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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/369

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THOMAS D’AQUIN : CARACTÈRES DE SON EXÉGÈSE


secundum Chrysoslomum (xi, 48, p. 317 ; cf. i, 3, p. 21). A ces deux exégèses concurrentes, saint Thomas préfère parfois celle de saint Grégoire (xi, 15, p. 410), el même la sienne propre (v, 20, p. 158 ; iv, 20, p. 120). Assez souvent, il précise ses références non seulement aux auteurs, mais aux livres eux-mêmes, surtout pour saint Augustin.

On sait que saint Thomas déplorant la mauvaise qualité et l’état fragmentaire des traductions des Pères grecs en usage dans le monde latin, notamment de Jean Chrysostome en fit faire de nouvelles : Ut magis intégra et continua prsedicla sanctorum expositio redderetur, quasdam expositiones Doctorum grsecorum in latinum feci transferri, éd. Vives, t. xvi, p. 499.

4. Réfutation des hérétiques.

Déjà au xiie siècle, les commentateurs faisaient fréquemment allusion aux hérétiques, à propos des interprétations erronées de l’Écriture. Or, au xiiie siècle, la réfutation des hérésies est considérée explicitement comme l’une des fins de l’exégèse et cette apologétique est un nouveau trait de l’exégèse théologique. Albert le Grand, après avoir précisé dans le prologue de son commentaire de saint Jean que le but du IVe Évangile est la manifestation des mystères du "Verbe et l’édification de la foi, ajoute : Est eiiam finis confulatio hæreticorum, mate dicenlium de Christi Verbi Dei deitate. In Joa., éd. Borgnet, t. xxiv, p. 9. Saint Thomas, dans la dédicace de la Catena aurea à Urbain IV écrit de même : Fuit autem mea intentio in hoc opère non solum sensum prosequi litteralem, sed etiam mysticum ponere, interdum etiam errorcs destruere, neenon et conflrmare catholicam veritatem. Quod quidem necessarium fuisse videtur, quia in Euangelio præcipue forma fldei catholiese traditur, et lotius vitæ régula christianæ. Éd. Vives, t. xvi, p. 2. Dans son discours de réception à la maîtrise en théologie, saint Thomas fait de la lutte contre l’erreur une des charges essentielles qui s’impose aux docteurs de l’Église : In defensionem fldei debent esse contra errores. Opuscula, éd. Mandonnet, t. iv, p. 493.

De là la multitude d’allusions aux hérétiques dans les commentaires de notre auteur. Dans le c. i er de l’épître aux Romains, il voit une réfutation de Photin, des manichéens, d’Eutychès, de Sabellius, d’Apollinaire, d’Arius et de Nestorius. Ad Rom., c. i, lect. 2, ꝟ. 3, p. 6-8 ; cf. ix, 5, p. 130 ; In Joa., c. xviii, lect. 1, ꝟ. 1, p. 441. Dans le commentaire de saint Jean nous relevons les mentions suivantes : error quorumdam, c. ii, lect. 2, ꝟ. 12, p. 83 ; cf. c. v, lect. 5, ꝟ. 26, p. 164 ; error hæreticorum, c. xix, lect. 2, ꝟ. 11, p. 475 ; heeretici, p. 15, 29, 50, 104, etc. ; mais le plus souvent les fauteurs sont nommément désignés : Eunomius, marcionites, Priscillien, Cérinthe (1 fois), Apollinaire (4 fois), ébionites, Helvidius, Valentin, pélagiens (3 fois), Eutychès, macédoniens, Paul de Samosate, Photin (2 fois), Nestorius (6 fois), Sabellius (10 fois), manichéens (23 fois) ; le plus souvent réfuté est l’arianisme (28 fois), dont « l’immense aveuglement » (c. v, lect. 2, ꝟ. 17-18, p. 154) ne se rend pas à l’évidence des textes. Ce souci de définir la vérité par opposition à l’erreur est tel que les doctrines préchrétiennes sont aussi bien qualifiées d’errores philosophorum, c. i, lect. 1, ꝟ. 2, p. 18, que d’hseresis academicorum, c. iv, lect. 4, ꝟ. 35, p. 135, et c’est le texte biblique qui les réfute : Ex hoc solvitur quæstio gentilium, qui vane quærunt. C. i, lect. 5, ꝟ. 10, p. 35. Finalement Nicolas de l.yre dira que saint Jean écrivit son Évangile, pour détruire l’hérésie des ébionites, Postil., t. v, p. 1005, et saint Paul l’épître aux Hébreux contre l’hérésie des nazaréens. Ibid., t. vi, p. 784.

5. Utilisation des auteurs profanes.

Avec l’Écriture, les Pères et les écrivains ecclésiastiques, les exégètes des xiie et xiii 8 siècles citaient abondamment les auteurs profanes, surtout, semble-t-il, sous l’influence d’Abélard, qui comparait par exemple la

Trinité chrétienne à celle de Platon, Theologia, P. L., t. clxxviii, col. 1186, et des maîtres chartrains ; cf. J.-M. Parent, La doctrine de la création dans l’école de Chartres, Paris, 1938, p. 20 et passim. Ce sont des auteurs aulhenlici dont les énoncés robur auctoritatis habent. Sans doute ils jouissent d’un crédit inférieur, mais qui donne cependant du poids à l’argumentation ou confirme les assertions du texte sacré. Saint Thomas se conforme à cet usage mais avec beaucoup plus de sobriété que la plupart des autres commentateurs, notamment Albert le Grand. Dans son commentaire de saint Jean, on relève seulement les noms de Maxime Valère (p. 80), Cicéron (4 fois), Platon et les platoniciens (p. 18, 451 ; cf. Ad Rom., p. 26), Démocrite (p. 18, 19), les stoïciens (p. 334, 363, Ad Rom., p. 128), et Aristote (12 fois). Celui-ci est de très loin le plus régulièrement invoqué par saint Thomas dans tous ses commentaires. In Lam., éd. Vives, t. xix, p. 221 ; In 7s., t. xviii, p- 742 ; In Ps., t. xviii, p. 266, 310, 313, 314, 336, 441, 530, etc. On relève en outre Papias, In Ps., t. xviii, p. 366 ; le songe de Scipion, In Job., t. xviii, p. 190 ; Rabbi Moyses, In Lam., t. xix, p. 217 ; Hégésippe, ibid., p. 213 ; Flavius Josèphe, ibid. ; ce dernier, dont Sicard de Crémone avait dressé la bibliographie (Chronicon, P. L., t. ccxiii, col. 457), avait été fort goûté au xiie siècle, encore que Richard de Saint-Victor ait montré quelque défiance à l’égard de son témoignage. Expos, diff., P. L., t. exevi, col. 214.

Ces citations sont appelées par tel ou tel mot du texte et sont l’occasion d’un excursus utile, ou ont l’avantage, comme les pensées d’Aristote, d’exprimer avec une précision rigoureuse les doctrines que la Bible suggère par des métaphores ou avec l’imprécision du style oriental. Mais, alors que le xiie siècle citait ces auteurs à titre d’autorité dont l’affirmation fait loi, Thomas d’Aquin comme Albert les utilisent en théologiens pour l’explication rationnelle du donné révélé. La pensée des philosophes n’est pas seulement l’expression d’une doctrine commune, mais une première élucidation de la vérité, et son expression est utilisée comme moyen d’investigation dans l’intelligence de la révélation.

De là vient aussi cet aspect parfois déconcertant des commentaires de saint Thomas et de ses contemporains qui semblent prêter à la Bible des idées étrangères à sa lettre. Du moins remplacent-ils la teneur originale du texte sacré par des expressions ou des mots qui portent la marque d’une époque et d’une philosophie radicalement différentes. À y regarder de plus près, ces formules ne faussent pas le sens, elles expriment — telle l’analyse par les quatre causes — les concepts qui, de tout temps et en tous lieux, président à la pensée de tous les hommes. Ces termes abstraits des catégories aristotéliciennes ont une valeur pédagogique et constituent un outillage scolaire ; ils ne faussent pas le sens, mais ils aident à l’interpréter. Les principes philosophiques que saint Thomas emprunte à Platon ou à Aristote sont des instruments efficaces pour retrouver dans Job ou dans saint Paul la vraie pensée que Dieu a exprimée ; ils ne sont pas superflus dans l’exégèse du prologue de saint Jean. Notre auteur d’ailleurs s’en explique dans deux textes dont la comparaison est suggestive, le premier étant d’inspiration augustinienne : Ille… utitur sapientia verbi, qui suppositis verx fldei fundamentis, si qua vera in doctrinis philosophorum inventât, in obsequium fldei assumil. Unde Auguslinus dicit in II" De doctrina christiana, quod si qua philosophi dixerunt fldei nostræ accommoda, non solum formidanda non sunt , sed ab eis tamquam ab injustis possessoribus in usum nostrum vindicanda. In I Cor., c. i, lect. 3, ꝟ. 17, p. 228. Et encore, fort joliment : Doctor sacra : Scripturse accipit testimonum veritatis ubicumque invenerit. Unde Apos-