corps du Christ, c’est-à-dire les espèces consacrées, étaient vouées dans leur devenir aux transformations de la digestion et à leurs suites. La question du stercoranisme étant liée à la question de l’objectivité des espèces ne put être résolue qu’en dépendance de celleci. Aussi, pour l’intelligence et l’appréciation de la question, sera-t-il utile : 1° de rappeler quelques principes et quelques faits qui éclaireront les conceptions que l’on avait jusqu’au IXe siècle de la réalité objective des éléments consacrés ; 2° la genèse et le développement de la controverse sur le sort réservé à ces éléments du fait d’altérations possibles de ceux-ci, soit en dehors de la communion, soit du fait de la communion, du ix' au xiii 1 e siècle ; 3° la solution classique donnée par saint Thomas à cette question.
Dans cette perspective, la question du slercoranisme apparaîtra facilement comme un problème mal posé à une époque où la théologie des accidents eucharistiques n'était point encore achevée, et qui n’a plus sa raison d'être dans une théologie objectiviste de ces accidents.
I. La question de l’objectivité et du devenir
DES ÉLÉMENTS CONSACRÉS DU I er AU IXe SIÈCLE.
1° Dans le Nouveau Testament.
L'Église primitive
n’a pas réalisé l’eucharistie comme un pur symbole, mais comme une institution où, sur l’ordre et dans la puissance du Christ, elle était appelée à offrir et distribuer « le corps et le sang du Seigneur ». Tel est le sens des récits de l’institution. Ainsi l’ont compris les apôtres. Pour saint Paul, I Cor., x, 1-G, la Cène accomplit un type prophétiquement décrit dans l’Ancien Test : unent : la manne et l’eau du rocher. Elle nous apporte un « aliment et un breuvage spirituels ou pneumatiques ». « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’estelle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas une communion au corps du Christ ? Et comme il n’y a qu’un pain, nous ne formons qu’un corps ; car nous avons tous part au pain unique. » I Cor., x, 16-18. « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu’il vienne. De sorte que’quiconque mange le pain et boit la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps el le sang <Ui Seigneur. Que l’homme s'éprouve soimême, et qu’ainsi il mange du pain, et boive à la coupe. Car celui qui mange et qui boit, mange et boit sa propre condamnation, s’il ne discerne pas le corps. » Ibid., xi, 26-30.
Ce qui importe pour saint Paul, c’est de faire reconnaître à ses disciples la valeur du don du Christ, de les inviter à discerner le corps du Christ invisible, caché sous l’extérieur d’un pain ordinaire sur l’autel, à parti : iper i cet unique pain invisible et indivisible qui fait le lien des chrétiens, à leur faire prendre conssieme qu’en face « du pain qu’ils rompent, du calice qu’ils boivent » ils ne sont point en face d’un aliment el d’un breuvage ordinaires, mais en face du corps el du sang du Christ. Il s’agit avant tout d’affirmer une divine réalité et non de résoudre un problème ontologique. La question du degré d’objectivité « du pain rompu et du vin du calice est en dehors de la vision de l’Apôtre. Il ne spécule pas ; il ne distingue pas entre substance et accident..Mais la façon dont il parle de l’action de manger et de boire l’eucharistie favorise l’opinion qui prévaudra, selon laquelle les éléments consacrés gardent une certaine objectivité que devra déterminer la réflexion théologique.
.Même pensée dans l'évangile de saint Jean, c. vi. Ce
que promet le Christ à ses disciples, à ( lapharnaïuu, ce
n’est pas un aliment terrestre, comme au jour de la
multiplication des pains, c’est une nourriture en vue
de la vie éternelle, c’est une vraie nourriture, un vrai breu âge ; c’est la chair H le sang de Jésus glorifiés qui
seront donnés d’une façon réelle, mais spirituelle, pour entretenir dans les âmes la vie divine, principe et gage d’immortalité et de résurrection. Dans cette promesse, pas un mot sur les éléments qui nous feront communier à la chair et au sang du Christ.
Ce qu'éclairent les textes de la promesse et de l’institution de l’eucharistie avec leurs commentaires apostoliques, c’est d’abord la présence invisible du corps et du sang du Christ sous les éléments consacrés. Mais, pour que ce qui était du pain et du vin ordinaires, soit le corps et le sang du Christ, il faut un devenir, une conversion ; il faut que le pain ne soit plus pain, mais corps du Christ. Et cependant l’expérience est là qui réclame une certaine objectivité pour les réalités phénoménales inchangées qui voilent et notifient le corps et le sang invisibles du Christ. La Tradition, dès l’origine, va être mise pratiquement en face de ce problème. Une fois affirmé explicitement le devenir ou la conversion, se posera logiquement la question de l’objectivité des éléments qui frappent nos regards après la consécration, celle de leur devenir, de leurs rapports avec le corps du Christ qu’ils cachent et révèlent à la fois.
Le dogme de la conversion substantielle avec la permanence des « espèces » du pain et du viii, apparaît bien, dans la ligne du développement de la Tradition, comme une sorte de corollaire du dogme de la présence réelle et de l’affirmation évangélique : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
A la Tradition de nous dire à travers quels tâtonnements le problème secondaire de l’objectivité et du devenir des espèces (spécialement après la communion) a été conduit par la réllexion et les discussions théologiques à sa solution raisonnable.
2° Dans la Tradition.
Rapidement, les Pères anciens, selon la logique de leur foi à la réalité « du corps
et du sang du Christ » dans l’eucharistie, en viennent à une attitude de vénération pour la chose sainte que sont les éléments consacrés et témoignent d’une sollicitude religieuse pour leur sort. Calicis aut panis cliam nostri aliquid deculi in terram anxie palimur, dit Tertullien, De cor. mil., 3. De même Origène, In Exod., hom. xiii, 3, P. G., t. xiii, col. 391, souligne le scrupule du fidèle à ce que rien ne tombe à terre du corpus Christi. De même Hippolyte dans la Tradition apostolique (n. 117, Hauler) : Omnis autem festinet, ut non inftdelis guslet de eucharistia aut ne sorix aut animal aliud aut ne quid cadat et pereat de eo. Corpus enim est Christi edendum credentibus et non contemnendum. Caliccm in nominc Dei benedicens accepistis quasi antitypum sanguinis Christi. Quaproptcr, nolito c/Jundere, ut non spiritus alienus, velut te conlemncnle, illud dclingal. De même encore Cvrille de Jérusalem, Cal. myst., v, 21.
Ainsi les Pères croient à l’objectivité des éléments consacrés ; ceux-ci peuvent tomber, ils peuvent disparaître, périr d’une façon non convenable. A la piété des fidèles de les soustraire à ce péril et « le les consommer dans une sainte communion. Ces sentiments de vénération seront un jour poussés Jusqu’au scrupule et feront douter de la réalité même de telle profanation accidentelle arrivée aux espèces, comme Incompatible avec leur dignité.
A côté de ces sentiments communs à l’antiquité, se
dessinent eheI. les l'ères deux conceptions différentes du tout complexe qu’est le corpus Christi, le munua consecratum ; Tune distingue plus nettement la réalité et le devenir d’une part du sacnimentum ou des cléments consacres, visibles et corruptibles, et d’autre part ceux de la res sacramenti invisible, du corps Incorruptible du Christ ; l’autre envisage tcorpus Christi comme un tout, comme un aliment physiquement assimilé au corps du Adèle pour le préserver contre la corruption