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SUAKKZ. DOGMATIQUE, L’INCARNATION

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déchue et punie, enfin pardonnée et rétablie dans ses privilèges grâce à son Fils incarne.

Ainsi les textes inspirés faisant tic Notre-Seigneur le premier-né des créatures et des prédestinés auraient-ils trait à l’ordre d’intention et nous manifesteraient-ils la raison prédominante de l’existence de l’univers. Quant à ceux qui, au contraire, nous présentent le Christ comme un Sauveur, il faudrait les entendre tic l’ordre d’exécution et du mode particulier suivant lequel le primat sur les hommes et les choses a été donné en fait au Fils de Dieu.

Bien loin, par conséquent, que le projet de l’incarnation soit né du besoin d’un rédempteur après la chute, il était antérieur, au moins logiquement, à la permission du péché, celle-ci ne fournissant qu’une occasion propice de le réaliser d’admirable façon. Disp. Y, sect. ii, n. 16, p. 223.

A cette raison fondamentale, Suarez en ajoute une autre beaucoup plus systématique et d’ailleurs beaucoup plus discutable. D’après sa théorie de la prédestination, concordant sur ce point avec celle de Bellarmin et celle des banéziens, tout a été subordonné dans la production de l’univers, tant dans l’ordre de la nature que dans l’ordre de la grâce, au choix d’un nombre déterminé d'élus. La préparation des moyens par lesquels ils seraient sauvés n’est venue qu’en second lieu. Or, la permission du péché d’Adam doit être considérée comme un moyen de salut pour lui et pour ceux de ses descendants qui l’accompagneront dans la béatitude. L'élection des prédestinés et du Christ, leur chef, lui a donc été antérieure. D’où il faut évidemment conclure que le Verbe incarné a d’abord été voulu de Dieu comme premier-né des élus, avant d'être investi de sa mission rédemptrice. Ibid., n. 17 et 19, p. 224.

A quoi les thomistes répliqueront sans doute que cette dernière démonstration suppose précisément ce qui serait à prouver, savoir que le Christ aurait fait partie des prédestinés en toute hypothèse, même si la permission du péché n’avait pas compté parmi les moyens contribuant à les sauver. Il reste cependant, en faveur de l’argument de Suarez, que quiconque fait passer la détermination par Dieu d’un certain nombre d'élus avant toute discrimination des moyens qui doivent les conduire au ciel, et soutient en même temps que la rédemption fut la première cause de l’incarnation se trouve par là-même obligé d’admettre que des hommes ont été prédestinés avant le Christ, l’existence de celui-ci n’ayant été décrétée qu’après la leur, comme instrument de leur salut. Ibid., n. 19 et 20, p. 225.

Il est bon de noter toutefois que, dans la thèse suarézienne, le Verbe incarné n’a pas été prédestiné avant les autres élus mais en même temps. Il n’en est pas moins le premier d’entre eux, car aucun n’a de priorité sur lui et il est la raison d'être de leur élection à tous. Ibid., n. 27 et 29, p. 229.

On peut se demander pourtant si, au premier instant de raison où Dieu se décida à faire de son Fils le premier-né des créatures, il le choisit également pour rédempteur, ou s’il faut distinguer comme deux moments dans sa détermination, l’un où il conféra d’abord au Christ le primat de l’univers, l’autre où il le chargea d’expier nos fautes. Au moins la question se pose-t-elle dans les systèmes de Duns Scot et de Suarez, où la réparation du péché n’est point la fin principale de l’incarnation.

D’après le Docteur subtil, l’Homme-Dieu n’a pas été prédestiné comme sauveur en même temps que comme chef des élus. Après s'être attardé quelque peu à examiner le pour et le contre des arguments, Suarez aboutit à la même conclusion.

Le terme du vouloir créateur, fait-il observer, peut être envisagé de deux façons différentes : soit au con cret et tel qu’il se présentait dans son ensemble à l’intelligence divine, au moment où le monde fut tiré du néant, soit tel que notre esprit le conçoit et avec les relations qu’il y établit entre certains éléments considérés comme fins et certains autres considérés comme moyens. Sous le premier aspect, il est clair que l’ordre de Providence dans lequel nous vivons a été voulu tel quel avec ses diverses parties : nature, grâce, union hypostatique, permission du péché et rédemption, sans aucune priorité de l’un des composants sur les autres. Ce n’est point d’ailleurs sous cet angle que se pose le problème dont il est ici question. Mais, à l’envisager du second point de vue, selon lequel les divers éléments de la création peuvent être tenus par notre esprit comme ayant été décrétés a divers moments, il ne semble guère admissible que le Christ ait été prédestiné in eodem signa rationis à titre de fin primordiale de l’univers et à titre de sauveur. Car, si rien ne s’opposait à ce que Dieu prît les mérites et la gloire de son Fils comme un but excellent à poursuivre pour lui-même et en vue duquel il était convenable de produire le monde et d’en organiser le cours, il n’en allait point de même d’une passion rédemptrice supposant à la fois le crime des bourreaux nécessaire à sa consommation et le péché de nos premiers parents qui en fournit la cause. Une mort impliquant des fautes commises ne peut être, en effet, choisie pour fin principale de l’acte créateur, comme peut fort bien l'être au contraire la sainteté du Verbe, source et modèle de celle des autres élus. Disp. V, sect. iii, n. 5 et 6, p. 234.

Précisant encore davantage sa doctrine, Suarez se demande alors si ceux qui conçoivent la rédemption comme n’ayant été voulue qu’après le primat du Christ sur les créatures, peuvent néanmoins soutenir qu’elle a été l’un des motifs déterminants de la substance même du mystère de l’incarnation et non pas seulement de l’une de ses modalités : savoir, qu’il soit réalisé dans une humanité souffrante et humiliée plutôt qu’heureuse et triomphante. Ibid., sect. iv, n. 2-6, p. 239. D’après lui, bien que l’incarnation ait eu différentes causes qui ne peuvent être considérées comme ayant agi au même moment (in eodem signo) sur la volonté divine, il n’y a pourtant aucune difficulté à ce qu’elle soit due entièrement et dans ce qu’elle a de plus essentiel, à chacune de ces causes comme si son influence avait été la seule à s’exercer. Ibid., n. 7, p. 241. En attribuant l’union hypostatique du Verbe avec notre nature à des motifs divers, l'Écriture et les Pères ne laissent entendre nulle part que l’un ait influé sur le Seigneur de façon moins décisive ou plus partielle que les autres. Ibid., n. 9 sq., p. 242. De soi, ces motifs n’avaient nul besoin d'être réunis pour justifier la réalisation du mystère ; ils suffisaient tous isolément. Au moins n’y a-t-il point de doute qu’il en était ainsi de la seule primauté sur les créatures ou de la seule rédemption. Ibid., n. 14 sq., p. 214. Il ne répugne pas du reste qu’une résolution soit dictée par plusieurs raisons aussi efficaces l’une que l’autre à la provoquer, ou qu’elle soit sanctionnée par de multiples actes de volonté soit réellement, soit logiquement distincts. Ainsi puis-je vouloir me rendre à Rome pour mon agrément, puis, apprenant qu’un de mes amis s’y trouve dans l’embarras, vouloir y aller aussi pour le tirer d’affaire, si bien que j’aurais fait le voyage pour cette dernière raison, si la première n’avait pas existé. De même rien ne s’opposait-il à ce que Dieu décrétât l’incarnation pour différents motifs aussi décisifs l’un que l’autre aux yeux de sa sagesse. Ibid., n. 22 sq., p. 246.

Il semble que, ces explications données, Suarez devrait en arriver à la conclusion que, même si Adam n’avait point péché, le Christ se serait incarné. Il n’en vient pourtant à cette déduction qu’avec d’impor-