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SPINOZA. INTKRPKKTATION DE L'ÉCRITURE


reçu de Dieu une révélation qui les « dispense expressément de l’obéissance ». ils resteront fidèles à la loi révélée, comme les trois enfants dans la fournaise. Pour apprécier cette restriction de Spinoza, il convient de se reporter à ses enseignements sur l’interprétation de l'Écriture.

Après l’exposé de cette doctrine, qui correspond a celle du Leviathan de Hobbes, on pourrait croire qu’il n’y a plus de place pour aucune liberté de conscience. Mais n’oublions pas que Thomas Hobbes ne connaît que la vie selon la nature, puisque sa théorie de la connaissance est rigoureusement empiriste. Or, la gnoséologie spinoziste est intellectualiste : au dessus de la vie selon la nature, s’ouvre la vie selon la raison, et un homme qui pense ne peut pas, quoi qu’il fasse, juger intérieurement sinon selon ce qu’il voit être vrai. A l’intérieur de l'âme, la liberté de penser demeure donc inviolable. Ajoutons que les hommes, en transférant à l'État tous leurs droits, ne peuvent pas transmettre à l'État ce qui constitue leur existence même, à savoir la tendance à persister dans l'être et la lumière du jugement. D’ailleurs l'État ne gagnerait rien et se compromettrait inutilement s’il essayait de pénétrer à l’intérieur des consciences. Il faut donc conclure que, si l'État a le droit de régler absolument toutes les actions extérieures des citoyens et, par conséquent, le culte, il agira sagement en laissant à chacun la liberté de penser ce qu’il juge vrai et de croire ce qu’il veut. Cette liberté, non seulement peut se concilier avec la tranquillité de l'État et avec la piété, elle est même nécessaire à la conservation de tous ces grands objets ». Théol.-poL, c. xx.

VI. La méthode d’interprétation de l'Écriture. — Une philosophie qui identifie Dieu et la nature, qui conçoit Dieu comme une force infinie se développant nécessairement sous les formes de l'étendue et de la pensée empiriques, exclut à priori la possibilité de toute religion révélée. Cependant Spinoza connaît bien l’Ancien Testament et la littérature rabbinique ; il y a été formé dans sa jeunesse et il a continué à les étudier. Le Théologico-polilique en fait foi, et M. Vulliaud a montré récemment, dans son petit livre sur la bibliothèque de Spinoza, la solidité de l'érudition de celui-ci et l’usage qu’il en a fait. Spinoza a lu aussi avec soin le Nouveau Testament. Il est vrai qu’il ignore le catholicisme : il n’a connu le christianisme qu'à travers les sectes protestantes hollandaises. S’il a été. dans ses conversations privées, moqueur et violent a l'égard des cultes établis, si même certains textes du Théologico-polilique sont aussi cruels pour les croyants que des textes de Voltaire, il a pourtant un respect et un attachement réels pour les formes religieuses auxquelles ont adhéré ses ancêtres. La religion est donc pour lui un problème aussi bien spéculatif que pratique. Comment s’y prendre pour comprendre l'Écriture ? Comment interpréter et apprécier le contenu de l'Écriture, en particulier les événements qui semblent rompre les mailles de la nécessité, miracles et prophéties ? Qu’enseigne l'Écriture ? Quelle sorte de croyance convient-il d’attribuer à ce qu’elle enseigne et à ce qu’elle raconte ?

Pour comprendre l'Écriture, il n’y a qu'à la lire, mais à la lire comme on lit un document historique quelconque, d’après la grammaire, en éclairant les passages les uns par les autres, en remettant les événements dans leur contexte historique. On ne peut nier que Spinoza ait lu intelligemment l’Ancien et le Nouveau Testament, surtout l’Ancien, et que certaines de ses remarques témoignent d’un sens historique aigu.

Quant au contenu de l'Écriture, Spinoza l’aborde avec une herméneutique a priori, qui n’est autre que sa théorie des degrés de la connaissance. Puisque la méthode mathématique, saisissant dans l'être concret

les lois nécessaires qui en constituent l’essence éternelle, atteint Dieu, la connaissance adéquate constitue la véritable religion : la connaissance que donne l'Écriture ressortit au degré le plus bas de la connaissance, à la connaissance Imaginative et, par conséquent, la religion révélée par l'Écriture est une religion inférieure, celle des ignorants incapables de s'élever jusqu'à la connaissance adéquate. Bien que Spinoza affecte de parler le langage des théologiens et des rabbins et s’exprime avec des formules toujours respectueuses, cette doctrine est enseignée très clairement dans le Théologico-politique. Et il entreprend de la prouver par l'Écriture elle-même.

Comment une voix matérielle prononçant « je suis Dieu » pouvait-elle faire comprendre à Moïse et aux Israélites ce que c’est que Dieu, s’ils n’en avaient pas la connaissance adéquate ? Par elles-mêmes, des voix, des visions n’enseignent rien. Or, les prophètes n’ont jamais rien appris que par des voix et des visions. La Bible parle de « l’esprit de Dieu » qui les inspirait, mais il faut tenir compte de ce que veut dire ruah, esprit, et se rappeler que les Juifs attribuaient directement à Dieu tous les événements qui dépassaient leur entendement. Dire que l’esprit de Dieu a été donné aux prophètes, c’est dire que « les prophètes se distinguaient par une vertu singulière et au dessus du commun, qu’ils pratiquaient la vertu avec une constance supérieure, enfin qu’ils percevaient l'âme, ou la volonté, ou les desseins de Dieu ». C. i.

Puisque la certitude ne peut sortir directement que d’une connaissance pénétrant la nature de la chose, et que les prophètes ne connaissaient que par l’imagination, la certitude qu’ils avaient de leurs révélations dépendait de signes, c’est-à-dire, soit de la vivacité de l’acte imaginatif, soit d'événements extérieurs qui leur semblaient garantir leurs visions, soit de ce que leur âme n’avait d’inclination que pour le bien. Une telle certitude n'était qu’une « certitude morale ». On peut remarquer, en effet, que chaque prophète avait ses signes particuliers, que son style et même ses révélations dépendent de son tempérament. Bien plus, ils ne comprenaient pas toujours leurs propres révélations, qui par conséquent ne les rendaient pas plus instruits qu’ils n'étaient auparavant. C’est dire qu' « ils ignoraient l’excellence de la vertu et la véritable béatitude ». C. il. On remarquera, dans ce chapitre, combien Spinoza cherche à déceler des contradictions chez les prophètes. Visiblement il veut montrer que la connaissance imaginative, qui est celle des prophètes, est nécessairement un tissu d’erreurs. Le ton doucereux ne doit pas faire illusion. Dans ces pages, Spinoza ressemble à Voltaire beaucoup plus qu'à Schleiermacher et aux théologiens protestants qui ont cru trouver dans sa doctrine un moyen de sauver le christianisme.

Nous savons que la nature suit un cours éternel et immuable, car l’entendement de Dieu ne se distinguant pas de sa volonté, les lois de la nature sont des décrets divins que rien ne peut modifier, Un miracle n’est donc une exception aux lois naturelles que dans l’opinion des hommes, lorsque le vulgaire n’a pas le moyen d’expliquer un événement par d’autres événements semblables. Bien loin de fonder l’existence de Dieu, les miracles, s’il y en avait, nous empêcheraient d’y croire, car, s’il se produisait une chose contraire à la nature, elle nous ferait douter des notions premières par lesquelles nous prouvons l’existence de Dieu. Un miracle est un événement qui surpasse L’intelligence humaine, qui par conséquent n’a de lien avec rien

d’intelligible : il ne pourrait donc rien nous [aire (

prendre, il est dépourvu de signification religieuse. L'Écril tue elle-même enseigne que les miracles ne nous

font point connaître Dieu : Moïse ordonne de punir de mort les faux prophètes, même lorsqu’ils fonl des