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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/321

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THOMAS D’AQUIN. VIK


lui venait de la méditation, de la lecture spirituelle (Collations des Pères), de la prière affective et de la liturgie. L’antienne Ne projicias nos le touchait jusqu’aux larmes.

A beaucoup de personnes de toute classe qui recouraient à ses lumières il donnait des conseils. En 1273 il offrit aux étudiants un dîner pour la fête de sainte Agnès. Il secourait aussi les pauvres de mainte manière. Le 6 décembre, lorsqu’il célébra la messe dans la chapelle de Saint-Nicolas, un grand changement se fit en lui. De ce moment il cessa d’enseigner, d’écrire et de dicter. Il était convaincu de la fin prochaine de sa vie terrestre. Pour quelques jours de vacances il fut envoyé chez sa sœur, la comtesse Théodora de San Severino près de Salerne. Réginald l’y accompagna.

11° Convocation au concile de Lyon ; maladie et mort.

— Suivant un ordre du pape Grégoire X, Thomas dut se préparer à assister comme théologien au concile de Lyon. Il se mit en route au commencement de 1274, emportant son opuscule Contra errores Grœcorum. En février, il arriva au château de Mænza de sa nièce Françoise de Ceccano. Tombé malade, il fut visité par les cisterciens de l’abbaye voisine de Fossanova. Le docteur Jean de Guidone le soignait. L’état s’aggravant, Thomas se rendit à dos d’âne à l’abbaye cistercienne, expliqua aux moines le Cantique, reçut avec grande piété le Saint-Sacrement et le lendemain l’extrême-onction. Dans la matinée du 7 mars, il rendit son âme à Dieu.

Pour les obsèques se joignirent aux moines les dominicains et les franciscains des couvents voisins, l’évêque de Terracina, des nobles de la Campanie et des membres de sa famille. Le corps fut enseveli près de l’autel majeur de l’église. Réginald de Piperno improvisa une oraison funèbre, louant la pureté de vie et l’humilité de son maître. Le deuil de l’ordre était grand. On ne connaît pas d’autres lettres de condoléance que celle rédigée par la faculté de philosophie de Paris.

12° L’homme, son esprit. — Maître Thomas d’Aquin était de haute taille, de forte corpulence, de droite stature. Il avait le teint couleur de froment ou brunâtre, la tête grande et un peu chauve. Ses traits réguliers, ses yeux tranquilles et sa bouche ferme et bonne laissaient entrevoir une âme puissamment spirituelle, paisible et pure.

Voué à la vie de l’esprit, il n’usa des biens terrestres que pour le strict nécessaire, il refusa toutes les dignités, il n’eut d’autre ambition que de s’appliquer de mieux en mieux aux devoirs de sa vocation, remplissant ses obligations de chrétien, de religieux, de prêtre et de docteur d’une manière lumineuse, patiente et magnanime. Évitant des conversations inutiles, il cultivait le silence pour vivre retiré dans son esprit. Homme de grande prière sous toutes ses formes, on le décrit comme miro modo contemplai ivus (Tocco). D’une piété profonde envers Dieu et le Rédempteur, d’un rare recueillement dans la célébration de la messe, dévot aux saints, respectueux et charitable envers le prochain, il passait à cause de sa candeur d’âme, de son humilité et de sa charité, pour le buon fra Tommaso (Dante). Beaucoup de traits humains et surnaturels de lui furent conservés par Réginald de Piperno, Guillaume de Tocco et d’autres témoins de sa vie, mais il n’a pas eu un biographe comme le fut Eadmer pour saint Anselme.

Après Touron, des auteurs récents comme de Groot, Garrigou-Lagrange, Maritain, Petitot, Déman, Taurisano ont décrit la vie spirituelle de saint Thomas. Mgr Grabmann relève comme les traits essentiels de la spiritualité personnelle du docteur d’Aquin la sagesse, la charité et la paix. Il dit aussi quelles furent les relations personnelles de saint Thomas.

Fortement attaché à Dieu, fin dernière de toute science et de toute culture, Thomas allait à la recherche de la vérité, laissant de côté toute attache sub| jective, pour saisir plus facilement et plus sûrement le vrai dans toute son objectivité. Ferme dans ses principes, clair et vigoureux dans ses conclusions, il supportait placidement les attaques personnelles dont il était l’objet. Il s’effaça toujours devant la vérité qu’il recherchait pour elle-même. Ses procédés doctrinaux unissent constamment l’observation et la spéculation, l’analyse et la synthèse. En pénétrant de plus en plus les problèmes pendant sa carrière professorale, il s’efforça d’atteindre et de donner des vues toujours plus cohérentes, plus universelles et lucides, exprimées dans une langue sobre et objective, uniquement faite pour la pensée, le latino discreto, comme l’a appelé Dante.

Il n’excellait cependant pas seulement comme logicien et métaphysicien, mais il regardait d’un œil attentif et critique les éléments positifs de la doctrine. Il a laissé même quelques observations sur la conception génétique de l’histoire.

En allant aux sources et aux grands auteurs, surtout à Aristote et aux Pères, ils se les assimile, les interprète dans les passages difficiles d’une manière conciliante, ou marque, dans de rares cas, par des mots brefs et précis le degré de sa désapprobation. Sa mémoire prodigieuse le servait admirablement dans l’emploi de la documentation positive. Ouvert aux problèmes doctrinaux de son temps, il se rendit compte exactement de l’état des positions et des autorités passées et contemporaines et ne craignit pas d’innover là où la pénétration des principes et le besoin d’une meilleure méthode lui en montrèrent la nécessité. « La nouveauté par excellence, préparée par quelques-uns de ses aînés, avant tout par Albert le Grand, mais dont l’accomplissement lui était réservé, c’était l’intégration d’Aristote à la pensée catholique » (Maritain). Il dégagea de l’Aristote historique une forme plus purement aristotélicienne qu’Aristote lui-même n’avait pas connue. Dans cette grande tâche sa conviction allait de pair avec son courage et son humilité personnelles.

Le fruit de son application consciencieuse et objective à la recherche et à l’enseignement se manifeste dans le corps doctrinal contenu dans ses écrits d’une étendue extraordinaire et d’une clarté admirable. Sa Summa theologiæ où se fusionnent la puissance de l’esprit, l’élévation de l’âme, l’ordre le plus parfait, la propriété de termes et la simplicité supérieure qui est le propre des grands génies classiques, l’expression scientifique et le sens pédagogique, a eu un succès inouï jusqu’à nos jours.

Par le moyen de sa doctrine sûre et profonde, Thomas d’Aquin n’a pas cessé d’illuminer par ses doctrines les générations venues après lui et de féconder la vie scientifique et spirituelle de la postérité. Jean de Saint Thomas († 1644) a bien dit de lui : Majus aliquid in Thoma quam Thomas suscipitur et defenditur.

13° La canonisation. Gloire posthume. — Une vie tellement noble et spirituelle avait déjà excité l’admiration et la vénération de beaucoup de contemporains. Après la mort vint l’idée du culte. De pieux confrères (Réginald, Jean del Giudice, Albert de Brescia), des historiens (Ptolomée, Guidonis) conservaient la mémoire du défunt. Ses restes passaient pour des reliques. Les cisterciens les examinèrent à diverses reprises, en 1274, 1281, 1288. Le chapitre provincial dominicain tenu à Gaète en 1317 se préoccupait de la canonisation. Avec les informations nécessaires et des lettres postulatoires, Robert de San Valentino et Guillaume de Tocco se rendirent à Avignon où i Jean XXII les reçut en audience. La faveur religieuse