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SYNOPTIQUES. HISTOIRE DU PROBLÈME


(1778), puis Eichhorn (1794) supposent l’existence d’un évangile araméen primitif dont Matthieu, Marc et Luc seraient trois versions indépendantes. Puis c’est l’hypothèse de la tradition orale, esquissée d’abord par Herder (1797), et exposée ensuite de façon systématique par Gieseler (1818) : cette explication de la formation des évangiles uniquement par la tradition orale a trouvé de nombreux partisans, principalement parmi les catholiques (actuellement encore M. Levesque, le P. Marcel Jousse et quelques autres), mais surtout elle entre comme un élément de solution dans la plupart des systèmes actuels. En 1832, Schleiermacher préluda d’autre part à l’hypothèse documentaire en admettant comme sources de nos évangiles un grand nombre de diégèses, ou petits récits écrits, qui auraient été la première forme de la littérature évangélique. Les théories de l'École de Tubingue sur la composition des évangiles reflètent naturellement sa conception de l’histoire du christianisme primitif : ses représentants supposent à l’origine deux documents, l’un, araméen, de tendance judéochrétienne, un autre, paulinisant, ou grec, dont Matthieu et Luc seraient respectivement la forme évoluée et doctrinalement atténuée ; Marc aurait combiné les deux documents primitifs en en neutralisant les tendances. Si le système de l'École de Tubingue a été abandonné, sa méthode, dont la caractéristique est de faire correspondre le développement de la littérature évangélique avec le développement historique et doctrinal du christianisme primitif, est à la base des systèmes les plus récents proposés par la critique indépendante pour expliquer la formation des évangiles.

Baur et ses disciples avaient défendu l’idée du caractère secondaire de Marc, en vertu de considérations d’ordre historique plutôt que littéraire : sur ce point particulier, la réaction se produisit bientôt, à la suite d'études critiques plus approfondies ; c’est la thèse opposée de la priorité de Marc par rapport aux autres évangiles qui allait devenir dominante et servir de base à la théorie dite des deux sources. D’après ce système, nos Synoptiques actuels auraient deux sources principales : d’une part, l'évangile de Marc, ou une forme primitive de cet évangile, d’autre part, un recueil araméen de discours, identifié ou non avec les Logia de Matthieu indiqués par Papias, dont l’utilisation par Matthieu et Luc expliquerait les éléments communs à ces deux évangiles, qui ne figurent pas dans Marc. Cette théorie, sous cette forme simpliste, est aujourd’hui reconnue comme insuffisante, à elle seule, à résoudre le problème synoptique et l’on a été amené soit à admettre des sources secondaires plus ou moins nombreuses, soit à supposer des formes intermédiaires entre les sources primitives et leur utilisation par les évangélistes. Dans ses lignes générales, elle est cependant admise, tout au moins comme point de départ et comme cadre pour des recherches ultérieures, par la plupart des critiques, en dehors des catholiques. Ces recherches ont tendu soit à préciser le caractère, l'étendue des sources et leurs états successifs, soit à déterminer leurs rapports entre elles et avec les évangiles actuels. On n’accepte guère plus aujourd’hui la théorie du Proto-Marc, qui connut une période de faveur, théorie d’après laquelle la première source des Synoptiques n’aurait point été Marc luimême, mais une forme primitive de cet évangile, soit plus longue (Holtzmann), soit surtout plus courte (E. Reuss, Weizsàeker). Quant à la seconde source, désignée généralement par le sigle Q (Quelle = source en allemand), on en a tenté diverses reconstitutions, les uns n’y voulant voir qu’un simple recueil de discours, d’autres admettant qu’elle comprenait aussi quelques récits (c’est en particulier l’opinion de A. Harnack et B. Weiss). Les divergences ne sont pas moin dres sur les relations entre la première et la seconde source : tandis que certains admettent l’utilisation de Q par Marc (Harnack, B. et J. Weiss, Loisy, Streeter), d’autres (Jûlicher, Wernle, Wellhausen) combattent cette hypothèse. D’ailleurs l’orientation des recherches critiques sur le problème synoptique s’est notablement modifiée depuis le commencement du xxe siècle. La critique, se faisant de plus en plus radicale, n’accepte plus de considérer nos évangiles actuels comme des écrits à peu près homogènes, dus à un seul auteur : à côté des sources principales, on leur suppose une multiplicité de sources secondaires, et surtout on les considère comme l’aboutissant d’un travail rédactionnel complexe. Le problème littéraire se double d’un problème historique et doctrinal. On recherche les couches successives de tradition auxquels correspondent les divers éléments, en lesquels on décompose les évangiles. Le problème synoptique s’insère ainsi dans le problème plus général de la formation et du développement de la tradition évangélique. C’est en particulier la position adoptée par l'école récente, qui préconise la méthode dite de l’histoire des formes (Formgeschichtliche Méthode), laquelle suppose que la tradition évangélique a pris naissance et s’est développée dans la communauté chrétienne primitive, qu’elle s’est enrichie progressivement en correspondance avec les besoins de la foi et du culte, se fixant dans des écrits fragmentaires de caractère varié (apophtegmes, discours, miracles), qui ont été utilisés pour la rédaction des évangiles.

La critique indépendante ne tient à peu près aucun compte des données de la tradition ecclésiastique, et fonde ses conclusions relatives à l’origine des évangiles sur la seule étude interne des textes. Les exégètes catholiques au contraire attachent un très grand prix aux témoignages traditionnels. Les données que ceux-ci fournissent ont été rappelées et précisées dans les décisions de la Commission biblique pontificale sur l'évangile selon saint Matthieu (19 juin 1911), sur les évangiles selon saint Marc et selon saint Luc (26 juin 1912), sur la question synoptique (26 juin 1912), décisions qui doivent servir de cadre aux systèmes élaborés pour résoudre les problèmes littéraires relatifs aux Synoptiques. Voici le texte de la décision sur la question synoptique :

1. Tout en observant ce qui, dans les décisions précédentes, doit être absolument observé, surtout en ce qui regarde l’authenticité et l’intégrité des trois évangiles de Matthieu, Marc et Luc, l’identité substantielle de l'évangile grec de Matthieu avec son original primitif, et aussi l’ordre dans lequel ces évangiles ont été composés, les exégètes peuvent-ils, pour expliquer les ressemblances ou les divergences des évangiles, parmi tant d’opinions diverses et contradictoires, discuter en toute liberté et recourir à l’hypothèse de la tradition soit écrite, soit orale, ou encore à celle de la dépendance d’un évangile par rapport à un évangile antérieur ou aux évangiles antérieurs ? — Oui.

2. Doit-on regarder comme observant les décisions susdites ceux qui, sans appui sur un témoignage traditionnel et sans preuve historique, acceptent facilement l’hypothèse dite communément « dos deux sources », qui prétend expliquer la composition de l'évangile grec de Matthieu et de l'évangile de Luc surtout par leur dépendance à l'égard do l'évangile de Marc et à l'égard d’une collection dite « des discours du Seigneur » ? Et par suite, peuvent-ils soutenir en toute liberté cette hypothèse ? — Non, sur les doux points.

III. Examen des principaux systèmes proposés

    1. POUR LA SOLUTION DU PROBLÈME SYNOPTIQUE##


POUR LA SOLUTION DU PROBLÈME SYNOPTIQUE.

Hypothèse de la tradition orale.

Cette hypothèse

qui, sous sa forme rigoureuse (explication des rapports entre les Synoptiques par la seule tradition orale), ne compte plus que de rares partisans, repose sur un fait indéniable : c’est d’abord sous forme de tradition orale