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    1. SORCELLERIE##


SORCELLERIE. POSSIBILITÉ

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Diverses espèces.

Il n’y a sorcellerie proprement dite que s’il y a un recours à une puissance

supérieure et que s’il y a maléfice. Le genre ainsi constitué, on a pensé y distinguer quatre espèces, dont trois d’ailleurs n’en sont que des contrefaçons ou des variétés.

1. Si l’influence que le sorcier recherche reste d’ordre naturel, il y a une sorcellerie naturelle, assimilable à ce qu’on a appelé la magie blanche, « qui se base sur des recettes empiriques, sur le principe de similitude ou de sympathie et qui n’a rien à faire ni avec la religion, ni avec la morale », sauf le préjudice très réel que cette technique enfantine peut arriver à produire. R. Allier, Magie et religion, 1935, p. 10. i Rien n’y décèle une apparence de religieux », sauf les simulations extérieures du sorcier. Loc. cit., p. 12. Far un acte où il perçoit une fausse possibilité d’action en sous-entendant peut-être une causalité occulte, mais de son rang, celui-ci prétend arriver à tel effet qui étonnera le public. Même s’il y parvient, et s’il prétend avoir dirigé à son gré une influence inconnue, cette influence se tient, en son esprit, sur le plan du naturel. Le geste du primitif qui prétend, par des procédés naturels pour lui, agir sur le cours des saisons ou sur le résultat d’une chasse, n’est donc pas de l’authentique sorcellerie, pas plus que celui du guérisseur qui recourt sans discernement aux vertus des simples : début d’une science expérimentale ou résidu incompris d’une technique ancienne, dans les deux cas, il ne s’agit que d’une fausse application du principe de causalité. Ainsi en va-t-il, actuellement encore, des recettes de médecine populaire.

2. La vraie sorcellerie, au contraire, pense bien se poser en face d’une puissance supérieure à la nature ; et, à l’inverse de la religion qui s’incline et qui prie, elle émet la prétention d’asservir cette puissance à ses fins humaines et égoïstes. La sorcellerie a ainsi des frontières communes avec la religion : il peut arriver que la formule magique s’accompagne de prière, surtout dans l'âme du client ; mais, au fond, l’attitude du sorcier et celle de l’homme religieux sont essentiellement différentes et même opposées.

3. Plus souvent encore arrive-t-il que le sorcier recouvre ses prétentions de signes empruntés à une religion, à la pratique médicale, etc. Ceci amène à distinguer entre le sorcier véritable, qui exerce une influence vérifiable, et le sorcier simulateur, qui se contente, avec beaucoup de bon sens et une finesse assez aiguisée, d’un certain apparat destiné à frapper des imaginations toutes disposées d’avance à se laisser persuader. L’essentiel pour ce pseudo-sorcier, dont l’espèce est la plus nombreuse de toutes, consiste à trouver une recette si compliquée qu’au cas d’un échec, celui-ci soit imputable à une faute du demandeur, le profit restant à lui seul en cas de réussite. Ch. Lancelin, La sorcellerie dans les campagnes, p. 51-57.

Dans ce vain apparat prennent place pêle-mêle des éléments empruntés soit aux religions courantes, soit à l’ancienne magie, avec des déformations intentionnelles ou ducs à l’ignorance, qui rendent les mots et formules tout à fait méconnaissables et inintelligibles. Pour les formules chrétiennes (?) au Moyen Age, voir Franz, Die kirclil. Bcnediktioncn un Mittelaller, 1909, et Die Messe im deutsehen Mittelalter, 1902, passim ; pour les formules hétéroclites, voir par ex. S. Berger, dans Mélusine, t. ii, p. 211°. Ce rituel de charlatan est rempli de caractères bizarres et de prescriptions précises qui relèvent « le la vaine observance, sauf que cette dernière se contente souvent d’attendre telle conjoncture jugée favorable, tandis que la sorcellerie la provoque. On compose par exemple des prières avec huit de signes de croix faits de la main gauche et tels mots efficaces, des

potions avec telle herbe cueillie à tel jour et à telle heure, etc. « Généralement, il n’y a rien de bien impie en cette magie blanche, dont l’ineptie égale la candeur ; et, à moins d'évocation plus ou moins expresse du démon, le mieux est peut-être de la combattre par d’opportunes railleries. » J. Didiot, Morale surnaturelle spéciale, p. 486.

4. A mi-chemin entre cette sorcellerie anodine et le vrai maléfice, on doit faire une place à l’ensorcellement par suggestion, qui, sans action directe sur la santé, peut fort bien détraquer les cervelles. Le moyen le plus sûr pour le sorcier privé de vrais secrets d’augmenter son influence est d’inspirer la crainte : quand sa réputation a été établie par un heureux hasard, « quand on sait qu’un signe de lui peut amener la maladie ou la mort, … alors il peut user et abuser de son ascendant : la réussite pour lui est en quelque sorte assurée. Dans ce cas et sans qu’il s’en doute luimême, il agit par suggestion. Il a voulu d’abord acquérir de l’influence ; … à ce jeu, sa volonté s’est affirmée, à son insu ; et maintenant il met en œuvre l’hypnose, sans connaître ni le mot, ni la chose ; et désormais, pour lui résister, il faut engager contre lui une lutte de volonté dont sont incapables des paysans frustes, dominés d’avance par le charmeur ». Ch. Lancelin, op. cit., c. iv, p. 79 sq.

5. Le maléfice est un élément, en somme, essentiel a la magie noire, puisque le recours au démon ne peut tourner qu’au mal de ses clients ; en tous cas, c’est un caractère propre à la sorcellerie, dans tous les sens où l’on prend ce mot d’ordinaire. A ce point de vue, les guérisseurs sont mis à part des vrais sorciers. Sur les guérisseurs, voir deux articles de l’Ami du clergé, 1902, p. 824 et suiv. ; et 1933, p. 657 et suiv. ; entre les deux solutions, il y a une marge qui est sans doute proche de la vraie prudence. On distingue, parmi les maléfices coutumiers des « jeteux de sorts », ceux qui atteignent : les éléments inanimés, comme la pluie, la grêle, la gelée, les moissons, etc., les animaux, surtout ceux des étables, les hommes enfin ; et l’on cite des exemples de maladies étranges et d'épidémies tenaces. Cf. Ami du clergé, 1902, p. 980, dont nous ne garantissons pas toutes les références. On a pensé mettre à part, parmi les œuvres des sorciers, ce qu’on a appelé les philtres d’amour, qui consistent à inspirer un amour ou une horreur irrésistibles à un homme ou à une femme ; mais, dans la mesure où le diable aurait besoin d’intervenir en pareille matière, il est bien évident que c’est aussi un maléfice, sans qu’il soit à propos d’y voir une espèce distincte de sorcellerie. D’ailleurs tous ces méfaits, dont la gravité et la réalité sont variables, ne se distinguant que matériellement les uns des autres, ne peuvent constituer de véritables espèces de sorcellerie. Celle-ci, qui consiste essentiellement à faire du mal par un appel à des forces surnaturelles, ne comporte que trois contrefaçons : par suggestion, par vaine observance, enfin par l’intervention de quelque procédé naturel, ces quatre variétés pouvant d’ailleurs se mêler l’une a l’autre.

II. Possibilité et mécanisme.

A propos de chacune d’elles, une enquête préalable doit être établie par une saine philosophie, sur sa possibilité et sur son mécanisme, si l’on peut dire. La philosophie scolastique en a donné des explications plausibles qui auraient intérêt à être précisées par la science moderne.

1° Les anciens théologiens, en effet, n’ont jamais examiné ces questions dans leur ensemble, mais plutôt, comme il se devait, à propos de chacun des agents qu’elles prétendent mettre en jeu. Bornonsnous a signaler les solutions de saint Thomas, éparses dans ses deux Sommes et dans différents opuscules. Sur les maléfices en général, cf. Contra Cent., t. III, c. cvi.