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TANNER (ADAM)


ment dépendante de la volonté de l’homme puisque le décret divin précède le consentement humain, ni simplement dépendante de la volonté de Dieu puisque la science (moyenne) du consentement y est supposée.

Ainsi Tanner a cherché son chemin au milieu des divergences des spéculations molinistes en utilisant plus strictement et plus radicalement la notion de science moyenne, et en même temps, sous l’influence de Suarez, en essayant de rendre le molinisme moins rigide grâce à une théorie de la science moyenne se résolvant finalement en une sorte de compromis entre la liberté de Dieu et celle de l’homme.

IV. Critiqi’e des procès de sorcellerie. — On sait qu’à la fin du Moyen Age et au temps de la Renaissance le nombre des accusations de sorcellerie sans cesse instruites et jugées par l’Inquisition est incroyablement élevé dans tous les pays d’Europe, mais nulle part autant qu’en Allemagne. Il en coûtait cher aux malheureuses victimes. Or, pour être suspect de pratiquer le métier de sorcier ou de sorcière, il suffisait de bien peu. Qu’un fléau sévît quelque part ou qu’un simple accident survînt sans cause apparente, les bonnes gens y voyaient très vite le résultat d’une intervention diabolique provoquée par un mauvais sort. Qu’il y eût alors dans le pays un individu aux allures tant soit peu insolites, c’était lui le coupable présumé ! Ainsi le voulait la psychose collective.

On a dit à l’art. Sorcellerie, t. xiv, col. 24Il sq., combien il était regrettable que les grands scolastiques du xiiie siècle n’eussent pas consacré aux croyances superstitieuses, si florissantes déjà de leur temps, des études critiques égales à l’importance sociale du sujet. Cette carence s’était prolongée et il faut bien reconnaître que, jusqu’aux premières années du XVIIe siècle, l’apport des théologiens dans ce domaine n’avait guère été de nature qu’à encourager les sévices des inquisiteurs. C’était encore le cas, par exemple, pour le Tractalus de confessionibus maleficorum de Binsfeld (1589) ri pour les Disquisitiones magicæ du jésuite Del Rio (1599). Il faut avoir présentes à l’esprit ces diverses circonstances pour rendre pleine justice au mérite des hommes clairvoyants et courageux, qui, comme Frédéric Spee (voir ici, t. xiv, col. 2474 sq.) et avant lui Tanner, surent remonter le courant.

C’est au traité de la Justice que la Theologia scolastica examine et apprécie la procédure employée contre les sorciers et sorcières. Mais cette étude Juridicomorale présupposait une prise de position relativement à la question théologique de la réalité des phénomènes attribués à l’intervention du démon dans la sorcellerie. Là dessus les premières mises au point de notre auteur avaient précédé de loin la Theologia scolastica. Dès 1615, dans son Astrologia sacra, il n’avait pas hésité à défendre Trithème du grief de magie et il avait montré que certains phénomènes apparemment préternaturels s’expliquent au mieux quand on leur applique les procédés d’une méthode scientifique. Trois ans plus tard, les Disputaliones theologicse avaient abordé de nouveau la question du merveilleux, objet « les croyances superstitieuses. Dans le grand ouvrage de 1 f>27 le problème est traité au t. I, disp. V, q. 5, dub. III et IV, à propos du pouvoir des lions ou mauvais vis-à-vis des hommes. Il existe lUjet deux opinions, déclare l’auteur. L’une attribue tout à l’imagination, à la crédulité, À la supercherie. L’autre tient la possibilité d’un merveilleux angélique et spécialement démoniaque. Quant à lui, ni second parti qu’il se range, mais non sans en mttlger siiM’iiiici. mini la portée pratique, en soulignant li roli que peuvent jouet Ici l’hallucination, le l’aut nsugges’Ion.

On aurait tort « railleurs d’exagérer sou ice] ticistne en matière d< lorcellerie, étant donné le sérieua

lequel il en reparle vers la fin de la Theologia, t. iv, disp. VIII, q. 4, dub. viii, lorsqu’à propos du mariage il traite de l’empêchement d’impuissance. Au surplus on ne doit pas perdre de vue que c’était là, à l’époque, un domaine des plus scabreux. Dans sa Cautio criminalis, où il cherche précisément à se couvrir de l’autorité de notre théologien, Frédéric Spee n’écrit-il pas (dub. vu) avoir entendu un jour un inquisiteur dire que, si on mettait jamais la main sur ce Tanner, il n’échapperait pas ? Pourtant le point de vue juridique et moral est traité dans le De juslitia, t. iii, disp. IV, q. 5, en entier, avec beaucoup plus de fermeté et d’indépendance, comme le montrent à eux seuls les titres des dubia : 1. Quelques principes à observer ; 2. Une dénonciation suffit-elle pour justifier torture et condamnation ? 3. Convient-il dans ces procès de laisser tant de place à l’arbitraire des juges ? 4. Conduite du pasteur d’âmes à l’égard des prévenus. 5. Remèdes contre la sorcellerie.

Pour ce qui est des principes, la sorcellerie rentre bien, sans doute, dans la catégorie des « crimes d’exception », mais cela ne dispense pas d’observer à son égard les exigences de la raison et de la justice. C’est un crime de condamner des innocents, risque que l’on court fatalement par l’application de la torture aux suspects. « Si pour dix ou même vingt coupables un seul innocent doit succomber, mieux vaut s’abstenir de poursuivre les criminels eux-mêmes. » Et, quoi qu’aient pu dire Binsfeld et Del Rio, on n’est pas fondé à s’en remettre à Dieu du soin d’empêcher qu’un innocent ne périsse. Aussi bien, nul ne doit être mis à la torture, qui n’a pas déjà été reconnu sûrement coupable. Torturer pour obtenir un aveu est une procédure injustifiable : il faut au contraire tenir pour nulle toute déclaration extorquée par le chevalet. Convient-il, par ailleurs, d’inculper un malheureux sur n’importe quelle dénonciation ? Ce serait là, répond Tanner, avec une pointe d’humour, faire le jeu du démon, car celui-ci, naturellement, pousserait à dénoncer les personnes les plus vertueuses. Ne voit-on pas en effet que rien n’est si compromettant, aux yeux des inquisiteurs, qu’une piété exemplaire (considérée comme hypocrite ) ou encore la communion fréquente ? Pour qu’une dénonciation formulée devant les juges ait chance d’être sincère, au moins faudrait-il qu’elle ait été précédée chez le dénonciateur d’une véritable conversion et émane ainsi d’une conscience [unifiée. Sur quoi Tanner s’en prend aux théologiens qui justifiaient par le caractère d’exception du crime de sorcellerie l’arbitraire quasi total laissé aux juges dans sa répression, très spécialement en ce qui concerne l’application et la répétition de la torture..Misérables subtilités que celles qui permettent de tourner les lois interdisant de répéter plusieurs fois la torture dans un même procèsl

Enfin, après avoir examiné quelques uns des cas de conscience que peut avoir à résoudre le confesseur d’un condamné pris entre la vérité, les devoirs de réparât Ion et la crainte de la torture. Tanner passe aux moyens dont il conviendrait selon lui de faire usage pour extirper le mal dont il vient de traiter. Nulle part peut-être son esprit de mesure et d’humanité ne s’oppose d’une manière plus éclatante aux tendances de l’époque. Tandis que les contemporains ne songent qu’à multiplier les peines affllctives contre les sorciers dont les appels au diable ne font pour eux aucun doute, lui, en véritable théologien, recherche le remède qui ira à la racine du mal. Le sera en tout premier lieu une intelligence vraie de la providence de Dieu, incomparable antidote contre le genre de superstition consistant à voir le démon partout. Ce si i a ensuite une vie chrétienne profonde : sacrements, prières, bonnes œuvres. Enfin, l’honnêteté « les mœurs : ce n’est

qu’après avoir appliqué ces remèdes, qu’il listerait, le