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-l K I. Z. DOGMATIQUE, I. VISION INTUITIVE


essendi. Sans doute, comme le fuit observer Duns Scot, cette preuve n’est-elle pas absolument concluante, puisqu’il est admis, par exemple, que les anges d’espèces inférieures connaissent ceux qui font partie de hiérarchies supérieures. Il reste cependant que ta transcendance de Dieu à l'égard de n’importe quel être Bni n’est point comparable, tant elle la dépasse, à la transcendance d’une créature quelconque par rapport à une autre. Dans ce deuxième cas la distance est limitée, tandis qu’elle est illimitée dans le premier. A eela s’ajoute que la ision intuitive de l’essence divine exige une présence de cette dernière en notre âme, d’ordre si intime et si particulier qu’elle ne peut être due à aucun esprit lini en vertu de sa perfection propre. Quoi qu’il en soit, conclut Suarcz. il serait vain de chercher une démonstration plus efficace, lai pareille matière il ne faut en effet prétendre ni à la certitude ni à l'évidence. Ibid., n. 10. p. 81.

Sa nature.

Suarcz en vient alors a la nature de

la vision intuitive et aux conditions dans lesquelles elle s’exerce, fondant ses explications sur sa conception de la connaissance en général. Cette conception, est-il besoin de le rappeler, diffère essentiellement de celle des thomistes. Pour ceux-ci la connaissance n’est pas à proprement parler une représentation que l’esprit se forme d’un objet, mais une union de l’intelligence soit avec cet objet lui-même soit avec l’espèce qui en tient lieu. L’espèce, en effet, n’est indispensable que si un milieu interposé sépare l’esprit du terme connu. D’où il suit qu’entre la connaissance et son objet il n’y a aucune différence, la connaissance n'étant pas une similitude de l’objet, mais l’objet même en tant que, d’une façon ou d’une autre, il a été rendu présent à l’intelligence. L’acte de connaissance n’est donc pas une action au sens ordinaire du mot, une actio prsedicamentalis qui produit nécessairement un effet par lequel elle se définit, mais une aclio formalis qui n’engendre rien et consiste uniquement dans la saisie d’un objet ou d’un succédané de cet objet : l’espèce impresse. Il résulte en tin de ces prémisses que l’espèce expresse n’a aucune raison d'être dans une connaissance directe telle que la perception sensible ou la vision intuitive, mais seulement dans la connaissance réflexe quand l’objet n’est plus présent à la faculté et que, pour penser a lui. force est bien de s’en faire une représentation. Voir G. Picard ; lissai sur la connaissance sensible d’après les scolastiques dans Archives de philosophie, 1926-1927. Appliqués à la contemplation béatiflque, ces principes aboutissent aux conséquences suivantes : Dieu se trouvant aussi intimement uni que possible à l'âme des élus, aucune espèce, ni impresse, ni expresse, n’est requise pour que son essence soit perçue par elle intuitivement. Et si l’on objecte qu’il faut supposer pour cela que l'être divin informe lui-même l’intelligence des bienheureux, ce qui semble répugner métaphysiquement, les thomistes répondent qu'étant souverainement intelligible l’infini peut se communiquer formellement à un esprit créé de manière intelligible sans s’identifier pour autant avec lui dans l’ordre ontologique. S’il est inconcevable que la substance divine informe physiquement notre intelligence, puisqu’elle ne peut s’enfermer dans les limites d’un sujet créé, il n’en va pas de même d’une information purement intelligible, qui lui permet de se livrer entièrement à notre esprit sans s’ajuster à sa mesure ontologique. L'être infini en tant qu’intelligible n’est pourtant point d’ordre représentatif mais d’ordre réel. Il actue vraiment l'âme des élus et s’identifie avec elle bien que ce ne soit pas tout a fait formellement. De Deo, t. II, c xii. n. 'a et M. p. 88.

Sans doute est-ce par un acte que les bienheureux reçoivent ainsi l'être divin qui se livre intelligiblement

à eux, mais, puisque c’est un acte de connaissance, il

n’en résulte, suivant la doctrine thomiste, aucun terme distinct de l’intellcction elle même. Autrement dit. cet acte n’est point l'élaboration d’une similitude de l’essence Infinie, mais une simple saisie de cette essence à qui il suffit d'être reçue dans un esprit sous la forme assimilable où elle s’y présente, pour être, par le fait même, connue de lui. Ou, si l’on veut encore, la vision intuitive est un effet qui s’identifie avec son fleri. Ibid., c. xi, n. 2, p. 82 ; c.xii, n. 15, p. 89.

Suarcz se refuse absolument à souscrire à cette conception de la connaissance en général et de la contemplation béatiflque en particulier. Selon lui, connaître c’est s’assimiler un objet en en produisant une image vivante, l’espèce expresse. Cette dernière est la connaissance même, si bien qu’une connaissance sans espèce expresse serait un non-sens, une notion intrinsèquement contradictoire. Toutefois la représentation que se forme ainsi d’un objet l’intelligence ne doit pas être tenue pour un médium quod, mais un médium quo. Lu d’autres termes, elle n’est pas une similitude que l’esprit atteint et connaît en tant que telle, niais par laquelle il atteint et connaît l’objet lui-même. Ainsi est-ce l’objet que nous voyons dans le miroir où il se reflète et non son image, pour la bonne raison qu’il n’y a aucune image dans le miroir, celui-ci n’ayant d’autre office que de réfléchir les rayons émis par l’objet en leur permettant par là de parvenir à nos yeux. Ibid., c. xi, n. 5 sq., p. 83.

D’où il résulte qu’il n’y a point d’incompatibilité entre la notion de connaissance par espèce expresse et la notion de connaissance intuitive, l’espèce expresse n'étant qu’un intermédiaire non connu servant à atteindre en lui-même un terme qui seul est connu.

Quant à l’espèce impresse, d’après Suarcz, elle n’est, au contraire de ce qu’admettent les thomistes, nullement représentative de l’objet. Elle a pour but d’exciter la faculté et de constituer en partie avec elle le principe qui élabore l’espèce expresse.

Cela dit, on comprend mieux les reproches adressés par Suarez à la thèse de ses adversaires. L’acte par lequel se perçoit l’essence divine étant nécessairement une forme créée, ne peut en aucune façon, leur objectet-il, comprendre parmi ses éléments composants une forme ou une nature infinie. Que veut-on signifier, du reste, en parlant d’une information in esse intelligibili ? Si cette information n’est pas réelle, elle n’explique en rien le problème et, si elle est réelle, elle devrait nécessairement entraîner quelque changement soit en Dieu, soit dans l’intelligence. En Dieu, il n’y faut pas songer, et dans l’intelligence, à s’en tenir aux données de la doctrine thomiste, cela n’est guère moins impossible, puisque l’acte de vision y est représenté comme n’occasionnant ni une production de terme nouveau, ni une modification quelconque des facultés du bienheureux. Ibid., cxii, n. 8 sq., p. 87.

Au surplus informer in esse intelligibili, c’est nécessairement informer in cs.se naturali. Car l’essence divine ne peut, de quelque manière que ce soit, constituer formellement l’intelligence en acte sans lui communiquer formellement son être, autrement dit sans l’informer par son être incréé. Ibid., c.xii, n. 7, p. 87.

C’est pourquoi, si une espèce inipresse n’est point nécessaire à la production de l’acte de la contemplation béatiflque, parce que Dieu est suffisamment uni a l'âme de l'élu pour y déterminer lui-même une repré

Sentation de ses perfections propres, par contre cet

acte suppose absolument une espèce espnsse, < ar l’intelleetion est nécessairement une action et une action

produit nécessairement un terme. Or, ce terme ne peut être qu’une image faite a la ressemblance divine, puis

que sans image de ce genre aucune connaissance n’est

concevable. Il est donc métaphysiquement impossible