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SYLLABUS. APRÈS LA PUBLICATION


sieurs autres. La tempête diminua progressivement et finit par s’apaiser ; pourtant le nom de Syllabus fut encore celui qu’on évoqua en 1905, au moment de la discussion de la loi de séparation, devant les chambres françaises, pour rappeler l’intransigeance de l'Église et du pontife romain. Cf. L. Choupin, op. cit., p. 109. D’où vint ce déchaînement de passions ? L’enseignement donné dans l’encyclique Quanta cura n'était pourtant pas nouveau. Pie IX ne faisait que reprendre, il le remarque lui-même, ce que ses prédécesseurs avaient déjà dit ; la doctrine qu’il exposait ne semblait pas devoir fournir matière à d’aussi âpres discussions et à des polémiques aussi acerbes.

1. Raisons de l'émotion causée par le Syllabus. — Le retentissement considérable de l’acte pontifical tint à plusieurs causes.

a) D’abord les événements qui se déroulaient au moment où parut l’encyclique lui donnèrent une importance de premier plan. La Question romaine se posait d’une façon plus aiguë que jamais ; les envahissements successifs du territoire pontifical avaient vivement ému les catholiques de tous les pays ; les paroles nobles et hères du souverain pontife en d’aussi graves circonstances devaient trouver partout le plus grand écho. Les discours de Malines avaient de leur côté surexcité les esprits et l’on était impatient de connaître la pensée du pape en des questions qui passionnaient l’opinion chez les laïques eux-mêmes.

b) Ce qui souleva aussi l’intérêt et suscita de vives colères chez les adversaires de l'Église, ce fut la netteté avec laquelle l’encyclique condamnait les erreurs. Lorsque le pape parlait des empiétements du pouvoir civil sur les droits de l'Église, des efforts faits par les gouvernements pour écarter de l'école tout enseignement religieux, des campagnes de presse contre les dogmes chrétiens, il faisait allusion à des actes récents et précis. Non content de condamner des principes, il en faisait des applications. Cf. F. Mourret, Histoire générale de l'Église, Paris, t. viii, 1921, p. 495.

c) Enfin le Syllabus, publié avec l’encyclique sur l’ordre du pape, mit le comble à cette excitation. Ses quatre-vingts propositions contenaient, de l’aveu de Pie IX, « les principales erreurs modernes ». Or, quelques-unes de ces propositions, séparées de leur contexte et habilement exploitées, prêtaient, dans leur imperatoria brevitas à des interprétations qui n'étaient pas toutes exactes. Le pape ne paraissait-il pas, par exemple, condamner radicalement la liberté de conscience, l’indépendance du pouvoir civil, le progrès même de la civilisation ? Cf. surtout proposition 15, 42, 80. On l’en accusa ouvertement ; on blâma ses prétentions. La polémique fut très vive en France surtout ; elle le fut beaucoup moins dans les autres pays.

2. Attitude prise en France.

a) Les adversaires de l'Église et le gouvernement. — La publication de l’encyclique et du Syllabus fut accueillie avec une véritable fureur par la presse anticléricale ou même simplement libérale. La France politique, le Constitutionnel, la Patrie, les Débats, l’Opinion nationale mirent en garde leurs lecteurs contre « l’intrusion du souverain pontife dans les afîaires politiques ». Le Siècle vit dans le Syllabus « le suprême défi jeté au monde moderne par la papauté expirante ». On accusa le pape « d'éteindre le progrès, d'étouffer l’esprit moderne et le droit nouveau, de ressusciter le Moyen-Age et d’absorber la société laïque ». Les libres penseurs, les saint-simoniens, les panthéistes et les athées menèrent une campagne violente contre la personne et l’autorité du vicaire de Jésus-Christ. Ceux qui se liguaient contre la papauté se recrutaient surtout parmi les adversaires déclarés de toute croyance, de tout culte, les sectaires de toute nuance.

Le gouvernement lui aussi crut devoir intervenir

sans aucune modération. Dès le 26 décembre — quinze jours après la promulgation des documents pontificaux — dans une note adressée à l’ambassade de France à Rome, il avait formulé « les regrets que la publication de l’encyclique lui avait inspirés ». Cf. J. Chantrel, Annales ecclésiastiques de 1860 à 1866, Paris, 1867, p. 311. Le 1 er janvier 1865, une circulaire du ministre de la Justice et des Cultes fut adressée à tous les évêques de France. Distinguant deux parties dans les textes venus de Rome, le ministre déclarait : « Le Conseil d'État est saisi de l’examen d’un projet de décret tendant à autoriser la publication dans l’empire de la partie de l’encyclique qui accorde un jubilé pour 1865. Quant à la première partie de l’encyclique et au document qui y est annexé sous le titre : Syllabus complectens præcipuos noslrse setatis errores etc. Votre Grandeur comprendra que la réception et la publication de ces actes, qui contiennent des propositions contraires aux principes sur lesquels repose la constitution de l’empire, ne sauraient être autorisées. Ils ne peuvent donc être imprimés dans les instructions que vous croiriez devoir adresser aux fidèles. » Cf. J. Chantrel, op. cit., p. 315. De fait, le 5 janvier, Napoléon III signait un décret permettant la publication dans l’empire « de la dernière partie de l’encyclique, commençant par ces mots : Hisce litteris auctorilate Nostra ». Ibid., p. 319.

b) Les évêques. — Les évêques ne tardèrent pas à faire entendre de vives protestations contre la décision du gouvernement français. Un mois à peine après le décret impérial, ils avaient presque tous exprimé leurs sentiments. Cf. Raulx, Encyclique et documents, Paris, 1865, 2e partie ; J. Chantrel, op. cit., p. 316 sq. ; Alex, de Saint-Albin, L’encyclique et les évêques de France, recueil complet des lettres… de N. N. S. S. les archevêques et évêques de France, Paris, 1865 (les citations qui suivent se réfèrent à ce dernier ouvrage).

Quelques évêques s’adressèrent à leur clergé dans des mandements. Ils adhéraient évidemment sans réserve aux documents pontificaux « réprouvant et condamnant toutes les erreurs réprouvées et condamnées, dans le sens et de la manière que le pape les réprouve et les condamne ». Ils relevaient aussi les calomnies des ennemis de l'Église, rejetant surtout avec indignation l’opposition qu’on disait exister entre leurs devoirs de catholiques et leurs devoirs de Français. Ils recommandaient enfin à leurs prêtres la prudence et la circonspection dans les paroles, les priant de ne point s’engager en des discussions hâtives sur certains points délicats traités dans l’encyclique et le Syllabus et montrant qu’il fallait avoir, pour bien parler de ces sujets, des notions variées et précises, des connaissances historiques et théologiques étendues. Cf. les mandements des évoques de Limoges, Pamiers, Beauvais, Agen. Op. cit., p. 23, 59, 38, 189.

Mais la plupart des prélats écrivirent directement au ministre, afin de protester contre la défense qui leur était faite de publier l’encyclique. Sans se départir un seul instant du respect qu’ils devaient au pouvoir établi et tout en affirmant leur fidélité au gouvernement de l’empire, les évêques rappelaient d’abord qu’en matière de doctrine le pape était le seul juge ; ils devaient pouvoir communiquer librement avec lui et transmettre à leurs fidèles les enseignements du pontife romain. Ce point capital était surtout mis en lumière par l'évêque de Metz, l’archevêque de Toulouse et l'évêque de Nîmes. Cf. pour le premier, F. Klein, Vie de Mgr Dupont des Loges, Paris, 1899, p. 195 ; pour les deux autres, op. cit., p. 10, 16. Non sans quelque ironie, les évêques français faisaient aussi remarquer au ministre des Cultes qu’ils étaient les seuls à être privés du droit de publier l’encyclique ; les catholiques, pour la connaître, pouvaient se la pro-