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SIMON (RICHARD)


elles-mêmes, sans nulle préoccupation professionnelle, sans injurier les auteurs, comme c’était assez l’usage de son temps.

Dans le t. III, en faisant la critique des commentateurs, il raconte en réalité la véritable histoire de la pensée religieuse depuis les époques les plus lointaines : aucun auteur n’a vu la même chose dans la Bible. En montrant combien elle est difficile à interpréter, il répond à Luther et Calvin qui veulent fonder toute la vie religieuse et même la théologie sur le seul texte de la Bible ; cf. Lettres choisies, t. ii, p. 229 sq. ; il répond aussi à des théologiens qui veulent appuyer, non seulement leurs principales thèses théologiques, mais toutes leurs conclusions sur des citations de l’Écriture, et aux écrivains, très nombreux de son temps, qui décriaient l’érudition exégétique. La Bible est inexplicable, pense-t-il, pour quiconque n’est pas armé de toutes les ressources de la science scripturaire. Pour sortir de cette difficulté, il faut établir l’histoire de la critique biblique sur le principe de la continuité de la tradition, malgré sa diversité. Elle est diverse assurément dans les l’éres, dans Cajétan, dans Maldonat… Chaque génération apporte son contingent de pensée à l’héritage qu’elle croit transmettre avec intégrité, aussi la tradition reste-t-elle continue. Cela n’est possible que par le privilège d’une Eglise aussi souple que le catholicisme, avec l’autorité vivante qui le constitue et qui permet cette expérience toujours nouvelle du divin. Richard Simon revient sur ces idées dans la Lettre à M. l’abbé P. touchant l’inspiration des Livres sacrés, par le prieur de Dolleville, Rotterdam, 1699, in-4°. En commençant, il fait cette déclaration très raisonnable : « Ce sont des hommes qui ont été l’instrument de Dieu et qui, pour être prophètes, n’ont pas cessé d’être hommes. Le Saint-Esprit les a conduits d’une manière qu’ils ne se sont jamais trompés dans ce qu’ils ont écrit ; mais on ne doit pas croire pour cela qu’il n’y a rien dans leurs expressions que de divin et de surnaturel. Au moins, n’est-ce pas la pensée des Pères, ni de nos plus savants théologiens. » Voir aussi Lettres choisies, t. iii, p. 206.

L’Histoire critique déplut presque également à quelques catholiques et aux protestants les plus zélés. Un exemplaire de la table saisi par Tornard est remis par Eusèbe Benaudot à Bossuet qui y voit « un amas d’impiétés et un rempart du libertinage ». Ce prélat court le jeudi saint 1078 chez le chancelier Le Tellier qui fait saisir deux exemplaires, dont l’un pour Bossuet et l’autre pour Nicole, lequel y voit surtout la critique de la doctrine de saint Augustin sur la grâce. Le lieutenant de police La Reynie fait mettre au pilon les 1 300 exemplaires dont se composait l’édition : Batterel prétend que le coup fut porté surtout par les jansénistes qui en voulaient à l’auteur de sa lettre sur la Perpétuité de la foi et de son refus d’être leur agent secret près d’Innocent X, ce qu’accepta de faire le P. Poisson, p. 251. Voir ici art. Poisson, t.xii, col. 211 1. Simon, lui, accuse Nicole : « C’est lui qui a eu le plus de part à la suppression de mon livre, bien qu’il n’en ait pas été le premier auteur… C’est l’homme le moins capable de Paris à en juger, parce qu’il ne s’est jamais appliqué à cette sorte de littérature dont il ignore même les premiers éléments. » Lettres choisies, t. iv, p. 52, et Bibl. crit., t. iv, j>. 01, lettre ix au P. Du Breuil. Pour faire revenir ses juges de leurs préventions, il écrit le Mémoire instructif touchant le livre qui a pour litre : Histoire critique du Vieux Testament. Le P. de Sain le Marthe prie Bossuet de ne pas engager la congrégation dans cette affaire ; il reçoit « cite réponse : i Vous savez combien je la respecte et

avec quel zèle J’embrasserai ses intérêts, 16 avril

1678. Simon accepte de faire les corrections nécessaires, de mettre son livre en latin, 7 mai. Il le répétera

en février 1070. Ce n’était peut-être qu’une feinte et Bossuet l’en accusera, car le P. de Sainte-Marthe ne put obtenir qu il changeât seulement le titre en supprimant le mot critique à qui on donnait parfois le sens de satirique. Le général écrivit à Le Tellier : « Nos l’éres assistants et moi ne souffrirons jamais dans la congrégation une personne qui s’oppose à ce que vous commanderez… La permission… d’imprimer n’est jamais fondée que sur l’approbation des docteurs nommés par le roi », 18 mai. Le 21 mai, il signifie au P. Simon son exclusion de la congrégation : les difficultés dans lesquelles celle-ci se trouvait ne furent pas étrangères à cette décision et le livre lui-même n’en fut pas le principal motif.

Quelques exemplaires échappés au pilon furent copiés en Angleterre et servirent de base à deux éditions hollandaises dont celle d’Amsterdam, 1085, est la plus exacte. Simon prétendit qu’il n’y était pour rien : il est possible qu’il s’y soit opposé un moment ; il espérait encore que son livre pourrait être réimprimé à Paris ; il était en pourparlers à ce sujet avec Bossuet qui le reçut plusieurs fois. Tout cela reste obscur. Voir A. Bernus, Richard Simon, p. 131-134. Il y eut une édition Elzevier très fautive, faite sur une copie de Mme la duchesse de Mazarin, une latine traduite en 1081 sur l’Elzevier par Noël-Aubert de Versé, une allemande. Voir Bernus, ibid., p. 131-140. L’ouvrage fut mis à l’Index le 1 er décembre 1082.

Sans doute la condamnation si rapide et si complète de l’Histoire critique s’explique par l’état d’esprit d’alors, de la Sorbonne en particulier qui, sous la surveillance du gouvernement, exerçait une censure sévère et étouffait à son apparition tout livre portant une idée nouvelle. Mais, malgré sa grande valeur, malgré les connaissances très nombreuses dont elle témoignait, l’œuvre de Bichard Simon donne par bien des côtés prise à la critique : 1. Sauf pour le Pentateuque, la question de l’auteur et de l’époque de la composition des livres de l’Ancien Testament est à peine abordée : « Il est, dit-il, inutile de rechercher avec curiosité les auteurs particuliers de chaque livre de la Bible, parce qu’on n’en peut avoir que des conjectures incertaines », p. 20. — 2. Il suppose que, à l’instar de l’Egypte et des monarchies orientales, le peuple hébreu a eu ses scribes, lesquels étaient considérés comme inspirés et appelés prophètes : cela paraît bien peu probable avant l’établissement et le développement de la royauté. — 3. Sa prétention paraît assez arbitraire de retrouver partout trois couches successives d’historiens : les écrivains qui ont composé une première lois ; ceux qui ont donné une nouvelle forme aux actes de leurs prédécesseurs, des prophètes inspirés, eux aussi, de beaucoup postérieurs, qui ont rassemblé ces mémoires et les ont réunis en un seul corps. Sans doute, le texte a pu se perfectionner peu à peu, à la manière d’un corps organique qui progresse, l’inspiration divine lui conservant toujours son sens originel, mais cette régularité dans le développement paraît bien excessive. — 4. Pour rendre compte des inver sions dans le récit après la fixation définitive du texte, Simon suppose que les rouleaux sur lesquels il était écrit ont été déplacés, embrouillés et qu’ainsi l’ordre a été bouleversé en plus d’un endroit et que, dans la suite des temps, il en est résulté beaucoup de confusion. C’est en réalité un bien grand effet d’une petite cause, a laquelle il était facile de remédier.

Bossuet n’avait donc pas tout à fait tort quand, en jugeant ce que Simon a écrit du Nouveau Testament, il appréciait toute son iruvrr en disant : i Quand, par sa critique, Simon faisait semblant de vouloir établir la tradition et réduire les hérétiques à la reconnaître, il en renversait la principale partie et le fondement de l’authenticité des Livres saints, i Défense de la Tradi-