Que restait-il à faire aux Églises locales, sinon à s’organiser ellesmêmes dans une large autonomie. « Cherchons, disait l’orateur, où se pourraient trouver les éléments de la parole divine. A coup sûr, il y a en Gaule Belgique, en Germanie, des évêques tout à fait remarquables par leur piété… Ne vaudrait-il pas mieux s’en rapporter à leur jugement qu'à celui d’une ville où tout, à l’heure présente, est à l’encan, où les jugements se rendent non d’après l'équité, mais d’après la quantité des écus qui ont été versés ? » P. L., loc. cit., col. 314 B.

Tous ces propos étaient fort dangereux et n’allaient