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SCIENCE DE DIEU. LA SCIENCE MOYENNE


b. Divergences entre molinisles sur le moyen de la connaissance des fuluribles. Tous les molinistes sont d’accord pour nier que ce moyen soit l’essence divine déterminée par le décret de la volonté. Mais cette explication préalable une fois acquise, l'école se divise en deux tendances principales, dont les divergences s'étaient déjà accusées dans le moyen do la connaissance des simples possibles. Voir col. 1603.

Molina et ses disciples les plus fidèles, d’accord en eela avec saint Thomas et les thomistes, opine que Dieu connaît les choses autres que lui-même, dans son essence comme dans le moyen objectif de connaissance. Voir ci-dessus, col. 1610. Ainsi doue, Dieu connaîtrait les futurihles dans sa propre essence, en tant que eette essence est la cause exemplaire soit des volontés créées, dans lesquelles le regard profond de Dieu discerne les déterminations libres futures, — et cette explication n’est pas autre que la célèbre théorie de la

supercompréhension des causes. explication proposée par Molina. Concordia, q. xiv, a. 13, disp. L. Il et, après lui par Hellarmin. Becanus et de nos jours par le cardinal Billot — soit des ruinions elles-mêmes, explication formulée autrefois par Gilles de Rome, et reprise récemment par nombre de néothomistes, comme Satolli, Paquet, le cardinal Pecci, Van der Meersch : d’une part, ces auteurs refusent d’admettre l’explication des décrets prédéterminants, d’autre part ils confessent que le seul moyen objectif de connaissance est l’essence divine.

Bien des molinistes estiment cette position insuffisante. Il reste encore, en effet, à expliquer comment, en dehors de tout décret de la volonté divine, on peut passer, dans l’essence divine, exemplaire de toutes choses, de l'état de simple possibilité à l'état de futuribilité : autre chose est de dire : ceci pourrait être, et ceci serait. Ces auteurs concluent donc que les futuribles sont déjà déterminés de toute éternité dans leur vérité objective et qu’ils sont ainsi connus par Dieu comme tels, en eux-mêmes. C’est l’explication de Suarez, Lessius, Vasquez, des théologiens de Wurtzbourg et, plus récemment, de Franzelin, Mazzella, Piccirelli et Chr. Pesch. Ce dernier auteur s’efforce même de démontrer que les deux explications, loin de s’opposer, reviennent au même. De Deo uno, n. 276-278.

Cette théorie de la vérité objective des futuribles est ainsi exposée par P. Dumont, à qui elle paraît simple et limpide » :

Rien n’exige qu’entre la science divine des futurs conditionnels et celle des futurs absolus, il soit fait une différence essentielle. Les problèmes qu’elles soulèvent l’une et l’autre se posent et se résolvent à l’aide des mêmes principes. Étant admis, d’une part, qu’aucune vérité n’est cachée à l’intelligence infinie et, d’autre part, que de deux contradictoires se rapportant a un même fait a venir ou à une même hypothèse imaginable, il y en a toujours une de vraie, on ne peut pas éviter de conclure que Dieu connaît, à la fois, chacun des événements qui se produiront dans le monde qu’il a crée et chacun de ceux qui se seraient produits dans les innombrables mondes qu’il aurait pu tirer du néant. Peu imp irte que ces derniers ne doivent jamais compter au nombre des réalités, <iar ce n’est pas l'être auquel ils seront un jour appelés qui vaut aux futurs absolus d'être accessible, a la science divine… S’ils n’ont jamais manqué d'être présents devant (la science divine), ce n’est donc pas par suite de leur réilité actuelle, m tis par suite de leur vérité Objective. Dieu a toujours su quand et comment ils se produiraient parce qu’il jui éternellement vrai qu’ils se produiraient n tel moment et dans telles circonstances précises. L'être réel de ses créatures ne l’aide ni a titre de principe, ni à titre de m iven, a discerner ce qui les concerne ; car si cet être ré I M-rt de ternia sa vision, il n’en est d’aucune façon

la cause. En ce qui touche leur prescience, il y a donc parité

Complète entre futurs absolus et futurs conditionnels. Étant

également susceptible, de vérité, ils constituent, de ce chef, par eux-mêmes, pour Celui a qui nulle vérité n'échappe, un objet de connaissance Immédiatement assimilable et, dans

le sens qui vient d'être expliqué, ils n’ont pas moins i- 1 1 présents les mis que les autres, <le toute éternité, sous les regards de l’infinie sagesse. Op. ci'(., p. 207-208. Cf. Suarez, Opusc, ii, I. ri, e. vii, n. 15, 16.

Rappelons simplement pour mémoire qu’une troisième solution, toute négative, puisque précisément ses auteurs renoncent à trouver une solution, a été présentée par Kleutgen, de Régnon, l’erroné, etc. Voir

MoI.lNISMK, Col. 2168.

Enfin, il est bon de signaler que plusieurs néothomistes rejettent explicitement la science moyenne, sans pour cela accepter les décrets prédéterminants. Nous les avons signalés plus haut, comme disciples plus ou moins lointains de (lilles de Rome. On trouvera l’exposé de leur sentiment dans N. del Prado, De grutia et libero arbitrio, t. iii, p. 168-478. On pourrait aussi rapprocher de leur position théologique celle de Leibniz, dans sa préface aux Essais de théodicêe : pour ce philosophe, la connaissance qu’a Dieu des futurs contingents s’explique par le déterminisme psychologique des volontés créées et relève de la science de simple intelligence.

b) Critique. Tout comme pour l’exposé, nous ramenons la critique à l’essentiel. Au premier abord, la théorie de la science moyenne est séduisante, en raison de la sauvegarde qu’elle semble apporter à la liberté humaine. Dieu, sans doute, me place dans des circonstances où il sait que j’agirai de telle manière, mais il le sait, parce que c’est moi qui choisis librement d’agir ainsi. Entre la science de Dieu et 'mon acte, il y a un lien de prévision, mais non de causalité.

Cela dit. les thomistes élèvent cependant contre la science moyenne trois ordres d’objection ; et les molinistes eux-mêmes se chargent de montrer l’insuffisance du système.

a. Les trois ordres de critique des thomistes. — Premièrement, considérée en elle-même, la science moyenne, indépendante des décrets divins, n’est qu’une fiction de l’esprit, parce qu’elle manque d’objet véritable. Indépendamment du décret divin, rien n’est futur, ni absolument, ni hypothétiquement. On doit en effet définir le futur : ce qui dans sa cause est déjà déterminé à l’existence dans l’avenir. Mais, indépendamment du décret divin, rien n’est déterminé dans sa cause. En effet, d’où le futur prendrait-il cette détermination ? Pas en lui-même, certes, sans quoi il ne serait pas contingent, mais nécessaire ; — pas en raison d’une condition qui est supposée elle-même contingente et sans rapport de causalité proprement dite avec le futur contingent ; — pas davantage dans la cause créée qui doit produire le futur contingent, puisque cette cause est par elle-même indéterminée et indifférente à son action et qu’elle ne peut se déterminer efficacement indépendamment de la motion divine et que son indifférence demeure encore, même en supposant le concours divin tel que l’imaginent les molinistes. N’y a-t-il pas d’ailleurs un anthropomorphisme inadmissible à imaginer un Dieu qui. avant d’arrêter ses décisions, semble essayer sur des volontés non existantes ce que seraient leurs déterminations, et attend leur choix pour fixer le sien ? La remarque es1 de. Goupil, s..1.. Dieu, I. r, ]>. 63.

I (euxièmemenl. considérée par rapport aux principes les plus certains de saint Thomas, la science moyenne

paraît insoutenable. Dans la q. xiv. saint Thonue

a établi trois principes fondamentaux : la science divine est la cause des êtres (a. M ; Dieu voit les < autres que lui-même, non en elles-mêmes comme moyen de connaissance, mais en lui-même, i vi à-dire dans son essence (a.."> » ; enfin, la science divine est a l’inverse de la notre (a. 8, ad 3° 111). Nous recevons notre science des choses naturelles, tandis que la science divine est antérieure aux choses naturelles dont