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SUAREZ. DOGMATIQUE, LA PRÉDESTINATION

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que les élus voient l'être infini sans l’aide d’un verbe mental.

Seule L’espèce impresse peut être suppléée par Dieu qui la remplace non seulement dans son rôle d’excitant de la faculté, mais aussi dans son rôle de principe co efficient de la vision. Celle-ci par conséquent provient, en définitive, d’une collaboration de la puissance obédientielle active de L’intelligence avec la causalité divine, lbid., C. XII, n. ii, p. 89,

IX. L’efficacité de la phliilsiination et de la grâce. - Aucune grâce prévenante ne serait vraiment suffisante si elle n'était aussi efficace, au moins en puissauce, c’est-à-dire si l’aide qu’elle apporte au sujet ne le rendait capable d’agir salutaireinenl. Toutefois un sujet capable d’agir n’use pas nécessairement de son pouvoir, surtout s’il est libre. Ainsi comprise, par conséquent, la grâce efficace n’est pas essentiellement Liée à L'œuvre qu’elle permet de produire.

En fait, l’usage a prévalu de réserver le nom d’efficace à la grâce prévenante qui obtient effectivement un résultat et dont, par suite, l’acte premier est infailliblement uni à l’acte second, sinon de droit par la nature des choses, au moins en réalité parce qu’il l’engendrera certainement. On convient de même de n’appeler suffisante que la grâce qui, capable de nous en traîner après elle, n’y réussit pourtant pas.

Qu’il existe de telles grâces, qui, tout en étant en elles-mêmes aussi susceptibles d’atteindre leur but que de le manquer, sont pourtant infailliblement vouées soit à réussir, soit â échouer, c’est une suite logique du dogme de la prédestination. Dieu n’aurait pu, en effet, des avant de le créer, partager â son gré et sans injustice le genre humain en élus et en réprouvés, s’il n’avait point disposé de grâces qui lui permissent de plier exactement notre volonté â ses moindres désirs, sans l’empêcher cependant de rester pleinement maîtresse et responsable de ses opérations.

Mais comment peut persister notre liberté sous l’influence de grâces qui la manœuvrent à leur guise ? A ce problème il n’y a, semble-t-il, du point de vue spéculatif, que deux issues possibles : la solution fondée sur la prémotion physique, d’une part, et la solution fondée sur la science moyenne, d’autre part. En dehors de ces deux explications, aucune autre, de l’avis des grands docteurs, ne réussit â montrer comment Dieu nous mène à ses fins avec la ferme assurance et la rigoureuse précision qui conviennent â ses perfections infinies. Voir 1'. Dumont, Liberté humaine et concours divin d’après Suarez, Paris, 1936, p. 108 et 114.

Pourtant Suarez a d’abord cru pouvoir se passer de l’une et l’autre solution. D’un cours d'élève écrit sous sa dictée en l’année scolaire 1582-1583, il résulte en effet, que, renonçant à trouver une issue aux graves difficultés qu’il voyait à la science moyenne, il prétendit quelque temps accorder sans son aide la liberté avec le concours divin. Cf. Dr. Friedrich Stegmuller, Zur Gnadenlehre tirs jungen Suarez, Fribourg-en-B., 1933. Comme il repoussait avec encore plus de résolution l’explication prédéterministe (cf. P. Dumont, op. cit.), rien ne lui permettait plus d’attribuer un succès certain â aucune grâce isolée. Pour conformer une âme â ses desseins sur elle. Dieu en était donc réduit, dans ces conditions, â multiplier et â varier ses appels, au besoin même â prolonger le temps de son épreuve terrestre, jusqu'à ce que l'âme en question ait consent] à se laisser toucher.

Bien vite cependant, la question mieux étudiée, Suarez acquit la conviction que jamais la conduite providentielle des volontés n’avait été présentée dans

l'Écriture OU dans la tradition sous une forme aussi

Imprécise et aussi tâtonnante et que les allusions â une prévision hypothétique des futurs contingents ne man quaient, d’autre part, ni chez les auteurs inspirés, ni chez les docteurs de l'Église, lui dépit de l’impuissance de notre raison â en dissiper toutes les obscurités, la science moyenne ne lui parut plus dès lors pouvoir être mise en doute.

Voici d’ailleurs comment il s’est exprimé lui-même sur les motifs cpii le firent changer d’avis. Bien que nous ne parvenions guère â comprendre comment elle s’exerce et qu’il faille, sur ce point, nous contenter d’une lumière imparfaite, la connaissance des futurs conditionnels n’en doit pas moins être attribuée â Dieu comme l’unique moyen qui lui permette de gouverner en maître absolu nos libertés, l’eu importe, du reste, qu'à elle seule notre intelligence ne suffise pas à la justifier, car elle se trouve si solidement fondée dans l'Écriture et l’enseignement des Pères qu’il est Impossible d’en contester l’existence. » Opusc. theol.. i, I. I, c. xv, n. 2.

Ainsi n’est-ce pas le désir de faire triompher une thèse systématique qui détermina Suarez à se rétracter, mais la seule préoccupation de résoudre l’apparente antinomie qui existe entre le dogme de la liberté et celui de la prédestination, en conformité avec l’enseignement le plus constant et le plus net de la tradition et du magistère. En quelques lignes, tel serait le raisonnement qui l’a convaincu : l’infaillible efficacité de la grâce exigée par une prédestination précise et assurée n’est réalisable qu'à l’aide de la prédétermination physique ou de la science moyenne. Or la prédétermination ne paraît pas acceptable. Car nous ne pouvons pas être tenus pour responsables d’avoir mal a^i si, au moment où nous allions tomber dans le péché, le concours divin ne nous a pas été réellement offert, aussi bien pour résister à la tentation que pour y céder. A moins d’avoir le choix entre plusieurs résolutions possibles nous ne sommes pas libres. Mais si nous sommes vraiment à même d’opter entre divers concours que Dieu nous propose, comment gardera-t-il le contrôle rigoureux de notre volonté, s’il n’est pas renseigné d’avance sur la détermination qu’en fait nous allons prendre ? Stegmuller, op. cit.. p. 26 et 28 ; Suarez. De ver. inl. aux. c/J., c. i, t. x, p. 305.

En toute logique le rejet de la prémotion conduit donc inévitablement à la science moyenne et au concours simultané. Toutefois la réfutation du bafiézia nisme ne sullit pas à elle seule à prouver le molinisme qui présente lui aussi de très grandes difficultés. Sua rez le reconnaît loyalement. De aux. grat., t. V, c. xxiv, n. 17, t. viii, p. 515. Mais ces difficultés, qu’il s’est d’ailleurs consciencieusement appliqué à résoudre, ne lui paraissent pas aussi Insurmontables que celles de la prémotion physique. Cf. P. Dumont, op. cit.. p. 214 et 31 1. Nous ne le suivrons pas dans cette discussion toute philosophique qui nous intéresse ici beaucoup moins que sa conception de la grâce efficace.

Pour lui, comme pour tout théologien, la grâce efficace doit déjà se montrer telle in actu primo, c’est à-dire non seulement avant que la volonté ait consenti à son impulsion, mais avant même que ce conseille ment ait été prévu par Dieu connue un fait appelé à se réaliser certainement. Autrement dit. la grâce efficace doit être inévitablement liée à son effet dans l’ordre des futuribles avant de l'être dans l’ordre des futurs. Car le Créateur ne peut conduire à sa guise les libertés au sort final qu’il leur a prédestiné, que s’il connaît avec la plus infaillible certitude leurs réactions à chacun des appels de sa grâce avant d’avoir décidé s’il leur adresserait ces appels et de quelle façon il les leur te rail cul eu dre. Or. celle efficacité certaine i/i actu prima s’explique tint bien a l’aide de la science moyenne, par

laquelle Dieu est renseigné sur les décisions que nous prendrons librement dans toutes les situations ou il pourrait lui plaire de nous placer.