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    1. SUAREZ##


SUAREZ. THÉOLOGIE PRATIQUE, LA POLITIQUE

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toute la suite des e. xvii-xx du I. II, p. 150-172. qu’il faudrait analyser pour voir tout le détail de la conception suarésienne. En quelques mots, disons que, pour Suarez, le jus gentium se place entre le jus naturale, caractérisé par des nécessités naturelles et le jus politicum, établi par la loi positive, de chaque État : il s’appuie sur le droit naturel lui-même et en reste tout proche : c’est un ensemble de jura specialia…, juri naturali valde propinqua et qua ? facillimam habent ab Mo deductionem, adeoque utilem et consentaneam ipsi naturx, ut lieet non sit eoidens deductio tanquam de se omnino necessaria ad honestatem morum, sit tamen valde conveniens naturse et de se aeeeptabilis ab omnibus. De leg., 1. II. c. xix, n. 9, p. 169.

Il n’a donc pas. sinon dans ses axiomes tout à fait généraux et fondamentaux, cette pleine nécessité que Suarez exige strictement pour le droit naturel ; cf. par exemple, ibid., n. 7, p. 168 : la liberté commerciale entre peuples non ennemis n’est pas de droit naturel parce que la nature n’y oblige pas : potuissel enim una respublica per se vivere et nolle conunercium cum alia, etiamsi non essel inimicitia ; jure autem gentium inlroductum est ut commercia sint libéra. L’obligation du jus gentium ne pouvant venir de la loi. puisque l’autorité internationale qui édicterait celle-ci fait défaut, vient d’ailleurs, à savoir des contrats ou traités explicites et le plus souvent de coutumes générales, établies par le consentement implicite et la vie. Cꝟ. t. II, c. xx, n. 2, p. 170.

Quant aux divisions de ce droit et au détail de sa matière, Suarez a distingué clairement, outre sa base naturelle, qu’on pourrait appeler un droit international fondamental, un droit international privé, concernant les rapports des citoyens de nations diverses entre eux, garantissant par exemple la sûreté des citoyens résidant en pays étrangers, cf. De leg., t. II, c. xix, n. 10, p. 169, ou encore la liberté commerciale, ibid., n. 7, p. 168 (cf. J. Catry, La liberté du commerce international, dans Revue générale du droit international public, mars-avril 1932, p. 193 sq.) ; enfin un droit international public qus gentium propriissime dictum), qui règle les rapports des États entre eux ; cf. ibid., n. 9, p. 169. Les dispositions qui constituent ce dernier visent la conduite réciproque des nations dans la paix ; elles concernent en particulier la représentation diplomatique, les traités de paix et d’armistice et les servitudes qui en résultent, les accords d’arbitrage, etc. Ce sont des règles, qui, s’afîermissant de plus en plus, tendent véritablement à l’organisation plus pacifique de l’humanité. Suarez ne pouvait prévoir l’intensification de la vie internationale qui caractérise notre temps ; mais il est certain qu’il a eu le sentiment très vif de la solidarité croissante des peuples européens, de la nécessité qu’il y avait à la fortifier et à la diriger dans le droit, et des progrès qu’on pouvait espérer dans cette voie.

7. Questions spéciales : missions et colonisation ; guerre. — Deux questions spéciales montreraient l’application des principes qui dominent la théologie pratique suarésienne et en particulier ceux du droit international ; nous ne pouvons que les indiquer sans entrer dans le détail. Toutes deux sont traitées dans l’ouvrage posthume, De triplici virtute theologica, Vives, t. xii.

a) Missions et colonisation. — Dans cet ouvrage, la disp. XVIII du premier traité, De fuie, p. 436 sq., de mediis quibus ad converlendos vel coercendos infidèles non aposlatas uti licet, donne d’intéressantes précisions sur le droit de l'Église à prêcher l'Évangile en tout lieu et à tous les infidèles, sur l’appel que le souverain pontife pourrait faire aux princes chrétiens afin de protéger 'es prédicateurs de la foi, défendre leurs missions, etc. Sur ces différents points, Suarez paraît suivre Vitoria, en présentant à peu près la même doctrine

avec plus d’ampleur dans les analyses. Il a également la même attitude que Vitoria devant la colonisation et ses excès, comme nous allons le dire en parlant de la guerre et de ses justes titres.

b) Guerre. — C’est dans la disp. XIII du De caritate (IIIe traité du De triplici virtute theologica, Vives, t.xii, p. 737-763, 9 sections) que Suarez a exposé en détail sa doctrine sur la guerre. Là encore, prolongée en divers points secondaires et pratiques, nous avons la même doctrine que celle de saint Thomas et de Vitoria. Les divergences qu’on a cru parfois y reconnaître nous paraissent à l’examen insuffisamment fondées, ainsi les infiltrations volontaristes, d’après Th. Delos, La société internationale et le droit public, p. 254 sq. ; ainsi l’application du probabilisme quant à la justice de la guerre et à la possibilité d’une guerre juste chez les deux adversaires, selon Vandcrpol, La doctrine scolastique du droit de guerre, 1925, n. 171-175.

a. — Pour nous en tenir à l’essentiel de l’exposé suarésien, disons que, selon Suarez, la guerre, si déplorable soit-elle par ses elîets physiques et moraux, n’est cependant pas un mal en soi, sect. i, p. 737 sq. ; elle n’est pas défendue aux chrétiens, quoi qu’en ait dit Luther. Dans l'état présent de l’humanité, elle est légitime parce que, entre nations indépendantes et souveraines, les injustices doivent être empêchées ou réprimées et qu’il n’existe pas d’autorité supérieure à ces nations pouvant imposer et faire observer ses sentences. Sect. iv, n. 5, p. 744. Elle est essentiellement un exercice de justice punitive ou vindicative, nécessaire au bon ordre du genre humain. Ibid., n. 7, p. 745. Suarez n’est pas du reste sans voir les difficultés de cette dernière conception, car elle implique que, à la différence des particuliers, les États souverains peuvent se faire justice eux-mêmes ; cf. sect. ii, n. 1, p. 739.

b. — Un prince qualifié, un juste titre, l’observation des règles communément reçues entre belligérants : telles sont les conditions de la juste guerre, cf. sect. ii, p. 739 sq. Les justes titres se ramènent en somme à la défense d’un droit qui menace d'être violé (guerre défensive) ou à la réparation d’une offense (guerre offensive). Les princes chrétiens n’ont, du fait de leur foi, vis-à-vis des infidèles, aucune raison valable d’entreprendre une guerre ; de ce que ces derniers sont réputés barbari et inepti ut se convenienler regant, ils ne peuvent être attaqués par les armes et conquis ; du reste evidens est mullos esse infidèles ingeniosiores ftdelibus et aptiores ad res politicas. Même des nations absolument incultes et vivant more ferarum ne peuvent être subjuguées par les armes que s’il y a eu de leur part des meurtres d’innocents ou autres injustices, ou encore si elles veulent entendre la prédication chrétienne et embrasser la vraie foi et que leurs chefs les en empêchent ; cf. sect. v, n. 7 et 8, p. 748 sq.

c. - — Suarez, croyons-nous, n’a pas admis la possibilité d’une guerre objectivement juste des deux côtés à la fois ; il a reconnu que des adversaires, surtout simples combattants, pouvaient estimer subjectivement et de bonne foi être également dans leur droit ; cf. sect. vi, n. 11, p. 751 ; mais, si le droit restait douteux de part et d’autre, il a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de se battre : celui qui était « en possession » pouvait y demeurer, sinon une entente était à conclure. Sect. v, n. 3 et 4, p. 749.

De même en ce qui concerne l’application du probabilisme à la question de la juste guerre, Suarez tient — et il le dit en termes fort nets — que conformément aux principes donnés dans le De bonitate et malitia, disp. XII, n. 6, elle n'était pas à admettre ; le souverain, agissant comme une sorte de juge, ne peut dans le doute que s’en tenir à l’opinion plus probable pour se former la conscience. Sect. VI, n. 2, p. 748. De même le soldat, du moins s’il est libre dans sa conduite et