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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/388

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SOCIALISME. ATTITUDE DE L'ÉGLISE

tâche presque surhumaine n’offrant guère d’intérêt pour le théologien.

III. LE SOCIALISME VU PAR L’ÉGLISE. — Il n’est pas rare que l’intervention du magistère ecclésiastique, en condamnant des erreurs insidieuses jusque-là, inconsistantes et mal définies, aboutisse à ce résultat paradoxal de les révéler pour ainsi dire à elles-mêmes en même temps qu’aux autres. Ce n’était qu’un état d’esprit, un ensemble de tendances sans lien apparent, d’autant plus redoutable qu’on pouvait y céder de bonne foi et s’y complaire sans en percevoir le danger. Alors l’Église se prononce : tandis que les hérésiarques protestent de leur pureté d’intention, se plaignent d’être incompris, déclarent qu’on raidit et qu’on travestit leurs conceptions en leur imposant une forme systématique qu’ils n’ont jamais imaginée, l’Église dégage sous les formules anodines ou équivoques, voire sous les conclusions matériellement acceptables, le principe secret qui les anime et qui les vicie. Ce n’est donc pas toujours chez les fauteurs d’opinions hétérodoxes que l’on trouve l’exposé le plus pénétrant et le plus profondément vrai de ces opinions dont la portée et les insuffisances théologiques leur échappent souvent ; parfois l’erreur ne reçoit sa formule parfaite et définitive que du texte où l’Église la condamne.

Tel est assurément le cas du socialisme. Les socialistes eux-mêmes doivent renoncer à s’entendre sur la définition de leur doctrine. Ignorant le sens profond et la nature théologique du socialisme, ils se contentent d’en saluer et d’en décrire les aspects engageants, pour séduire la clientèle du jour. Seule l’Église, divinement assistée et riche d’une mémoire millénaire, découvre sous le visage changeant du socialisme l’erreur proprement antichrétienne qui le constitue essentiellement.

De là vient que l’attitude de l’Église à l’égard du socialisme déconcerte les observateurs superficiels. Il semble qu’elle lui oppose à priori une fin de non recevoir, le condamnant sans l’entendre, ou du moins sans s’appliquer suffisamment à en critiquer les thèses explicites, à raison de présupposés métaphysiques et théologiques dont la plupart des socialistes n’ont point conscience ou dont ils se désintéressent. En outre, vue du dehors, l’attitude de l’Église prend parfois une apparence d’illogisme, sinon d’hypocrisie, car elle repousse, lorsqu’ils viennent du socialisme, des vœux ou des critiques de l’ordre politique ou économique dont on retrouve, semble-t-il, l’équivalent dans la tradition doctrinale la plus authentiquement chrétienne et elle condamne, lorsque le socialisme les préconise, certaines institutions dont elle savait jadis s’accommoder quand un État chrétien les mettait en œuvre. Enfin, hors de l’Église et dans l’Église, on croit voir que l’hostilité de l’enseignement ecclésiastique à l’égard du socialisme n’est qu’une manifestation secondaire d’un préjugé tenace et général contre les nouveautés ; les adversaires de l’Église en profitent pour l’accuser d’être réfractaire au progrès et de souhaiter un retour à l’ignorance et à la barbarie des siècles passés, tandis que certains fidèles, riches de bonnes intentions mais parfois imprudents, s’efforcent de réconcilier l’Église avec la société moderne et se scandalisent lorsque leurs loyaux efforts sont condamnés par l’Église elle-même comme vains et injurieux.

Ces malentendus se dissiperont lorsque nous aurons écouté jusqu’au bout l’enseignement de l’Église, notamment celui des souverains pontifes s’exprimant dans leurs lettres encycliques, leurs allocutions et autres documents solennels ou ordinaires du magistère romain. Nous consulterons aussi certains témoins de l’enseignement catholique, spécialement qualifiés par leur dignité et par les approbations officielles qu’ils ont reçues de Rome, comme par exemple le cardinal Pie, le P. Taparelli d’Azeglio ou le P. Liberatore.

Les premières condamnations touchant le socialisme nous présentent celui-ci comme une entreprise avouée de déchristianisation. A vrai dire, cette secte se différencie peu d’entreprises similaires : sectes maçonniques, sociétés bibliques, carbonarisme, toutes englobées dans une vive réprobation, animées de desseins révolutionnaires, également ennemies de l’ordre politique et de l’ordre chrétien. Et l’origine commune de ces divers mouvements se trouve nettement signalée dans la filière suivante : la Révolution française, auparavant la « philosophie » et tout d’abord la prétendue réforme protestante. Le rôle important que, dans cette genèse, l’Église reconnaît aux principes de 1789, c’est-à-dire l’affirmation des libertés modernes et d’un droit nouveau, suggère le rattachement du socialisme au libéralisme. Aussi bien cette liaison est-elle explicitement déclarée par le magistère. Dans l’encyclique Immortale Dei, Léon XIII évoque les temps anciens et heureux où la philosophie de l’Évangile gouvernait les États : les lois, les institutions, les mœurs étaient pénétrées de la sagesse chrétienne ; la religion du Christ était respectée et les princes tenaient à honneur de la servir et de la promouvoir ; cette heureuse concorde entre les deux pouvoirs et l’amical échange de bons offices qui s’ensuivait engendrèrent des fruits de civilisation supérieurs à toute attente. De la conversion de Constantin jusqu’à la Réforme, la société chrétienne se considérait comme un corps unique, soumis à Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Roi, qui la gouvernait par le moyen de ses deux représentants, le principat sacré et le principat civil ; entre ceux-ci, une hiérarchie incontestée mettait le pouvoir civil au service du pouvoir spirituel. Le modèle des princes chrétiens, Charlemagne, rendait témoignage à la vérité lorsqu’il s’intitulait « Charles, par la grâce de Dieu, roi, défenseur de l’Église et, en tout, fidèle appui du Siège apostolique. »

Sans oublier l’invasion musulmane, la naissance d’États chrétiens nationaux indépendants et ennemis du Saint-Empire, c’est néanmoins à la prétendue réforme protestante que les papes et les écrivains ecclésiastiques imputent la lourde responsabilité des maux présents. En effet, si la religion chrétienne est la clef de voûte de tout l’ordre politique, celui-ci devait se voir compromis par la brisure protestante. En ce sens, de la part des puissances catholiques, les traités de Westphalie furent une véritable trahison, puisqu’ils reconnaissaient, en droit, avec la liberté de religion, l’autorité politique légitime de princes protestants et consacraient en Europe la ruine de l’unité religieuse. Il fallait s’y attendre, car le « pernicieux et déplorable goût de nouveautés que vit naître le xvie siècle » ne se borna pas à bouleverser la religion chrétienne ; il se répandit, suivant une pente naturelle, dans la philosophie, dans les doctrines sociales et juridiques, et de là dans les institutions civiles et les mœurs politiques.

« C’est à cette source qu’il faut faire remonter ces principes modernes de liberté effrénée, rêvés et promulgués

parmi les grandes perturbations du siècle dernier (il s’agit du xviiie siècle), comme les principes et les fondements d’un droit nouveau, inconnu jusqu’alors, et sur plus d’un point en désaccord non seulement avec le droit chrétien, mais avec le droit naturel ». Encyclique Immortelle Dei.

Nous atteignons donc ici la ligne décisive de partage entre les deux cités et le point où elles s’opposent irréductiblement. Faute de remonter à ce principe théologique, l’histoire moderne devient inintelligible pour le chrétien ; les intentions les plus pures des réformateurs politiques et sociaux se voient contredites par leurs effets pernicieux, la critique des fausses doctrines