Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/589

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2679
2680
SUA RE Z. DOGMATIQUE, LE MÉRITE


d'être privé de ses habilus ; mais, outre que Dieu ne lui cause aucun dommage en ne le punissant pas comme il convient, il ne coopère pas pour autant à sa faute, puisque les dons infus qu’il lui conserve ne poussent pas le coupable à persévérer dans le mal, bien au contraire. Ibid., c. xix. n. 16, p. 245. Par ailleurs, même en pareil cas, la grâce ne demeure point sans fonction à remplir, si elle ne purifie pas l'âme de ses souillures, ce qui n’est après tout que son effet formel secondaire, au moins la fait-elle participer aux plus hautes perfections de la nature divine et lui attire-t-elle l’amitié du Seigneur, ce qui est sa principale raison d'être. Il n’y a enfin aucune contradiction à ce que l’amour de Dieu se porte sur une créature qui ne le paye pas de retour ; on peut aimer sans être aimé. Dans un ordre purement humain, Dieu n’aurait certainement pas anéanti dès leur première révolte ceux qui auraient désobéi à ses lois, mais il aurait continué à les chérir naturellement. Pourquoi n’en pourrait-il pas aller de même dans l’ordre de la grâce ? Ibid., c. xix, n. 19 et 20 ; c. xx, n. 21 et 22, p. 250 et 259. A en croire Suarez, cette opinion, d’après laquelle il ne répugne pas que la charité infuse coexiste avec le péché, aurait d’ailleurs été la plus commune de son temps. Ibid., c. xx, n. 6, p. 254. Voir sur cette question P. Dumont, Le caractère divin de la grâce d’après la théologie scolaslique, dans Revue des sciences religieuses, octobre 1933 et janvier 1934.

3° Accroissement des habitus par les actes « remissi ». — Certains théologiens ont difficilement pris leur parti des différences capitales entre vertus naturelles et surnaturelles et, pour faire entrer celles-ci plus facilement dans les cadres de leur philosophie, ont tenté de les assimiler autant que possible à celles-là. En quoi d’ailleurs ils semblent avoir marché sur les traces de saint Thomas qui, à plusieurs reprises, recule, sinon jusqu'à l’entrée dans la vie éternelle, au moins jusqu’au moment où un effort proportionné de l’homme le rend possible, l’accroissement de la vertu de charité par des actes dont l’intensité est inférieure à celle que serait susceptible de leur donner, s’il s’exerçait avec toute sa force, l’habitas dont ils proviennent. Voir par exemple I » -II æ, q. c.xiv, a. 8, ad 3um ; IIMI », q. xxiv, a. 6, ad l um. Ce qui revient, semble-t-il, à identifier exactement le développement des dons infus à celui de nos habitudes humaines. De même qu’un athlète ne s'élève peu à peu à une classe supérieure que par les performances dans lesquelles il bat ses précédents records, ainsi le juste n’augmenterait sa grâce sanctifiante que par les œuvres où il se hausse à une perfection qu’il n’a pas encore atteinte jusque-là. Telle est, du moins, la doctrine que prêtent à leur maître et soutiennent eux-mêmes, Banez et Alvarez. Si leurs opinions divergent sur certains points secondaires, elles s’accordent sur ce principe fondamental, que des actes d’une intensité inférieure et même simplement égale à celle des habitus qui les émettent, n’accroissent pas immédiatement ces habitus. Toutefois comme ces actes ne laissent pas de mériter une récompense, ils vaudront à leurs auteurs soit un degré de gloire supplémentaire qui leur sera accordé sans que leurs dons infus aient jamais été augmentés, soit à la fois une augmentation de grâce et une augmentation de gloire données ou bien l’une sur terre quand un effort plus généreux l’aura rendu possible et l’autre au ciel, ou bien toutes deux lors de l’entrée dans la béatitude. De grat. habit., I. IX, c. iii, n. 4, M, p. 465 sq.

S’appuyant sur Major, Gabriel, Vega, Dom. Soto el Vasquez qui, à l’en croire, partageraient sur ce point son opinion, Snarcz prétend au contraire que tout acte salutaire, si peu fervent qu’il soit, mérite en stricte justice, à qui l’accomplit, un accroissement Immédiat de grâce sanctifiante et simultanément de toutes ses

vertus surnaturelles. A très peu d’exceptions près, les théologiens concèdent en effet que les moindres bonnes œuvres du juste lui donnent droit à une augmentation de sainteté. La thèse opposée n’a aucune probabilité, surtout depuis que le concile de Trente, reprenant une promesse de Notre-Seigneur, s’est porté garant que même l’aumône d’un verre d’eau ne resterait pas sans récompense. Ibid., n. 36, p. 478. Or, rien dans les chapitres et les canous où est exprimée cette doctrine ne laisse entendre que le progrès dans la grâce ainsi mérité puisse être tant soit peu retardé. N’est-il donc pas arbitraire de reculer pour des raisons purement systématiques le moment où il est conféré? L’enseignement officiel du magistère ne met qu’une seule condition à l’accroissement de grâce et de gloire dû à nos bonnes œuvres, c’est que nous mourions dans l’amitié divine. De quel droit en ajouter une autre ? Ibid., n. 16 sq., p. 478. A ce compte, on dirait avec autant de raison que les actions médiocrement ferventes ne sont dignes d’aucune récompense. Ibid., n. 31, p. 476.

Il est vain du reste d’assimiler les dons infus aux vertus naturelles, puisque les lois de leur développement sont essentiellement différentes. Nos habitudes humaines résultent en effet des actes mêmes que nous répétons fréquemment ; elles sont immédiatement et physiquement engendrées par eux et l’on comprend dès lors que tel degré de perfection ou d’intensité soit nécessaire à ces actes pour parvenir à tel résultat qui est leur œuvre propre. Au contraire, les œuvres salutaires ne causent pas physiquement les vertus surnaturelles ; elles n’en sont que les causes morales ; elles méritent que Dieu les accroisse ; elles ne produisent pas elles-mêmes cet accroissement. Si quis dixerit bona opéra… non vere mereri augmenlurn graliæ, dit le concile de Trente. Comment en effet l’influence qu’elles exercent serait-elle comparable à celle des œuvres humaines, puisqu’en elles rien d’autre n’importe que leur valeur morale et leur droit à un salaire exactement proportionné à cette valeur ? Ce n’est donc pas seulement par l’excès dont elles dépassent le niveau de perfection de nos habitus que nos œuvres salutaires contribuent à l’accroissement de ceux-ci, mais par tout ce qu’elles contiennent de bon, que ce soit peu ou beaucoup.

De là vient précisément, d’abord, dans le cas très fréquent où nos habilus ne leur ont pas communiqué le plus haut degré d’intensité qu’ils pouvaient leur donner, que, au moins à s’en tenir aux lois communément admises en philosophie sur le développement des qualités et des puissances, nos bonnes actions surnaturelles ne peuvent pas causer elles-mêmes l’augmentation des dons infus qu’elles méritent pourtant en stricte justice. Leur propre perfection étant inférieure à celle de ces dons, comment les perfectionnerait-elles ? De là vient encore que, le moindre de nos actes salutaires donnant droit à un degré de gloire supplémentaire, gloire dont le juste ne peut jouir que pourvu du degré de grâce correspondant, l’acte salutaire le moins fervent détermine un progrès dans la grâce sanctifiante. Or, il n’y a aucune raison de reporter ce progrès à une échéance plus ou moins éloignée ? Dieu seul en étant la cause efficiente immédiate pourquoi tarderaitil à nous accorder ce qu’il nous doit ? lbit !., . 46, p. 182. Les principales données dogmatiques en cette matière semblent donc s’adapter plus aisément à l’explication de Suarez qu'à celle de ses adversaires.

VIL La JUSTICE DANS la rétribution du mérite. — L’agrément divin est il nécessaire pour mettre nos (envies surnaturelles à même de nous obtenir la gloire éternelle ? Les vertus infuses d’où elles procèdent ne les habilitent-elles pas de droit a celle récompense ?

Il n’est pas plus aisé de répondre à cette question