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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/287

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THÉRÈSE (SAINT EJ


en quelque sorte le plus grand que l’on puisse endurer i i- î bas : je parle des tourments extérieurs et du cas où les douleurs atteignent un degré excessif. » Château, 6e dern., c. i. I. vi, p. 171. Les peines intérieures sont, en elïei, plus douloureuses encore, Thérèse fait allusion ici à sa grande maladie et semble la considérer comme une préparation aux états mystiques. Cf. Grégoire de Saint-Joseph, La prétendue hystérie de sainte Thérèse, Lyon, 1895 ; D r Goix, Les extases de sainte Thérèse, dans Annales de philosophie chrétienne, mai-juin 189C : P. de San, Étude pathologico-tkéologique sur sainte Thérèse, Louvain, 1886.

Les écrivains catholiques, qui croient pouvoir qualifier d’hystériques certains phénomènes de la vie de sainte Thérèse ne rejettent pas pour cela l’authenticité de ses états mystiques. Cf. Guillaume Hahn, Les phénomènes hystériques et révélations de sainte Thérèse, dans Revue des questions scientifiques, Bruxelles, 1883, mis à l’Index le 1 er décembre 1885. À tort ou à raison, ils croient possible la conciliation des deux, ce qui nous paraît toutefois impossible. Il n’en est pas de même pour ceux qui nient le caractère surnaturel et divin de tout état mystique. Selon H. Delacroix, l’évolution mystique de sainte Thérèse est un produit de « son activité subconsciente », préparé « par cet « état de nervosisme grave » que même les plus prévenus de ses biographes sont contraints de reconnaître ». Deux étapes dans cette évolution. Dans la première, celle de « l’excitation des images mentales », Thérèse arrive à croire à la présence du Dieu mystique en elle, présence rare d’abord, ensuite continue. Dieu prit ainsi « possession de tous les états » de son âme et la dirigea par sa « parole intérieure ». Puis, il s’opéra en Thérèse « comme un dédoublement » — c’est la deuxième étape — « certaines images s’exaltèrent et s’extériorisèrent : la parole intérieure s’objectiva, lui sembla venir d’un étranger… à qui elle les rapportait. » Ce furent d’abord des paroles qui vinrent du dehors, ensuite les visions. « Ainsi, pendant que se déroulait l’évolution interne qui réalisait en elle le Dieu confus, le divin au-delà de toute forme, il s’organisait au dehors le Dieu objectivé, le Dieu qui parle et qu’on voit, le Dieu qui est le Dieu de l’Écriture. » Les yrands mystiques chrétiens (Bibl. de phil. contemp.), nouv. édit., 1938, p. 72-75. Vouloir expliquer les faits mystiques par l’activité subconsciente, par « l’irruption des phénomènes subconscients dans la personnalité ordinaire », c’est faire preuve d’incompréhension, c’est prendre pour des états qui peuvent être parfois morbides les manifestations les plus hautes des communications de Dieu avec l’âme humaine. Conséquence du préjugé rationaliste qui rejette la réalité objective du surnaturel et du divin.

L’oraison comme moyen de sanctification.

Sainte

Thérèse est l’apôtre de l’oraison mentale, elle en est aussi, on peut dire, le docteur. Elle a retiré, la première, les plus précieux avantages de cet exercice. Aussi est-ce avec les accents d’une éloquence entraînante qu’elle en recommande la pratique aux autres.

Chez les augustines, elle récitait « beaucoup de prières vocales ». La lecture méditée des livres de piété lui fit comprendre, avant son entrée dans la vie religieuse, « la vanité de tout ce qui est ici-bas, le néant du monde, la rapidité avec laquelle tout passe ». « J’avais pris goût aux bons livres, dit-elle, ils me donnèrent la vie. Je lisais les épîlres de saint Jérôme et j’y puisais tant de courage, que je me décidai à m’ouvrir à mon père de ma vocation religieuse ». Vie, c. iii, p. 59, 62.

La vie d’oraison proprement dite de sainte Thérèse commença à son entrée au monastère de l’Incarnation d’Avila. La méthode qu’elle suivait alors et les fruits qu’elle retirait de cet exercice sont exposés

longuement dans la Vie. Elle se servit d’un livre pendant près de vingt ans : « Je n’osais, dit-elle, faire oraison sans un livre. L’aborder sans ce secours causait à mon âme autant d’effroi qu’un combat à soutenir contre une multitude ennemie. » Vie, c. i, p. 74. Elle ne pouvait pas faire l’oraison discursive, car Dieu ne lui avait pas « donné le talent de discourir avec l’entendement », ni celui de se servir utilement de l’imagination ». Ibid., p. 72. Aussi recommandé-t-elle beaucoup l’usage d’un livre aux personnes qui souffrent de cette impuissance. Ibid., p. 73.

Sainte Thérèse faisait ordinairement l’oraison affective où il y a peu de raisonnements. « Ne pouvant discourir avec l’entendement, je cherchais à me représenter Jésus-Christ au dedans de moi. Je me trouvais bien surtout de le considérer dans les circonstances où il a été le plus délaissé ; il me semblait que, seul el affligé, il serait, par sa détresse même, plus disposé à m’accueillir. » Vie, c. ix, p. 128. Le point capital de l’oraison n’est pas « le travail de l’entendement ». « L’avancement de l’âme ne consiste pas à penser beaucoup mais à aimer beaucoup. » Fondations, c. v, t. iii, p. 97-98.

L’impuissance à faire l’oraison discursive expose aux distractions et aux sécheresses. Les premières se combattent par l’usage du livre. Mais les autres doivent être subies. Sainte Thérèse parle des « grandes sécheresses » que lui « causait cette impuissance à discourir ». Vie, c. iv, p. 73. À cause de cela » et pendant des années, dit-elle, j’étais plus occupée du désir de voir la fin de l’heure que j’avais résolu de donner à l’oraison, plus attentive au son de l’horloge qu’à de pieuses considérations. » Elle devait vaincre sa répugnance, parfois extrêmement vive, pour entrer à l’oratoire où elle faisait son oraison. Vie, c. viii, p. 122. Si elle insiste tant sur les difficultés qu’elle a rencontrées elle-même dans la pratique de l’oraison, c’est pour encourager ceux qui en souffriraient et les empêcher d’abandonner un exercice qui est « la porte par où pénètrent dans l’âme les grâces de choix ». Vie, c. viii, p. 124.

Elle n’hésite pas à dire que, pendant une année, elle abandonna l’oraison, afin de faire éviter ce malheur à d’autres. Elle était cependant appelée à une oraison sublime ! Pendant les vingt années d’oraison difficile, elle fut gratifiée, en quelques circonstances, de « l’oraison de quiétude » et « quelquefois même » de « celle d’union ». Vie, c. iv, p. 72. Il y eut donc, dans sa vie, une infidélité qui explique cet abandon.

Cette circonstance de la vie de Thérèse est instructive et mérite d’être remarquée. Ce ne fut pas la violence qu’elle devait s’imposer pour se recueillir malgré les distractions, les sécheresses et les aridités qui la détourna de l’oraison. Ce fut la dissipation dans laquelle elle vécut après sa grande maladie. La coexistence dans une âme, disent les auteurs spirituels, de la pratique habituelle de l’oraison mentale et d’une vie de péché est impossible. Ou bien l’âme se convertira ou bien elle laissera l’oraison. Il semble, en effet, qu’il y ait une contradiction intolérable pour une âme que de se recueillir chaque jour en présence de Dieu pendant le temps de l’oraison, et de rester cependant toujours dans le péché. Sans doute, sainte Thérèse ne commit pas des péchés graves. Elle était portée à les croire tels cependant : « J’en vins à m’exposcr à de si grands périls et à livrer mon âme à de telles frivolités que j’avais honte de m’approcher de Dieu par cet intime commerce d’amitié qui s’appelle l’oraison. » Le démon put facilement « sous prétexte d’humilité » lui tendre le piège et lui persuader qu’une « personne qui méritait d’habiter avec les démons ne devait pas faire oraison mentale et entretenir des relations si intimes avec Dieu ». Vie, c. vii, p. 97-98. La conviction de la