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SOUFISME. CONFRERIES


musulmans à pratiquer le raks, la « danse de jubilation >. D’autres ont adopté le lamztq, « déchirement des vêtements ». Au cours de sa transe, le soûfî met en pièces ses vêtements et aboutit ainsi à l’exhibitionnisme des hystériques. Une autre pratique extrêmement suspecte et qui a produit des scandales est celle du nazar ilâ’l mord, ou regard platonique, considération muette et sereine des beaux visages des novices assis au premier rang du cercle initiatique. Il n’est enfin que de rappeler les extases hurlantes et les excès des Aïssaouas pour constater à quelles déviations en est arrivé un mouvement si prometteur de religion vraie et sincère. Massignon, Essai, p. 84 sq.

On comprend comment, devant ces excès, l’orthodoxie musulmane a été forcément amenée à prononcer des condamnations. Hallàj accusé d’hérésie ( : andakâh ) fut condamné à mort et exécuté en 310 (922), mais les pièces de son procès publiées par Massignon ( Passion, p. 275), montrent combien il était difficile de trouver un motif juridico-religieux qui fût valable. Déjà pourtant, au cours du m c siècle de l’hégire, les théories soûfistes sur l’amour divin avaient donné lieu à certaines poursuites, la condamnation d’I.Iallàj posa nettement devant l’ijm’a musulman (consensus universalis ) la question du mysticisme dans l’islam. Les imamites, chi’ites purs qui ne reconnaissent que les douze imams descendus de Mahomet, rejetèrent la rida, l’état de complaisance entre Dieu et l’âme, la règle claustrale et l’habit monacal des soûfis, ainsi que la doctrine de la prémotion physique. Les kharidjites ou abadites qui n’admettent qu’un calife élu par les croyants, se sont toujours montrés résolument opposés au mysticisme et ils condamnent en particulier la précellence de l’intention sur l’œuvre externe. Cette opposition des plus anciennes sectes.de même que celle des wahabites modernes, qui prétendent restaurer l’islam primitif, sont des indices qui tendent à prouver que le mysticisme est dans l’islam un apport étranger. On peut d’ailleurs soutenir d’une façon générale que le chi’isme, par le fait de son dogme de l’imam infaillible, guide exclusif des croyants et seul intermédiaire des grâces, se trouve dès l’abord en opposition absolue avec un mysticisme qui prétend mettre son fidèle en communication directe avec la divinité.

Les sunnites sont beaucoup plus partagés. Les milieux traditionalistes stricts classent les soûfis parmi les « hérétiques spirituels ». Au début, leurs imputations plus ou moins tendancieuses visent surtout les déformations quiétistes, mais, à partir du xi c siècle, l’union transformante, la précellence des saints sur les prophètes sont nettement condamnées, les principes mêmes du détachement et des voies de la perfection sont attaqués et Al-Ghazàli, encore qu’il soit par excellence le théologien orthodoxe de l’islam, a ses livres mis à l’index par les hanbalites (l’extrême-droite de l’orthodoxie ) et les wahabites.

A l’heure actuelle le mysticisme musulman est en plein déclin. Les tendances les plus traditionalistes de l’islam lui demeurent aussi opposées que par le passé, quant aux milieux progressifs orthodoxes et aux modernistes de l’islam, ils ne voient dans les soûfis que des charlatans et les rejettent avec mépris.

VI. Les confréries.

De bonne heure les soûfis se sont réunis en des sortes de monastères musulmans qui portent selon les pays les noms de zâouia, ribàt, khanqâh, tekké, etc. Ce sont d’ailleurs moins des couvents que des lieux de réunion consacrés à des exercices liturgiques en commun. Ces zâouias sont groupées en confréries qui se rattachent à un même fondateur, suivent la même voie spirituelle et pratiquent les mêmes exercices, (’.es confréries portent eu arabe le nom de fartqa, voie, chemin moral qui doil conduire à la perfection.

A la tête de chaque zâouia se trouve le cheikh, directeur spirituel et temporel de l’ordre. Il est omnipotent et omniscient, parce qu’il est censé posséder en lui une étincelle de la toute-puissance divine (baraka) et en fait il ne reconnaît d’autre puissance au-dessus de lui que celle d’Allah et de son envoyé. Au-dessous de lui le khalifa ou naïb se présente comme le délégué du cheikh auprès des fidèles. Le moqaddem est l’exécuteur des instructions du cheikh, le vrai propagateur des doctrines de la tarîqa, l’âme de la confrérie, tantôt missionnaire, tantôt directeur et professeur de la zâouia. Il a sous lui des agents spéciaux qui assurent les relations des adeptes avec le chef de l’ordre. Les simples affiliés portent le nom de khouan, frères, ashab, compagnons, khoddam, serviteurs.

L’admission dans une tariqa est précédée d’une période d’épreuve ou noviciat, irâda, d’où le nom de morld, donné à l’aspirant soûfî. L’initiation du candidat a lieu par la tradition de la khirqa, l’habit de l’ordre et de Visnâd, l’agrégation, c’est-à-dire la suite des saints personnages par laquelle la confrérie prétend faire remonter sa généalogie spirituelle jusqu’aux compagnons du Prophète. Vis-à-vis de son maître, le novice doit se comporter « comme le cadavre entre les mains du laveur des morts ». L’obéissance et l’ouverture de conscience sont recommandées. Le célibat est exceptionnel et les confrères mariés vivent dans leur famille.

En général on ne doit appartenir qu’à une seule tariqa, mais depuis l’institution des tiers-ordres, l’affiliation à plusieurs confréries passe pour être spécialement méritoire.

Chaque confrérie possède ses formules spéciales de dhikr. On entend par là, à l’heure actuelle, une glorification d’Allah au moyen de certaines phrases déterminées, répétées dans un ordre rituel, soit à haute voix, soit mentalement avec des mouvements respiratoires et des gestes particuliers. Le but du dhikr qui était primitivement de fixer l’esprit en Dieu, a dégénéré presque partout en une organisation artificielle de l’extase, où tous les sages conseils d’Al-Ghazàli ont été oubliés.

Les principales confréries sont : Les Qadiryya fondés par Abd-el-Qader-cl-Djilàni († 1 166). La maison mère se trouve en Mésopotamie et les affiliés sont répandus dans tout le monde musulman. Certaines corporations d’extatiques et de visionnaires se rattachent aux Qadiryya. Les Maoulaouiya, dont le dhikr était constitué par une danse sacrée (derviches tourneurs), avaient leur centre à Qônia (Iconium) en Anatolie, près du tombeau de leur fondateur, le célèbre poète mystique Djalal ed-Dîn er-Roûmi. Ils ont été supprimés par Atatùrk. Les Chàdhiliya, fondés par’Ali el-Chàdhili sont surtout répandus en Afrique. On signale en Egypte les Badaouiya et les Xaqchibandiya qui datent respectivement du xin c et du xiv siècle, et aux Indes les Challâriya (xv siècle). Les Senoussis fondés par le cheikh algérien Es-Senoûssl (| 1857) formaient un ordre militaire xénophobe établi dans les oasis du désert de la Cyrénaïque. Vaincus par les Italiens, ils se sont réfugiés en Arabie, où ils tendent à se confondre avec les wahabites qui, comme eux, rêvenl d’un retour à l’islam primitif.

A l’heure actuelle, les confréries musulmanes sont en pleine décadence. I.a République d’Ankara a décrété la suppression officielle des organisations de soùlïs et nombre d’États européens ont dû mettre un terme à leur activité par suite de leur politique xénophobe et de l’avidité avec laquelle ils pressuraient leurs fidèles.

VII. Conçu sm>s. — On les empruntera au beau livre du H. 1’..1. Maréchal, s..1., Études sur la psychologie <lrs mystiques, t. ii, p. 528 sq. L’éminent auteur a étudié spécialement le cas de Hallàj, mais ses réflexions