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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/289

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THÉRÈSE (SAINTE)


catholique doit être préférée par elles à toute intention particulière de prier. Chemin de la perfection, c. i, t. v, p. 35 ; Fondations, c. i, t. iii, p. 58 sq.

Les exceptionnelles qualités naturelles de sainte Thérèse se manifestenL dans l’exécution de son projet de réforme du Carme] : la sûreté de coup d’œil qui prévoit les difficultés et les moyens d’en triompher, la promptitude à saisir toutes les occasions favorables, la patience qui sait s’arrêter lorsque l’opposition est violente, tout en gardant la ferme résolution de faire aboutir coûte que coûte l’œuvre commencée, l’habileté à tourner l’obstacle, enfin le charme que ses séduisantes qualités de relation exerçaient même sur ses plus irréductibles adversaires. Sans doute, elle consultait Dieu dans ses oraisons. Elle agissait cependant comme si tout eût dépendu d’elle. Aux c. xxxii-xxxvi de sa Vie, Thérèse raconte les curieuses péripéties de cette difficile réforme qui a consisté à rétablir la règle des carmes donnée par saint Albert en 1209 et approuvée en 1226 par le pape Honorius III. Cette règle avail été révisée sur la demande de saint Simon Stock, général de l’ordre, par le pape Innocent IV en 1248, date du Bullaire des carmes. La règle ainsi révisée est celle qui s’observe dans toute la réforme de sainte Thérèse. Elle « prescrit l’abstinence perpétuelle de viande, sauf le cas de nécessité, le jeûne huit mois de l’année », la clôture la plus rigoureuse « et bien d’autres choses qu’on peut voir dans la règle primitive ». Vie, c. xxxvi, t. ii, p. 86-87. Le premier monastère des carmes déchaussés fut fondé en 1568 par sainte Thérèse et saint Jean de la Croix à Duruelo. Fondations, c. xiii, t. iii, p. 179 sq.

Un point de la réforme causa quelques hésitations. Les monastères devaient-ils avoir des revenus ou vivre dans la plus stricte pauvreté, attendant leur subsistance uniquement des aumônes reçues ? Saint Pierre d’Alcantara, consulté par la sainte à ce sujet, se prononça énergiquement en faveur de la pauvreté absolue. Vie, c. xxxv, t. ii, p. 56. Thérèse adoptait aussi cette manière de voir. Cependant son bon sens lui faisait craindre que la préoccupation de trouver les aumônes nécessaires aux monastères ne fût une cause de trouble pour les religieuses. Finalement, elle consentit à créer des monastères avec des revenus, Fondations, c. ix, et il y eut des monastères sans revenus et d’autres avec revenus. Les premiers ne devaient pas avoir plus de treize ou quatorze religieuses. « De nombreux avis, joints à ma propre expérience, dit Thérèse, m’ont appris que pour conserver l’esprit intérieur qui est le nôtre et vivre d’aumônes, sans faire de quête, il ne faut pas être davantage. » Vie, c. xxxvi, t. ii, p. 88. Les monastères dotés de revenus peuvent avoir vingt religieuses, y compris les sœurs converses. Enfin, de même qu’elle avait obtenu de Rome l’autorisation de fonder des monastères sans revenus, elle obtint aussi que les monastères des carmélites fussent soumis à la juridiction des évêques. Et ceci, comme dit saint Pierre d’Alcantara, pour mieux établir l’observance de la première règle du Carmcl. Cf. Œuvres complètes de sainte Térèse, t. ii, p. 423. Les carmes mitigés, s’ils eussent dirigé les carmels, auraient eu peu de zèle pour leur faire observer la règle primitive.

III. La fondatrice.

Sainte Thérèse, dit Ribera, n’eut pas tout d’abord l’intention « de faire un nouvel ordre et religion, mais seulement de perfectionner son ordre ancien de Notre-Dame du Mont-Carmel. Depuis, considérant les grandes nécessités de l’Église, et désirant avec sa grande charité aider, en ce qu’elle pourrait, à ceux qui bataillent pour elle, elle éleva plus haut ses pensées ». Vie de la Mère Térèse de Jésus, t. II, c. i. Et d’ailleurs, n’était-il pas plus facile de fonder des carmels selon la réforme que de réformer des carmels mitigés ? Sainte Thérèse fut donc une fon datrice. Son important ouvrage : Les fondations, montre un aspect nouveau de sa riche nature. Aussi bien douée pour l’action que pour la contemplation, elle dut bien vite quitter le monastère réformé de Saint-Joseph d’Avila, où elle passa cinq années, « les plus douces de ma vie », dit-elle, Fondations, c. i, et aller sur les routes de la Castille, de la Manche et de l’Andalousie répandre, dans tout le centre de l’Espagne, les fleurs du nouveau Carmel. Dans ses voyages, nous la voyons aux prises avec les difficultés et les embarras de notre vie de chaque jour. Par sa patience, son entrain, sa gaîté et sa bonne humeur dans les incidents même les plus pénibles de la route, elle nous apparaît souvent héroïque. Et quelle habileté à se tirer d’affaires parfois très compliquées !

La pieuse caravane se composait d’ordinaire de cinq ou six religieuses renfermées dans un lourd véhicule à roues pleines, recouvert d’une toile et traîné par plusieurs paires de mules. Monastère ambulant où les religieuses vivent en carmélites, faisant tous les exercices de piété ordinaires, annoncés par une petite cloche. Mais beaucoup de chemins sont mauvais ou dangereux. Il faut assez souvent descendre de voiture, faire un long trajet à pied sous la pluie ou les ardeurs du soleil. Il y avait aussi des prêtres qui accompagnaient les religieuses : des prêtres séculiers comme Julien d’Avila, des carmes réformés comme saint Jean de la Croix et Jérôme Gratien. Des laïques, gens de grande piété, montés sur des mules escortaient le véhicule des religieuses. Car il fallait veiller sur les carreteros ou conducteurs des chars « trop souvent maladroits et négligents » et sur les mozos de camino, jeunes gens à pied chargés de tirer les chars des mauvais pas, de les aider à franchir les passages périlleux, et de les relever quand ils avaient versé, accident assez fréquent. Thérèse veillait sur tout ce monde, réconfortant et égayant dans les moments difficiles, oubliant elle-même les souffrances que lui causait sa santé souvent chancelante. Lorsqu’elle voyageait seule ou avec une compagne, c’était à dos de mulet ou d’âne.

Que dire des auberges ou venlas, où la pieuse troupe devait passer la nuit ? Malpropreté, encombrement, cris, jurements, impossibilité de se ravitailler, c’est ce qu’on y trouvait le plus souvent. Un jour, en 1575, avant d’arriver à Cordoue, sous un soleil brûlant, Thérèse en proie à une forte fièvre fut contrainte de s’arrêter dans l’une de ces auberges. Elle eut « une petite chambre, à simple toit sans plafond ; il ne s’y trouvait pas de fenêtre, et dès qu’on ouvrait la porte, le soleil y pénétrait en plein… On me mit, dit-elle, dans un lit si singulièrement conditionné, que j’eusse bien préféré m’étendre à terre. Il était si haut d’un côté et si bas de l’autre que je ne savais quelle position prendre : je me serais cru sur des pierres pointues… Finalement, je crus plus sage de me lever et de me remettre en route avec mes compagnes, le soleil du dehors me paraissant plus tolérable que celui de cette pauvre chambre ». Fondations, c. xxiv, t. iv, p. 40. Julien d’Avila avait raison de dire qu’à peine avait-on franchi le seuil de ces hôtelleries qu’on ne songeait qu’à en sortir le plus vite possible.

Sainte Thérèse commença ses voyages le 13 août 1567, à l’âgé de cinquante-deux ans. Elle avait reçu du général des carmes, le P. Jean-Baptiste Rossi, alors à Avila, l’autorisation de fonder des monastères réformés. « Dans un espace de quatre ans (15C7-1571), elle établit neuf monastères, sept de religieuses : Médina del Campo, Malagon, Valladolid, Tolède, Pastrana, Salamanque et Albe, et deux de religieux : Duruelo et Pastrana. Son priorat de trois ans au couvent de l’Incarnation d’Avila (1571-1574) arrête pour un temps les fondations : une seule exception est faite pour Ségovic. Rendue à la liberté, elle reprend ses voyages et