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SUPE RSTITION. CLASS1 FIXATION
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ces diverses observances où le commerce avec les dénions se laisse à la rigueur soupçonner. il faut joindre mille observances tout à fait futiles, comme la rencontre d’une pierre, d’un chien ou d’un enfant ». Loc. cit.. col. 50. On croirait que saint Augustin va laisser ces dernières observations à leur insignifiance ; mais, comme on les appelait communément superstitions, il les range, dans les signes à sens mystérieux : t Ces choses n’ont de valeur que celle qui leur vient de la présomption des esprits, qui y voient comme un langage convenu entre tous pour établir alliance avec les démons. En fait, toutes ces observances sont pleines d’une curiosité mauvaise, d’une inquiétude obsédante, d’une servitude mortelle. Car ce n’est pas leur valeur propre qui a fait observer ces rencontres ; mais au contraire, c’est à force de les observer et de les noter qu’on leur a donné une vertu. Aussi on leur donne des sens divers suivant les pensées et les présomptions de chacun. » Loc. cit.. c. xxiv, col. 54. Il faut déraciner tout cela de l’âme chrétienne. Loc. cit. ; cf. c. xxxix. col. 62.

Voilà donc réunis de force sous le même dénominateur le sacrifice du fétichiste et le geste du superstitieux qui touche du fer ! Tout au cours du Moyen-Age, les conciles noteront de superstition les usages d’origine païenne tout comme les agissements les plus vulgaires des sorciers : ce sont plusieurs vices placés sous la pure dénomination, très vague, nous l’avons vii, de superstition. IIMI*, q. xcii, a. 2, ad l um.

Justification en raison.

Ainsi nous en venons

à la seconde difficulté : pour expliquer comment ces excès si disparates ont été mis en opposition à la vertu de religion, la réponse la meilleure c’est que cet assemblage répond à une classification historique. C’étaient en fait des crimes ou des sottises qui ne ressortissaient à aucune discipline sérieuse, mais tout au plus à la pseudo-théologie du paganisme. En tous cas. ce sont les écrivains latins qui ont groupé sous le crime de superstitiu toutes ces pratiques étrangères à la religion officielle. Si l’Église chrétienne les a pareillement proscrits, c’est justement parce que les chrétiens convertis du paganisme y ont vu des restes d’idolâtrie et que, pour justifier leur légitime aversion, certains I ires de l’Église y ont dénoncé des pièges diaboliques. Saint Augustin alla plus loin : si elles n’étaient pas un culte explicite des dénions, l’astrologie et la magie ne menaient-elles pas quelquefois à une connivence avec eux ? Les théologiens scolastiques ont accepté cette vue. bien que saint Thomas y ait senti une assimilation forcée : Religion et superstition doivent s’opposer sur un terrain commun, celui des actes qui nous ordonnent à Dieu. Il semble donc qu’on ne peut voir une vraie superstition opposée à la vertu de religion en certains procédés divinatoires qui servent tout juste a deviner des événements humains, non plus qu’en certaines observances faites pour guider la conduite des hommes. — Réponse : si quelques-unes de ces pratiques se rattachent à la superstition, c’est dans la mesure où elles seraient en dépendance de quelque opération des démons. Et ainsi elles se rapportent à de certains pactes tentes avec eux. i I1° -1I*, q. xcii, a. 2, ad 2um.

Cette prudente solution fournit la réponse théologique à la difficulté précédente : après les superstitions dont la teneur est un acte de culte désordonné, et dont l’opposition flagrante a la vraie religion disait d’emblée frapper l’attention de l’Église, comme le culte des idoles ou le cuite faux du vrai Dieu, il se cache beaucoup d’autres abus d’allure toute différente, comme la consultation des sorts ou des astres et l’observation craintive de telle conjoncture vulgaire. Leur but semble honnête : connaître l’avenir et prévenir les dangers de la vie quotidienne ; les

D1CT. Dl. THÉOL. CATHOL.

moyens employés, plus ou moins raisonnables sans doute, n’ont rien de religieux. Dirons-nous pour autant qu’il y a des superstitions religieuses et des superstitions profanes ? Non, parce que, par délinitition. la superstition s’oppose à la religion sur son propre terrain. Les autres ertus : la force, la tempérance, » ont, semble-t-il, un seul acte, puisque ce sont les actes qui servent à distinguer les habitas. La religion, au contraire, a une multitude d’actes divers : le culte de Dieu, le service de Dieu : la prière, le sacrifice, le vœu et combien d’autres actes », même de la vie quotidienne. II a -II », q. lxxxi, a. 3, ad 2um. « L’objet de la religion, c’est de rendre honneur au Dieu unique, sous cette unique raison qu’il est le premier principe de la création et du gouvernement des choses. » Pareillement universelle est donc l’emprise de la religion sur l’homme. Ibid., ad 2um. Ce n’est que dans cette conception générale et catholique de la religion qu’on peut dire qu’elle s’oppose à toutes les formes de superstitions. Nous verrons, à propos de chaque classe, comment les superstitions cultuelles marchandent à Dieu le culte vrai, et la soumission totale auxquels il a droit ; tandis que les superstitions d’allure profane lui refusent le droit de diriger nos actions ordinaires. Cf. IIa-IIæ, q. xcii, a. 2 ; q. xciii, a. 1 et 2, etc.

Une théologie à courte vue dira qu’il n’est pas bon de mêler la religion à des affaires si terre-à-terre : si ces pratiques magiques ou divinatoires n’ont vraiment rien de religieux, ce ne sont pas du tout des superstitions, mais tout au plus des inepties dont la théologie n’a point à s’occuper. Mais, si l’on veut aller au fond des choses, il faut distinguer, dans la superstition comme dans la religion, l’objet matériel des actes et leur objet formel, qui seul leur donne leur moralité. L’objet matériel ce sont les gestes ou autres activités corporelles ou psychologiques ; l’objet formel c’est le sens humain donné à ces activités par l’intelligence et la volonté. Or, les superstitions caractérisées, comme l’idolâtrie ou le culte faux ou superflu, ont pour objet matériel des actes de culte qui ont déjà un sens désordonné par eux-mêmes ; il faudrait, pour les rendre excusables, montrer que ce sens n’a pas été aperçu ou a été renié par celui qui a fait le geste. Au contraire, les autres abus rangés sous le titre de superstition ont pour objet matériel des actes non religieux par eux-mêmes et souvent très insignifiants ; mais celui qui les a posés leur a donné un sens. Celui qui consulte les sorts ou les devins cherche sans doute à savoir son avenir ; mais à qui ou à quoi demande-t-il la lumière ? C’est ce qui donnera à son acte sa vraie valeur. S’il l’attend des calculs de l’homme, il y a peut-être sottise, mais ni religion, ni superstition ; s’il la demandait à Dieu, ce serait un acte religieux ; s’il la demande au démon, par une invocation plus ou moins explicite, il y aura bel et bien superstition formelle, malgré la vulgarité apparente de son ^estc. Au lieu de s’adresser à Dieu, on recevra ou du moins on attendra le secours de son ennemi. De là, pour la théologie, la nécessité de contrôler une multitude d’actions qui, de prime abord, n’ont rien de religieux.

Voici donc une répartition provisoire des superstitions en deux classes distinctes, répartition empruntée apparemment « à la matière des actes ». Mais la considération de l’objet matériel est ici très importante pour juger de l’objet formel, qui seul donne aux actes leur moralité : dans les superstitions cultuelles, l’acceptation d’un geste plein de sens ne peut être qu’un culte et nu culte explicite, tandis que dans les autres, qui n’ont extérieurement rien de religieux, le sens désordonné qu’on donnera a des gestes équivoques peut fort bien être tout autre chose qu’un culte, même implicite. On sent ici tout ce qu’a d’artificiel notre énumération traditionnelle des superstitions, en

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