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THÉOLOGIE. SAINT THOMAS

selon S. Thomas d’Aquin, Paris, 1931, p. 6-10 ; M.-J. Congar, La déification dans la tradition spirituelle de l’Orient, dans Vie spirituelle, mai 1935, suppl., p. 91-108 ; É. Gilson, Réflexions sur la controverse S. Thomas-S. Augustin, dans Mélanges Mandonnet, t. i, Paris, 1930, p. 371-383 ; M. De Corte, L’anthropologie platonicienne et l’anthropologie aristotélicienne, dans Éludes carmélilaines, t. xxv, 1938, p. 54-98 ; M.-D. Chenu, The revulutionary intellcctualism of St. Albert the Great, dans Iilacklriars, 1938, p. 5-15.

Nous comprenons mieux, maintenant, le sens de cette démarche par laquelle Albert et saint Thomas se mettent à l’école d’Aristote, cherchant en lui non pas seulement un maître de raisonnement, mais un maître dans la connaissance de la nature des choses, du monde et de l’homme lui-même. Certes, saint Thomas n’ignore pas plus que saint Bonaventure que toutes choses doivent être rapportées à Dieu. Mais, à côté de cette référence à Dieu dans l’ordre de l’usage, il reconnaît une bonté inconditionnée à la connaissance spéculative de ce que sont les choses, œuvre de la sagesse de Dieu. Il s’agit de reconstruire spéculati veinent l’ordre des formes, des rationcs, mis dans les choses et dans les mystères du salut eux-mêmes, par la sagesse de Dieu. Un tel programme ne peut se réaliser que par une connaissance des formes et des natures en elles-mêmes, et c’est pourquoi l’aristotéiisme de saint Thomas n’est pas extérieur à sa sagesse théologique et à la conception même qu’il s’est faite de celle-ci.

Et voici comment le rendement de la raison en théologie va en être transformé. Les éléments du travail théologique sont fournis par la philosophie d’Aristote, non sans correction et purification d’ailleurs. Toutes les notions de cause, d’essence, de substance, de puissance, de mouvement, d’habitus, viennent d’Aristote. Et non seulement dans l’ordre des sciences de la nature, mais dans celui de l’anthropologie et de l’éthique : notions d’intellect agent, de volonté libre, de fin, de vertu, de justice, etc. Certes, d’autres que saint Thomas, et les « augustiniens » eux-mêmes, utilisent et citent Aristote. Dans la seconde moitié du xme siècle, à quelques exceptions près peut-être, tous pensent en termes aristote. iciens. Mais il faut bien prendre garde et ne pas croire que, sous cette terminologie, ce soient vraiment la pensée d’Aristote et sa conception des choses qui se trouvent réellement. Sous une unité littéraire et peut-être psychologique, les gardent une profonde diversité de pensée philosophique et de système du monde, et cela à l’intérieur d’un même ordre religieux, par exemple, dont on fêtait volontiers une école unique. Les catégories de matière et de forme et de composition hyléinorphique, par exemple, recouvrent chez les divers auteurs des notions f.irt diver es, et l’on pourrait multiplier les exemples. À saint Thomas, par contre, au delà d’un cadre pun ment formel de pensée, Aristote a apporté une vue rationnelle du monde qui devint, dans la pensée du docteur rlin tien, l’instrument d’élaboration de ce double humain de la science de Dieu, que nous avons vu être l’idéal de sa théologie. Aristote a apport

  • .m mu’., :. et spécialement à iain1 Thomas

une nature, la science d’un ordre de natures. El c’est cela qui, sans modifier dans sa structure formelle la conception du rapport de la raison à la foi, a modifié le rendement de la raison et a transformé la théologie. Avec s. fin ! Thomas, nous avons vraiment Un System, théologique. Cf. ici, t. i, col. 778-779 ; llilarin (Feldcr), Histoire des études dans l’ordre de s. Fran ttad. p ; ir Eu&èbe de Bar-le-Duc, Paris, 1008, p. 162 !. 1. / Indes de philos, imd., p. 29.

3. Présupposés et questions engagés par cette position.

a) La qui en) ralt dan cette t oie étail in 1 1 (1er i fie par une théorie de I ogie et des noms divins ». I listoriqucnn I mesure que progresse l’application de la technique rationnelle et philosophique dans le domaine théolo-I gique, le besoin s’affirme de tirer au clair la question j de la légitimité d’une attribution à Dieu de nos concepts et de nos vocables créés. Le souci en est manifeste chez les théologiens de la fin du xiie siècle et du commencement du xiiie, comme le montre E. Schlenker, Die Lehre von den gôltlichen Namen in der Summa Alexanders von Haies, l-’ribourg-en-B., 1938. Cf. Pierre de Poitiers, Sent., t. I, c. iii-vii, xii, xviii, etc., P. L., t. ccxi, col. 794-812, 834-840, S66 ; Pieire de Capoue, Summa (Val. lat. 4296), c. v, vi, viii, ix, xxvii, xxviii, voir Grabmann, Gesch. d. schol. Melh., t. ii, p. 533, n. 1 ; Prévostin, qui a de multiples questions sur ce sujet, Summa, t. I, voir G. Lacombe, La vie et les œuvres de Prévostin, t. i, Paris, 1927, p. 168-169 ; Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, t. I, De nominibus Dei ; de iliis quæ dicuntur de Deo sine comparalione ad creaturas. Chez saint Thomas, cette justification du discours rationnel en théologie est proposée avec une conscience parfaitement lucide. Elle repose sur une conception de la nature et de la grâce qu’on peut, considérer comme classique dans le catholicisme. Voir In Boetium de Trin., q. ri, ad 3um :

Dona gratiarum hoc modo naturæ adduntur quod eam non tollunt, sed magis perflciunt… quamvis autem lumen mentis humanæ sit insufllciens ad mauifestationem eorum quæ per fidem manifestantur, tamen impossibile est quod ea quæ per fidem nobis traduntur divinitus, sint contraria his quæ per naturam nobis sunt indita : oportet enim altelura esse falsum, et cum utrumque sit nobis a Deo, Deus esset nobis auctor falsitatis, quod est impossibile ; sed magis cum imperfeclis inveniatur aliqua simililudo perfcctoi uni, quamvis imperfecta, in his quæ per rationem naturalem cognoscuntur, sunt quædam similitudines eorum quæ per fidem tradita sunt.

La justification de la théologie comme expression du mystère de Dieu repose tout aussi bien sur une théorie de l’analogie et une étude critique des « noms divins ». Saint Thomas est revenu maintes fois, mais plus particulièrement, par ordre chronologique : In I um Sent., disl. XXII ; Cont. Cent., 1. 1, c. xxix sq. ; In I am Sent., dist. II, a. 3, qui représenterait une question disputée à Rome et ultérieurement insérée à cet endroit ; Q. disp. de poientia, q. vu ; Sum. theol., I », q. xiii.

b) Si le problème de la théologie chez saint 1 homas engageait des présupposés qui sont, en somme, ceux de toute théologie, cette position n’allait pas, cependant, sans poser de très sérieuses questions, qui sont de nature à nous faire pressentir, dans la théologie du xiiie siècle, des possibilités de crise.

Le procédé consistant à abstraire quelque chose de « formel » en le dégageant de ses modes, puis d’appliquer ce formel aux mystères de la foi sous le bénéfice de l’analogie, repose tout entier sur la distinction entre une rnliovt son mode et sur la conviction qu’une ratio ne change pas en ses lois essentielles lorsqu’elle est réalisée sous des modes différents. Hi’ef, une théologie rationnelle repose tout entière sur la conviction que, dans la transposition d’une notion a un plan de réalités transcendantes, dont le mode positif non. échappe, Vcinuirnlcr ne détruit pas le formaliter. Par exemple, on sait très bien que la manière dont le Christ in Hue et agit sur les hommes est quelque chose d’éminent et d’unique : ou encore que la procession du Verbe en Dieu se réalise d’une manière éminente. unique et Inaccessible à l’esprit. Mais l’on sait aussi que. à condition de purifier ces notions et d’atteindre à la conception de pures rationcs formelles, il est possible et légitime d’appliquer a l’action du Christ la mêla physique de la causalité el a la procession du Verbe la philosophie de la génération et de l’intellection.

Or, un tel procédé pose une sérieuse question. Ne