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    1. SOUFISME##


SOUFISME. HISTOIRE

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ment mental, le culte de l’extase pour elle-même. Jotiayd [fvers ! î70(884)] réalise l’unification doctrinale de l’école de Bagdad. Le premier, il repère cette nuit de l’âme qui prélude à l’union mystique, dont Bistâmi avait pressenti les angoisses et dont Hallâj endurera l’épreuve. Mais Jonayd ne pousse pas l’expérience aussi loin, il en expose les données et laisse à ses auditeurs le soin de conclure en expérimentant personnellement. Il enseigne que, pour arriver à une pure parole d’acquiescement à la volonté divine, il est nécessaire de nous soumettre à un décapement progressif et implacable de tout notre être, afin d’atteindre l’annihilation en celui à qui nous pensons. Cette annihilation est en fait une transfiguration où l’amour produit, par permutation avec les qualités de l’amant, une pénétration des qualités de l’aimé. Massignon, Essai, p. 277.

6° El Hallâj (le cardeur) est le prince des mystiques musulmans. Né vers 244 (858) dans les provinces orientales du khalifatabbaside (nord-est du golfe Persique), il passe son enfance à YVâsit près de Bagdad. Pendant vingt-quatre ans (873-897) il vit en disciple auprès de maîtres soûfîs, puis il les quitte pour faire le pèlerinage de la Mecque et voyager jusqu’en Chine en prêchant sa mystique. Au retour de son troisième pèlerinage mecquois, à Bagdad en 908, il est accusé de blasphème et d’hérésie, mis en prison pendant huit ans, flagellé, inutile, exposé sur un gibet pour être finalement décapité et brûlé le 26 mars 922. Hallâj apporte enfin dans l’islam la solution correcte au problème de l’union mystique. Il définit celle-ci comme une identification intermittente du sujet et de l’objet, du mystique et de son Dieu, qui ne se renouvelle que par une transposition incessante et amoureuse des rôles entre eux deux, par une alternance vitale comme la pulsation, se surimposant de façon surhumaine et transcendante, sans jamais se stabiliser normalement ni de façon permanente, ici-bas, pour le cœur d’un quelconque sujet humain. Massignon, Essai, p. 284. Mais il enseignait encore ceci, qui ne pouvait que heurter profondément les purs traditionalistes de l’islam :

Au terme do la sainteté, à la consommai ion de l’union divine, le saint est plus qu’un prophète chargé d’une mission extérieure à remplir, délégué avec une loi à faire observer ; le saint ayant parfaitement uni sa volonté à celle de Dieu se trouve en tout et partout interpréter directement la volonté essentielle do Dieu, participer à la nature divine, transformé en Dieu. Massignon, Passion, p. 115-116. « O guide des extasiés, s’écriait-il publiquement durant son dernier pèlerinage à la Mecquo, Roi glorieux, je Te sais transcendant, au-dessus… de tous les concepts de ceux qui T’ont conçu ! O mon Dieu, Tu me sais impuissant à T’otïrir l’action do grâces qu’il Te faut. Viens donc en moi Te remercier Toi-même, voilà la véritable action de grâces ! il n’y en a pas d’autre. (Op. cit., p. 116.) « Jo suis devenu Celui que j’aime et Celui que j’aime est

[devenu moi ! « Nous sommes deux esprits infondus en un (seul) corps. « Aussi me voir, c’est Le voir. « Et Le voir, c’est nous voir. » Hallâj, Tawâsln, dans Passion, p. 518.

Telle est la découverte ultime et le dernier message exposé par la véhémente prédication d’cl-IIallàj après 295 (907). Il crie sa joie d’avoir atteint, de posséder « Celui qui est au fond de l’extase ». Massignon, Passion, p. 1 17.

Mais ces doctrines étaient trop hautes pour pouvoir être comprises du commun des fidèles. Par ailleurs les théologiens musulmans sentaient plus ou moins confusément que l’immixtion de la religion intérieure dans la religion légale disloquerait l’armature historique de l’islam. La religion coranique ne légifère pas pour le for interne, elle admet une révélation extérieure, une autorité visible, une tradition, elle est so ciale et rituelle et laisse l’âme, l’intérieur, aux invites toutes personnelles de la grâce. Le soûfi au contraire met l’accent sur la sainteté intérieure, et proclame la primauté éventuelle de la révélation directe et personnelle. Entre ces deux pôles de la vie religieuse, la conciliation demeure pratiquement impossible, parce que l’institution religieuse et sociale établie par le Coran est démunie d’une autorité doctrinale et vivante, ayant pouvoir au for interne, et de rites qui puissent conférer la grâce. La tradition historique et l’autorité vivante laissée par Mahomet en dehors de l’effusion permanente de l’Esprit demeurent par le fait même sujettes à des déviations. Dès lors, de quel droit opposer l’une ou l’autre aux impératifs immédiats promulgués dans l’âme des saints, amis de Dieu ? Comme le dit très bien J. Maréchal, op. cit., p. 524, « à l’antinomie de l’inspiration personnelle et de la loi extérieure, il n’y a pas dans l’islam de solution objective et universelle ».

A ces difficultés Hallâj a sans doute apporté une solution subjective et héroïque, mais la preuve que le conflit entre les deux principes, extrinséciste et intrinséciste, de la vie religieuse devait être bien profond, c’est que le grand théologien de l’islam, Al-Ghazàli [t 505 (1111)], s’efforcera en vain de le résoudre. Comme les soùfîs, contemporains de Hallâj, il reproche à celui-ci, non pas une erreur doctrinale et encore moins une supercherie, mais la témérité d’avoir divulgué une vérité ésotérique. Quant au fond, il n’ose blâmer ni le martyr ni ses juges. Maréchal, op. cit., t. ii, p. 525.

7° Mohammed ben Mohammed ben Ahmed Abou Hâmid al-Ghazzàli et-Tousî, plus connu sous le nom de Al-Ghazâli naquit à Tous dans le Khorâssân en 450 (1058). Après de fortes études à Nîsâboûr, il est nommé professeur à Bagdad, mais en 488 (1095) il abandonne tout pour se consacrer à l’ascétisme dans la solitude. Il entreprend vers la Mecque un pèlerinage coupé de longs séjours à Damas et à Jérusalem. Les dernières années de sa vie, il reprend sa chaire de professeur sans cependant interrompre sa vie pieuse et mortifiée et revient mourir dans sa ville natale en 505 (1111).

Si Hallâj demeure le prince de la mystique musulmane, Al-Ghazâli en est le théologien incontesté et ses ouvrages acceptés par toute la communauté coranique, représentent l’orthodoxie parfaite. Le premier n’avait trouvé à l’antinomie entre la religion intérieure et la religion légale qu’une solution subjective et héroïque, sa mort pour la loi et la communauté, le second s’efforce au contraire de les accorder. Le seul titre de son œuvre maîtresse lluja’ulùm cd-din t Vinification des sciences religieuses) sullit à faire comprendre quc toute sa réforme consiste à substituer aux formes rituelles et tout extérieures de la religion, l’expérience personnelle et intense de l’esprit religieux, à donner le pas à la pratique sur la théorie, à la morale sur le dognje, parce que la inorale ne doit être qu’un acheminement à l’union de l’âme avec Dieu.

L’ascèse purgative n’est nécessaire que dans les commencements de la vie spirituelle. Purifiée de ses vices, l’âme lient alors entrer dans la voie qui doit la conduire à l’union divine par la contemplation cl l’amour. Ce chemin se parcourt en plusieurs étapes, dont chacune est caractérisée par l’acquisition de certaines qualités salutaires qui ne sont pas précisément les vertus opposées aux vices détruits, mais plutôt des degrés de perfection spirituelle, « demeures ou châteaux >< (maqâmâl) où l’âme s’élève dans son ascension graduelle vers Dieu.

Il n’est pas facile de préciser d’après Al-Ghazâli le nombre de ces degrés qui constituent la vie unilive. Néanmoins dans son Ilujâ’il paraît adopter la classification que lui donnait son modèle Abou Tàlib cl-