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2809 SUPERSTITION. VAINES OBSERVANCES ET IlKi'.OURS AU DÉMON 2810

du recours aux (Unions : La superstition consiste à recourir au conseil OU à l’aide de-* dénions pour connaître ou pour faire quelque chose. 11'- 11' —, q. XCV, a. 2.

Peux point-- de vue s'étaient fait jour dans la tradition patristique. Quelques esprits fort positifs, connue saint Jean Chrysostome, eurent soin de mettre bien à part de l’idolâtrie, invocation expresse des dénions, les vaines observances îles jours heureux, qui sont pure Folie et extravagance : on y trouve la trace d’une machination diabolique ». Homil. xxxiii, Ad popul, Antioch. 1 os autres écrivains, comme l’Ambrosiaster, rapprochaient au contraire les vaines observances de l’idolâtrie, comme ayant même origine. I.a tentation était grande d’englober tout cela dans le même anathème. C’est saint Augustin, on l’a vii, qui fit ce rapprochement sommaire, avec quelques nuances néanmoins. Culte des démons, l’idolâtrie ; connivence avec lui. les oracles, et à ce genre se rattachent aussi les ligatures, les recettes pseudo-médicales, l’observation des jours néfastes. De doclr. christ., t. II, c. xvii. Nous avons dit également que le rapprochement n'était pas du goût de tous dans l'Église de son temps. De nos jours aussi, on met une grande différence entre les deux espèces de superstitions.

Pour faire droit aux deux points de vue. saint Thomas d’Aquin reprend le. vocabulaire augustinien : pacta cum divmortibus placita et fœderala ; mais il y introduit une distinction importante, qui donne raison au jugement plus indulgent des Pères grecs : il y a deux façons « d’user du conseil ou de l’aide des démons : ou bien leur secours est imploré expressément ; ou bien, sans aucune demande de la part de l’homme, le démon s’ingère de lui-même dans les pratiques superstitieuses ». II a -II", q. xcv, a. 3. Il y a plus qu’une nuance entre les deux interventions : dans l’une, le diable est appelé ; dans l’autre, il vient sans qu’on l’appelle ! On a tôt fait, quand on n’a pas cette distinction présente à l’esprit de bousculer ces « doctrines et jugements sévères. Disons-le en tout respect — la liberté avec laquelle s’exprime un disciple aussi fidèle que Cajétan nous y autorise — saint Thomas paraît bien dans son appréciation en être resté au temps de saint Augustin ». R. Brouillard, S. J., Présages superstitieux, dans tiuv. revue théol., 1931, p. 731. Quoi qu’il en soit de l’opinion de saint Augustin, saint Thomas dit pourtant bien nettement qu' « il est beaucoup plus grave d’invoquer les démons que de faire des choses qui prêtent à son intervention ». Ibid., ad l um. Si Cajétan semble si compréhensif, c’est qu’il a bien compris la distinction thomiste, d’ailleurs un peu équivoque dans lis termes, entre « les pactes exprès, qui comportent une invocation aux démons, et les pactes tacites, qui consistent dans le seul fait d’attendre [des forces naturelles] plus qu’elles ne peuvent donner ». Ibid., n. 6. Il faut expliquer cette distinction.

1. Invocation au démon.

On ne peut dire qu’il y ait des appels permis au Prince du mal ; les deux cas où un homme puisse prétendre avoir sur lui quelque puissance empruntée, ne sont pas des invocations par mode de prière, mais Mrs ordres par mode de contrainte. C’est, le cas du saint qui, par sa prselatio dans l’ordre de la grâce, chasse les démons » et parfois les oblige à dire la vérité ; mais c’est bien autre chose que d’invoquer le démon », ibid., a. 4, ad l" iii, et cela ne peut se faire « sans une spéciale dispensation divine. I a, q. cviii, a. 8, ad 2um. L’autre cas, privilège exceptionnel aussi, mais dans l’ordre social chrétien, c’est l’exorcisme, auquel son institution prescrit des limites qu’on aurait bien dû ne jamais outrepasser ; car « adjurer les dénions pour apprendre ou obtenir d’eux que, que chose, ce serait se prêter a quelque société aee eux ». IP-II*, q. xc, a. 2. Noir l’art.

liXORCIS.MI., t., col. 177'.

a) L’invocation superstitieuse appelle la coopéralion diabolique par des signes, qui sont comme des sacrements à rebours. Les théologiens ont développé, sous leur autorité propre et celle du seul saint Augustin, cette notion de « sacrements du diable ». Ceux-ci auraient leurs signes sensibles, que saint Augustin s’est plu à décrire : varia gênera lapidum, herbarum, lignorum, animalium, earminum, rituum. De cio. Dei, 1. XXI. c. vi. P. L., t. xli, col. 718. Les démons n’y attachent qu’une valeur de signes, parce qu' « ils sont attirés, pour autant que ces choses corporelles sont le signe de réalités spirituelles qui leur font plaisir ». S. Thomas, De potentia, q. vi, a. 10. Ou bien ces signes smit d’antiques institutions de l’idolâtrie, ou bien ils ont été inventés par les magiciens : quibusdam signis rcrimi, hiimana præsumptione institulis ad quasi quædam conventa… D’ailleurs, tous signes de détresse leur sont bons : aussi la variété de ces sacrements n’a jamais été cataloguée. Saint Thomas connaît les nécromanciens, les somnanbules, les sorcières qu’il assimile aux possédés, etc. II a -II B, q. xcv, a. 3. Mais il ne faut pas sourire de cette énumération : nous en avons l'équivalent dans le Petit et le Grand Albert qui circulent toujours dans nos campagnes et où les invocations à Satan, prises ut sonant, sont parfois très explicites : Fiunt expressæ invocationcs et fasingia quædam (des passes ?), unde pertinent ad expressa pacta cum dæmonibus inita. II a -II s, q. xevi, a. 2, ad 2um. Voir une description beaucoup trop précise de la Faculté de théologie, en 1398, dans J.-B. Thiers, op. cit., t. i, p. 21-29.

b) La question n’est pas de savoir quel compte fait le démon de tous ces appels, et quelle réponse il leur donne : il reste toujours indépendant des signes magiques. Q- xcv, a. 2, ad 3um. S’il répond parfois, selon ses moyens, c’est pour enchaîner l’homme à son service. Les théologiens scolastiques ont signalé quelquesunes de ces réponses ; mais on remarquera que, sauf pour les pratiques franchement idolâtriques, ils n’ont â citer aucune suggestion de la Sainte Écriture : leurs affirmations sont donc sujettes à examen. Dans les fausses religions, « le comble fut mis à tous les abus par le fait des démons : ce sont eux qui… donnaient des réponses aux consultations et qui faisaient des prestiges qui ébahissaient les gens ». Q. xciv, a. 4. Pour les superstitions d’allure profane, il en serait de même, d’après saint Augustin. Saint Thomas pense également qu’il y a une astrologie diabolique qui dit « parfois » le vrai, q. xcv. a. 5, ad 2um ; des songes provoqués par le diable, ibid., a. 6 ; des présages du même acabit, ibid., a. 7 ; et des sorts qu’il diiige, a. 8. Mais, en somme, même si les démons ne peuvent rien pour ceux qui les appellent, « même s’ils ne peuvent rien pour nous, le péché consiste dans le commerce qu’on lente d’avoir avec eux, commerce qui existe bel et bien, dans l’intention même ». Q. xevi, a. 1, ad 3um.

c) « Le premier mal est au principe même de l’acte superstitieux, dans le pacte explicite avec le diable, pai l’invocation même… Ce serait plus grave encore si, au démon qu’on appelle au secours, on offrait sacrifice et hommage », q. xcv, a. 4 : sacrifice de victime, hommage de sa personne et de son âme ; ce dernier excès serait, à vrai dire, pire que l’idolâtrie vulgaire. Mais l’invocation sans « révérence », l’appel au démon, non pour le servir, mais pour s’en servir à son avantage personnel, oiia proprement le mal de la superstition dans les pratiques magiques et divinatoires. « Car l’homme n’a pas reçu puissance sur les démons pour qu’il lui soit loisible de s’en servir à son gré : bien au contraire il est avec eux en état de guerre déclarée. Aussi n’a-t-il le droit d’utiliser leur aide, ni par pacte explicite, ni par pacte tacite, q. xevi, a. 2, ad 3 ura, le pacte tacite se fondant, non sur un appel, mais sur une simple imprudence.