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infailliblement assurer leur salut. C’est aussi doctrine catholique que l’homme reste libre, sous l’influence de la grâce, à laquelle il peut résister et que, par conséquent-, il > a dos grâces, par lesquelles l’homme aurait pu et dû se sauver et qui, en raison de la seule mauvaise volonté de celui qui les reçoit, ne sont pas suivies d’effet. C’est enfin un dogme que Dieu veut le salut île tous les hommes sans exception et que Jésus-Christ est mort pour tous ; on en déduit, avec des degrés divers de certitude, que la grâce nécessaire au salut n’est refusée a personne et que même elle est conférée à tous et a chacun, du moins en ce qui concerne les adultes, le cas des enfants étant conditionne par l’intervention nécessaire des causes secondes dans l’administration du baptême. Là s’arrête, dans ses lignes générales, la doctrine catholique de la grâce efficace et de la grâce suffisante. Jamais le magistère n’a consacré, pour lui-même, ce double concept dont l’opposition des termes paraît se ressentir beaucoup plus d’une systématisation scolastique que d’une inférence dogmatique.

De tous les documents ecclésiastiques, en effet, seul le décret du Saint-Office du 7 décembre 1690 parle de la grâce suffisante, mais c’est pour en condamner le concept janséniste : Gratia suffleiens statut nostro non lam utilis quant perniciosa est, sic, ut proinde merito possumus petere : A gratia sufficienti libéra nos Domine. Denz.-Bannw., n. 1296. C’est le caractère inutile, pernicieux même, attribué à la grâce dite suffisante qui est ici réprouvé.

Si on veut bien considérer les données scripturaires et patristiques, voir t. vi. col. 1656-1660, relatives à la grâce suffisante, on verra qu’aucun texte n’oppose, en les distinguant, une grâce, qui serait simplement suffisante, a une grâce par elle-même efficace, l.a grâce est nécessaire à l’homme pour faire son salut et pour accomplir chaque acte salutaire ; et si l’homme ne fait pas son salut, c’est que librement il résiste à la grâce qui lui est offerte : en vérité, c’est la seule affirmation dogmatique qui découle directement des textes.

2° Aussi l’on peut se demander si le problème de la grâce suffisante et, par connexion, celui de la grâce efficace, est posé sur son véritable terrain. Serait-il permis de chercher ici un meilleur terrain de discussion théologique'.'

Il faut que toute doctrine catholique respecte ces deux aspects du problème : d’une part, ne léser en rien le libre jeu de la liberté humaine ; d’autre part, sauvegarder en tout le souverain domaine de Dieu et la parfaite gratuité de l’ordre surnaturel ; la grâce efficace, tout en respectant la liberté humaine, devant trouver en Dieu sa raison profonde et dernière. Autrement les canons (i et 7 du 1P concile d’Orange n’auraient plus de sens. Cf. I)cnz.-Hannvv.. n. 179-180.

1. Molina entend sauvegarder la liberté humaine ; il admet pleinement le concours simultané, voir t. x. COl. 21 l sq. I.a volonté produit son acte d’adhésion a la grâce par l’effet du concours divin, Dieu et l’homme étant causes partielles r|u même effel total. Sur ce point, l’ordre surnaturel est calqué sur l’ordre nal ui’cl. Sans doute, au concours général de Dieu, il faut ajouter l’influx spécial de la grâce, qui élève au préalable et excite la volonté libre pour la rendre capable de produire des actes surnaturels. Ainsi surnaturalisée, la volonté n’a plus besoin de nouvelle motion divine : avec la ^râce et le concours général de Dieu, elle réalise l’acte surnaturel.

Cependant cet acte dépend tout entier de la volonté et de la bonté divines. I.c consentement a la grâce excitante ne donne pas a (elle ci son efficacité, mais réalise simplement une condition sans laquelle ce

secours ne serait pas efficace. Par la si ienec moyenne.

voir t. iii, col. 700 ; t. x. col. 2216 sq ;  ; t. xiv, col. 1612,

Dieu sait, d’une prescience infaillible, ce que ferait, dans telles circonstances données, la volonté humaine, et sa volonté souveraine réalise l’ordre dans lequel il prévoit la déterminai ion libre dans le sens du bien. Cette réalisation, voulue par Dieu et dépendant uniquement de son libre décret, montre que la grâce, demeurant la même dans l’hypothèse de la résistance ou du consentement de la volonté (suffisante ou efficace) a cependant comme raison dernière de son efficacité Dieu et non la volonté de l’homme.

Cette conception de la grâce suffisante et de la grâce efficace se heurte aux mêmes objections que la science moyenne, l.a science moyenne ne résout pas le problème de l’indépendance et du souverain domaine de Dieu, voir I. xiv, col. ltil I, et loin de sauver la liberté, la détruit en réalité, col. Kilo ; cf. Prédestination, t. xiii. col. 2973.

2. Suarez et Bellarmin modifient quelque peu le système de.Molina, afin de rapporter plus expressément et plus complètement à Dieu l’efficacité de la grâce. Du côté de la volonté humaine, le concours simultané (Suarez) ou la prémotion non prédéterminante (Bellarmin) essaient de sauvegarder la liberté. Du côté de Dieu, la science moyenne reste l’explication ultime du souverain domaine avec lequel s’exerce le décret divin, avec cette différence cependant que, dans la supercompréhension des causes », Dieu discerne, par la science divine, les circonstances qui appellent, entraînent d’une façon infaillible, quoiqu’en respectant la liberté du consentement humain : c’est ce qu’on appelle le congruisme. Voir ce mot, t. iii, col. 1 120 sq. Cette doctrine se heurte à toutes les difficultés de la science moyenne et n'évite pas les difficultés du thomisme, puisqu’en définitive, si une grâce reste suffisante, on pourra toujours dire que son manque d’efficacité vient de son manque de « congruité. Cf. Prédestination, col. 2978-2980.

3. Les thomistes sont plus logiques : à rencontre des molinistes et des congruistes qui n’admettent pas de différence intrinsèque entre la grâce suffisante et la grâce efficace, ils distinguent non seulement quant au nombre, mais quant à la nature, ces deux grâces. La grâce suffisante est ainsi appelée parce qu’elle donne à l’homme le pouvoir d’agir salutairement, le plaçant dans la condition où il peut poser l’acte libre de consentement. Toutefois une autre grâce, la grâce efficace est requise pour qn’en fait le consentement se produise. I.a première grâce est vraiment suffisante parce que, dans l’ordre potentiel, nul autre secours n’est requis pour agir, elle est donc suffisante in sua ijenere et online comme dit Billuarl. Vouloir qu’elle fasse davantage, c’est méconnaître sa nature même. Et l’on ne saurait dire avec les jansénistes que la grâce suffisante est celle qui ne suffit pas au salut, car Dieu est prêt à donner la grâce efficace à tous ceux à qui il donne la grâce suffisante ; il ne la refuse qu'à celui qui, par sa faute, résiste a la première grâce, faute qui, de sa nature, est antérieure à la grâce efficace. La grâce efficace lient donc d’elle-même, ab intrinseco, son efficacité. Voir Grâce, col. 1666, Prémotion physique, col. 71-7(1 ; 67-70.

1. Essai de solution. Il est un point sur lequel il convient de s’arrêter et celle dernière remarque permet, semble t-il. de replacer le problème de la grâce suffisante sur son véritable terrain, l.a « pierre de scandale i de la théorie thomiste consiste essentiellement dans la distinction numérique et spécifique des deux grâces, suffisante et efficace, <)n couperait court a l’objection janséniste : gratia sufficienti, libéra nos Domine, en identifiant pleinement les deux grâces. C’est la même grâce qui peut demeurer suffisante ou devenir efficace. I n repu entanl qualifié de l'école

dominicaine, le P. <.ni Hennin, avait esquissé, des 1902,