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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 14.2.djvu/607

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SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQUE, LA IMiLITlni l


prospérités personnelles, mais il n’en possède pas moins

sa réalité propre et distincte La preuve, c’est que bien particulier et m’en commun peuvent se heurter et entrer en conflit ; dans les périls du pays, le citoyen doit sacrifier sa prospérité propre et lui préférer celle de sa patrie. Cf. De triplici virtute theologica, tract. III. disp. IX. sect. iii, n. 1, t.xii, p. 712.

En somme, ce bien commun politique, c’est un ensemble de conditions générales, qui permettra aux citoyens de mettre en valeur leurs virtualités de toutes sortes, en se développant au mieux, et finalement de faire leur salul : voilà ce que cherche à établir et met à la disposition de tous la société civile. Suarez exprime cette vue traditionnelle dans une formule pleine de sens qu’il faut ûtei La fin du pouvoir.iil Itgislatif dit-il, est la félicité naturelle de la communauté humaine parfaite, m jus curarii gerit et singulorum hominum ut sunt membra talis communitatis, ut in ea, scilicet in pace et justitia vivant et « un sufficienlia bonorum quæ ad vitte corporalis conservationem et commoditatem spectani et cum eu probitate moruin quæ ad hanc externam pacem et félicitaient reipublicse et convenientem conversât ionem necessaria est. De leg., t. III, c. xi, n. 7, p. 213.

c) A ce bien commun civil correspond, selon la tradition aristotélico-thomiste, une vertu qui lui est propre, qu’elle a pour objet spécial et selon laquelle gouvernants et gouvernés ont à chercher à l'établir et à le perfectionner, c’est la justice générale ou légale. Dans l’opuscule signalé plus haut, Opusc. theologica, vi, De justitia Dei, sect. iv, n. 6-7, t. xi, p. 566, Suarez analyse brièvement sa nature, distincte des justices commutative et distributive : respicit totam Rempublieum, ut tolurn quoddam habens peculiarem modum juris ad bona singulorum membrorum, quod non habenl alise justitia ; elle est dite générale, soit à cause du droit auquel elle se rapporte et qui est le droit de tout le corps politique, de la - généralité des citoyens, soit parce que, pour l’accomplir, les actes de toutes les vertus diverses peuvent être prescrits ; et elle est dite « légale », non pas tant parce qu’elle commande d’obéir à la loi, mais parce que la loi, pour être juste. doit avant tout regarder ce bien commun, qui est l’objet de cette justice.

En conclusion, il nous suffira de dire que, dans toute cette doctrine, ce qui est plus personnel à Suarez, ce sont moins les éléments empruntés à peu près tous à la tradition aristotélico-thomiste, que l’accent très moderne mis sur quelques-uns d’entre eux. et particulièrement sur la spécificité et le caractère tout à fait propre de la fin civile et politique, le bien commun. Intérêt collectif temporel et humain, donné comme une fin tenant eu quelque sorte en elle-même, finis ultimus in suo ordine, De leg.. I. I, c. vii, n. 1, p. 30, il s’impose comme Ici à tous : aux citoyens qu’il peut Obliger au sacrifice de leur bien particulier, aux gouvernants qu’il oblige a diriger l’Etat d’après lui. à la loi, qui. si elle ne le cherche pas. est injuste : et l'Église aura elle-même a en tenir compte, comme nous le verrons plus loin. Cela étail a noter en abordant la question qui nous reste a examiner : celle de la limitation du pouvoir politique.

4. Limitation interne de l’autorité politique : bien commun et tyrannie. La doctrine suarésienne de la société civile et du pouvoir qui la dirige, se trouve précisée par les ues qui nous soni données sur la limitation de cette autorité civile. Question toujours actuelle, particulièrement discutée au temps de Suarez. Celui-ci la traite dans le De legibus et avec plus de détails encore dans la Defensio fidei.

a) De ce qui a (le dit sur la fin de la société civile

résulte touf d’abord une limitation interne de l’activité civile', (.elle lin. en s’imposant a tous, princes et

citoyens, et en fondant la loi, détermine déjà le champ que l’autorité et la loi ne doivent pas franchir.

A Jacques l", qui se prétendait choisi par Dieu même pour gouverner son peuple et qui pensait dès lors posséder un pouvoir discrétionnaire et illimité, dont il n’avait de compte à rendre a personne, Suarez répond que le souverain n’est qu’un délégué de la communauté, délégué qui ne peut exercer valablement son pouvoir que dans le sens du réel bien commun et de la vraie félicité politique ; cf. Dej. fidei, t. III, surtout c. iv, v. et t. VI, sur le serment de fidélité.

b) Si la constitution originaire de l'État a donné au prince une autorité absolue, cette autorité n’est nullement injuste ; Suarez serait même plutôt favorable à ce régime alors singulièrement en faveur. Mais ce régime même et son exercice sont à contenir dans les limites du bien commun ; un pouvoir absolu, même légitime en sa source, devient igrannii/ue, s’il s’exerce contre le bien commun ; cf. De leg. A. I, c. vil, n. 5,

p. m.

L’on sait combien cette matière était, en ces temps troublés, discutée et délicate. Par un décret du (quillet 1610, cf. de Scorraille, t. ii, p. 184, le I'. Aquaviva, général de la Compagnie de.lésus, avait défendu à ses subordonnés de dire ou d'écrire i qu’il soit permis à personne, sous quelque prétexte de tyrannie que ce soil, de mettre à mort les rois et les princes ». Suarez, qui ignorait ce décret quand il écrivit la Defensio fidei, cf. de Scorraille. t. ii, p. 216, se trouva traiter le sujet avec une liberté entière. On connaît les orages qui s’en suivirent. Ibid., p. lit" sq. Les conclusions de Suarez se ramènent à celles-ci : 1. Du usurpateur, tgrannus ab origine, a titulo, qui s’est emparé du pouvoir, peut être considéré comme un agresseur actuel du pays, un ennemi public, un détenteur violent de ce qui ne lui appartient pas et donc être frappé par tout citoyen, s’il y a espoir par ce moyen de restaurer le droit lèse. Def. fidei, t. VI, c. iv, n. 7 sq., t. xxiv, p. 077 sq. — 2. t’n prince légitime abusant du pouvoir au point d’exercer une tyrannie intolérable, tgrannus a regimine. mettant criminellement en danger imminent les inle lèts vitaux du pays, peut être déclaré déchu par le peuple, c’est-à-dire par ses représentants naturels ; ceux-ci ont le droit de le combattre et même, s’il le faut, de le mettre à mort. Si la nation est chrétienne, il convient de soumettre au jugement du souverain pontife la nécessite où l’on se Irouvc.Mais ce que peut faire l’autorité commune de la nation, aucun citoyen, de son autorité privée, ne peut le tenter, nul ne peut porter la main sur le tyran, hors le cas où il subirait de la part de celui-ci une agression violente. Ibid., t. VI, c. iv, n. 10. lit. p. 680 si]. ; cf. de Scorraille. t. ii, p. 185.

Ces thèses, contentons-nous d’en faire la remarque, sont tout à fait dans l’esprit de saint Thomas et restenl, surtout la dernière, relativement modérées, si on les compare à celles de plusieurs contemporains.

c) Enfin, un élément autre que le bien commun est à signaler, qui contribue à la limitation interne de l’autorité civile.

Mans le De legibus. I. III, c. ix, t. V, p. 201 sq., Suarez, faisant une étude approfondie des diverses circonscriptions politiques (majores, minores, etc.). qui peuvent exister dans un Étal d’une certaine importance, ainsi quc des droits qui doivent leur être reconnus, avait dénie aux groupements inférieurs toute autonomie véritable : minores civilates non habenl potestatem ferendl proprias leges, ibid.. n. 17, p. 200 ; seul l'État possède la souv craincle aul hentiipie et plénière ; mais il sérail convenable, ajoulc-t-il. que soit le pacte constitutionnel, soit la libéralité postérieure <u prince, accorde à ces groupements le droit de gérer avec une certaine liberté leurs affaires particulières. Non seulement les Etats vassaux, mais encore les