Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
795
796
THOMASSIN. LES DOGMES : DIEU


veraine sagesse : textes de Minucius Félix, Lactance, Hilaire, Augustin, du pape Léon, de Boèce, de Paulin de Noie. — b) L’âme s’élève du sensible au dessus du sensible ; elle comprend que ce qui est sensible est changeant ; ce qui est changeant est caduc et suppose l’existence de quelque chose d’immortel : « Voici le ciel et la terre, ils crient qu’ils ont été créés ; car ils sont sujets à changer. Or, tout ce qui est et qui n’a point été créé n’a rien en soi qui auparavant n’ait point été. » S.Augustin, Con/ess., t. XI, c. iv, cité, t. I, c. xxii, 5. — c) Cette existence se démontre encore par des règles immuables toujours évidentes à l’âme raisonnable et qu’on appelle premiers principes des sciences : ils sont certains et nous permettent de juger des choses, tandis que nous ne pouvons les juger eux-mêmes, ils nous dépassent de beaucoup et ne sont autres que Dieu même. C. xxiii. — d) L’âme qui discerne ces vérités éternelles, immuables ne peut être elle-même qu’immortelle. C. xxvi. En définitive, trois choses doivent concourir à la recherche de la vérité : La raison ou profonde application de l’âme à s’étudier elle-même en s’isolant des sens ; le sentiment qui s’exerce sur le monde extérieur, sur l’âme et sur Dieu ; l’amour, disait Platon, est un des signes du vrai philosophe ; pour Thomassin, les idées innées seraient bien mieux nommées des sentiments innés, « il vaut mieux parvenir aux choses divines par l’amour que par la spéculation » ; enfin la tradition ou histoire de la philosophie et de la théologie.

2. La nature de Dieu ne se connaît pas aussi bien que son existence. Nous « savons mieux qu’il est que ce qu’il est ». L. I, c. xviii. La vision surnaturelle seule peut nous faire connaître ce que Dieu est, autrement qu’en symbole et en énigme.

Le 1. II est consacré à prouver l’unité et la bonté de Dieu ; « les mêmes arguments qui prouvent l’existence de Dieu établissent aussi son unité. Les Pères de l’Église, dont toute la philosophie fut une polémique contre les erreurs tant philosophiques que religieuses du monde païen, ont réuni tous les témoignages rendus par l’antiquité, même polythéiste, au dogme de l’unité divine ». L. Lescceur, op. cit., p. 81. Malgré certaines apparences contraires, le monde a toujours admis l’unité de Dieu : ainsi pensent Tertullien, Cyprien, Minucius Félix, Lactance, etc. Avec des nuances diverses, ils disent avec Tertullien argumentant contre Marcion : « Ou il faut admettre l’unité de Dieu, ou il faut admettre des dieux innombrables. Car le nombre découle immédiatement de l’unité. » C. ii, 7. Thomassin fait alors une longue et minutieuse analyse des opinions des philosophes platoniciens sur l’Un, dernier terme de la dialectique, sur l’Un supérieur à l’être et à l’intelligence : « On ne peut trouver, dit-il, de preuve plus inébranlable de l’unité du vrai Dieu que de démontrer que Dieu est l’unité même ou l’Un absolu. » C. ii, 1. Il montre que les Pères ont su tirer de ces opinions des païens tout ce qui est compatible avec la saine philosophie et avec la religion chrétienne. Il admet avec eux que, « si les Hébreux, instruits par les prophètes, étaient chargés par Dieu de préparer la foi du monde à l’humanité du Christ, les philosophes avaient reçu de Dieu la mission de préparer la croyance à sa divinité ». C. v, 5.

L’infinité de la nature de Dieu en prouve l’unité et aussi la bonté ; le c. vu a pour titre : « Dieu est le bien lui-même, le souverain bien, l’être un est l’être bon ; il est au-dessus de l’être, au-dessus de l’intelligence. » Platon émet souvent cette idée que le premier principe est le souverain bien, que le bien est le père de la vérité et de l’intelligence comme le soleil est le père de la lumière ; mais il est à peine visible, et l’on ne peut l’apercevoir que comme cause et principe et de la vérité qui est vue et de l’intelligence qui voit. C. vii, 1.

Avec des nuances diverses, les Pères ont exprimé les mêmes pensées. Pour Augustin, « le nom propre de Dieu, c’est le bien absolu ; tout ce que nous aimons dans les créatures, c’est le bien ; mais il est manifeste que toutes les créatures n’ont pas le bien en soi, elles ne l’ont que par participation. Il n’y aurait pas de biens sujets au changement, s’il n’y avait un bien immuable. Si nous pouvions apercevoir ce bien sans lequel il n’y a point de bien particulier, ce bien sans limite et sans terme, qui est la règle et la mesure de tous les autres, nous apercevrions Dieu lui-même ». L. Lescceur, op. cit., p. 96. C. vii, 6, 7, 8.

Le mal n’est qu’une privation, il n’existe pas en soi, il ne peut exister que dans un sujet qui soit bon. Tout ce qui a vie, toute substance est donc bo.ine en quelque chose ; le mal n’est jamais à l’état pur, mais il est toujours enveloppé dans le bien, enchaîné par lui comme un captif qui porterait des chaînes d’or. Le mal n’est qu’individuel, le bien est général. Dieu seul est le bien pur, absolu, qui ne se diminue point dans ses rapports avec les biens inférieurs toujours mélangés de mal.

Si Thomassin passe du mal métaphysique au mal moral, c’est pour faire l’éloge de la liberté, « cette faculté qui aime à vivre dans la familiarité du bien, qui l’embrasse si étroitement, qui ne se plaît qu’au bien ; qui rivalise en quelque sorte, par sa puissance propre avec la toute-puissance du souverain bien ». C.xii, 1. Vouloir la supprimer à cause du mal qui en résulte serait supprimer plus de bien que de mal. Et le vice, quel qu’il soit, est une fausse imitation du bien : l’orgueil est une ombre de la véritable liberté ; la curiosité désire la connaissance ; la volupté cherche le repos. La révolte contre le souverain bien tourne toujours à sa gloire ; et le châtiment du méchant n’ôte rien à sa bonté.

3. Dans le t. III, Thomassin considère Dieu comme l’être absolu ; de tous les noms qu’on lui donne c’est le moins impropre, celui qu’il a révélé à Moïse. Les Pères grecs surtout sont unanimes à reconnaître que c’est là le premier et le principal attribut de Dieu ; il possède en lui, écrit l’Aéropagite, « la totale plénitude de l’être », c. iii, 5 ; il est la seule essence ou substance immuable. Les anges rebelles en s’éloignant de Dieu tendent sans fin et sans relâche au non-être ; en tendant à Dieu au contraire, nous tendons constamment à être de plus en plus : « La vue de l’immutabilité, écrit saint Grégoire le Grand, nous élèvera au dessus de notre mutabilité, nous serons délivrés de toute corruption par la vue de l’incorruptible. » C. va, 15.

Etre de tous les êtres, Dieu est aussi la vérité absolue, par conséquent le principe, le moyen et la fin de notre intelligence ; l’esprit en vouant au monde cherche la vérité comme l’œil cherche la htmière, il ne la trouve qu’en Dieu qui « rend les autres choses compréhensibles ». C. v, 12. Notre intelligence cependant garde son acte propre : « Thomassin trouve une heureuse expression pour résumer cette distinction importante des deux lumières qui président à toute opération intellectuelle ; il appelle l’une lumen illuminons, c’est la lumière des idées en Dieu, l’autre lumen illuminatum, c’est la lumière de l’intelligence ou des idées en nous, lumière créée qui a sa fonction et son activité propres. » L. Lescœur, op. cit., p. 124.

Il ne suffit pas de connaître Dieu, il faut s’élever à lui par l’amour parce qu’il est la beauté souveraine : « C’est l’éternel honneur de la philosophie platonicienne de l’avoir pressenti, et de la philosophie chrétienne de l’avoir mis en pratique… De même qu’il y a une première vérité par la participation de laquelle est vrai tout ce qui est vrai, il y a aussi une beauté première dont toute beauté n’est qu’une participation, soit par reflet, soit par image. » Ibid., p. 144. Suivent