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    1. SOUFISME##


SOUFISME. CONCLUSIONS

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peuvent s’appliquer à tout soùfi dont la sainteté aurait mérité de Pieu des gr&ces mystiques.

Pour le chrétien qui connaît, par les saintes Ecritures, par la Tradition et aussi Jusqu'à un certain point par expérience intime, quelque chose de la divine charité du Sauveur, il serait difficilement concevable qu’un appela même lointain, à Jésus, fût repoussé par Lui, ou qu’un hommage imparfait, mais sincère, à Jésus, demeurât sans réponse. Que se passat-il réellement dans la conscience de Hallàj'? C’est le secret de Pieu, qu’aucun historien ni aucun psychologue ne pénétrera jamais avec certitude. Néanmoins, dans la mesure où il est permis de conjecturer les réalités invisibles sur des indices extérieurs — ex jruclibus dignosectis — il semble que le « martyr mystique de l’islam ». par sa fidélité héroïque à embrasser la vérité partielle qui filtrait jusqu'à lui, dut attirer les prédilections miséricordieuses de ce Jésus qui n’est pas seulement le chef-d'œuvre humain de la grâce divine, comme le pensait Hallâj, mais 1' « Auteur même et le » Consommateur de cette Grâce. « Du reste, lorsque nous parlons en théologien, ce qui nous importe, c’est moins la réalité historique que la possibilité même des grâces dont Hallàj, musulman sincère, se crut favorisé. « Que Dieu puisse accorder des révélations particulières et des dons mystiques, même très éminents, à des « infidèles négatifs », retenus en dehors du corps visible de l'Église par une « ignorance invincible », cela ne fait pas de doute, selon la doctrine communément reçue… Hallâj put donc recevoir de véritables faveurs mystiques et y trouver des éléments d’un « acte de foi « stricte », première étape vers la justification surnaturelle, initium salutis. « Devons-nous supposer que la lumière de cet acte de foi lui découvrit explicitement l’erreur globale de la religion islamique ? Nullement. S’il apparaît certain qu’un acte de foi surnaturelle contient la rectification virtuelle et implicite de toute erreur religieuse, ces conséquences implicites ne viennent pas nécessairement à la conscience claire de celui qui croit. Le domaine de la « foi implicite » peut rester très étendu chez un croyant sincère. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que l’acte de foi, adhésion au surnaturel strict, serait incompatible avec la profession d’une doctrine religieuse qui exclurait formellement le surnaturel ; tel n’est pas le cas de la religion musulmane, comme la comprenait Hallâj. « Au demeurant, l’attitude religieuse du mystique de Bagdad est plus complexe. Deux particularités y méritent de retenir notre attention : 1° Hallâj invoque à l’appui de sa prédication ses grâces mystiques (et, subsidiairement, certains miracles réels ou supposés tels) ; 2° L’union mystique est considérée par Hallâj comme le couronnement épisodique d’un état plus fondamental d' « amitié » étroite avec Dieu, de "sainteté », fondée sur une grâce habituelle. Le problème de la foi et de la justification se pose, chez lui, avant la survenue des révélations miraculeuses. « L’usage apologétique que Hallâj fit, délibérément, de ses dons mystiques devrait, certes, nous les rendre suspects, s’il y avait cherché une attestation divine en faveur du mahométisme, par opposition au christianisme. Mais il en va peut-être autrement, si, en dehors d’une comparaison à laquelle ni lui ni ses auditeurs ne pouvaient songer, l’enseignement du mystique thaumaturge visait seulement à sauvegarder, devant un islam de plus en plus matériel et terrestre, les droits d’une vie intérieure, toute de sincérité morale et d’amour pour Dieu. Dieu pouvait, scmble-t-il, sanctionner cette prédication, dont l’effet était de maintenir ouverte, dans l'édifice même fondé sur le Coran, une issue vers la foi surnaturelle, et de sauvegarder,

par conséquent, la possibilité individuelle du salut pour les musulmans de bonne volonté. Sans doute Pieu peut toujours forcer les portes et sauver par miracle. Mais la conduite ordinaire de la Providence est d’emprunter, dans une large mesure, pour son action supérieure, la voie des causalités naturelles. Dieu, qui agit suavement et sait tirer le bien du mal même, ne pratique, si l’on ose dire, ni la politique du pire, ni celle du coup de théâtre ; s’il a vraiment permis que subsistassent dans le Coran et dans une partie notable de la tradition musulmane, des germes d’une vérité plus haute et des points d’appui à l’action intérieure de la grâce, la prédication et l’exemple d’Al-Hallàj prennent un sens très clair. « Cette dernière considération nous amène au second aspect que nous signalions dans la vie religieuse d’AlHallàj. Indépendamment de toute révélation mystique, il pouvait trouver dans les enseignements du Coran qu’il croyait inspirés par Dieu, beaucoup plus même que le minimum requis pour un acte de « foi stricte ». On se souvient des articles essentiels du Credo hallâj ien : Dieu unique et transcendant, rémunérateur magnifique ; destinée surnaturelle, dépassant le « paradis d’Adam », et s'étendant jusqu'à une possession immédiate de l’Essence divine ; destinée rendue possible seulement par l’initiative d’une grâce toute spéciale, grâce d’amour bienveillant, infiniment supérieure à la grâce mahommédienne ; enfin connaissance et vénération de Jésus, comme modèle de sainteté, type parfait d’union à Dieu et Prince du royaume spirituel de la Grâce. Ces données dogmatiques, Hallàj les emprunte à la tradition coranique ; mais d’où le Coran même en tenait-il les premiers linéaments, sinon de la tradition juive et chrétienne ? Une erreur sur l’intermédiaire authentique de la révélation ne rend pas impossible la foi en Dieu révélateur. Devant la vérité révélée — partielle sans doute, mais déjà bien lumineuse — que lui transmettait le prophète de sa race, que fallait-il à Hallâj pour poser un acte de foi surnaturelle ? Rien que la motion illuminatrice, tout intérieure, qui mettrait son âme en consonance parfaite avec la vérité surnaturelle révélée : la « grâce de foi » que Dieu ne refuse à aucune âme droite à laquelle est proposée l’objet de foi. »

Peut-être d’autres cas, plus difficiles que celui de Hallâj, plus difficiles que celui de l’islamisme en général, pourraient-ils être résolus par les mêmes principes.

La mystique musulmane a été beaucoup étudiée depuis un quart de siècle. Quelques ouvrages s’imposent parce qu’ils ont renouvelé nos connaissances sur ce sujet, et qu’ils sont désormais à la base d’une étude scientifique du soufisme.

Il convient donc de citer avant tout Louis Massignon, Kitàb al-Tawdsin d’Al-Hallàj, Paris, 1913 ; du même, La passion d’Al-Hallàj, martyr mystique de l’islam, Paris, 1922, 2 vol. in-8° ; du même, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, 1922 ; du même, Iiccueil de textes inédits concernant l’histoire de la mystique en pays musulmans, Paris, 1929.

On verra aussi des ouvrages do Miguel Asin Palacios, La mystique d’Al-Gazzàli, dans Mélanges de l’université SniulJoseph de Beyrouth, t. vii, 1914 ; Algazel, Dogmatica, Moralia, Ascelica, Saragosse, 1921 ; El mistico murciano Abenarabi, Madrid, 1925-1926, 2 vol. in-8° ; Abenhazam de Cordoba y su historia critica de las ideas religiosas, Madrid, 1927-1928, 2 vol. in-8° ; Ibn-al-Arlj. Mahdsin al-Majâlis, texte arabe, traduction et commentaire, traduction par F. Cavallcra, Paris, 1933 ; H. Lammens, S. J., L’Islam, croyances et institutions, Beyrouth, 1920 ; du même, Al-Halldj, un mystique musulman au llle siècle de l’hégire, dans Recherchi s de science religieuse, 1911 ; Duncan-B. Macdonald, The religions attitude and life in Islam, Chicago, 1909 ; « lu même, Aspects "/ Islam, New-York, 1911 ; Beyn.-A. Nicholson, The mgstics o/ Islam, Londres, 191 1 ; du même, Sludies in islam ic mysticism, Cambridge, 1921. On trouvera dans .). Maréchal, S. J., Éludes sur la psychologie des mystiques.