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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/449

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THOMISME. CRÉATION, MOTION DIVINE


Dieu, source de tout bien, et donc le commencement de la bonne volonté et ce qu’il y a de meilleur et de plus intime dans la détermination libre du consentement salutaire.

Dès lors à la question du motif de la prédestination de celui-ci plutôt que de celui-là, saint Thomas répond nettement, I a, q. xxiii, a. 5, que les mérites futurs des élus ne peuvent être le motif de leur prédestination, puisqu’ils sont au contraire l’eilet de celle-ci. Et il ajoute, ibid., ad 3um : Quare hos elegit in gloriam et illos reprobavit, non habet rationem nisi divinam voluntatem. Pourquoi de deux pécheurs mourants également mal disposés, Dieu porle-il celui-ci à se convertir, et permet-il l’impénitencc de l’autre ? il n’y a pas d’autre réponse que le bon plaisir divin. Cf. Rom., ix, 14 ; xi, 33 ; Eph., i, 7.

Les thomistes ne font que défendre cette doctrine contre le molinisme et le congruisme, ils ne lui ajoutent rien de positif ; les termes plus explicites qu’ils emploient n’ont d’utilité à leurs yeux que pour écarter de fausses interprétations favorables au concours simultané ou à une prémotion indifférente.

Il y a certes dans cette doctrine un mystère insondable, mais inévitable : celui de la conciliation de la prédestination gratuite avec la volonté salvifique universelle. Ce mystère se ramène à celui de l’intime conciliation de l’infinie miséricorde, de l’infinie justice et de la souveraine liberté. Il y aurait là une contradiction, si Dieu ne rendait pas réellement possible à tous les hommes l’accomplissement de ses préceptes. Il commanderait alors l’impossible, contrairement à sa bonté, à sa miséricorde, à sa justice. Mais, si les préceptes sont réellement possibles pour tous, ils sont actuellement observés par un certain nombre d’hommes et non pas par tous (il y a ici encore la différence de la puissance et de l’acte) ; ceux qui les observent effectivement en cela sont meilleurs, et cela montre qu’ils ont plus reçu.

Saint Thomas le rappelle en terminant, I », q. xxiii, a. 5, ad 3 nm : In his quæ ex gratia dantur, potest aliquis pro libito suo dare cui vult plus vel minus, dummodo nutli subtrahal debitum absque prsejudicio juslitiæ. Et hoc est quod dicit paterfamilias (Matth., xx, 15) : Toile quod luum est, et vade ; an non licet mihi, quod volo, faccre ? Dans l’ordre des choses gratuites, on peut, sans préjudice de la justice donner librement plus à celui-ci qu’à celui-là pourvu qu’on ne refuse à aucun ce qui lui est dû. C’est ce qui est dit dans la parabole des ouvriers de la dernière heure. La foi commune apporte ici son témoignage : lorsque de deux pécheurs également mal disposés, l’un se convertit, le sens chrétien dit : c’est l’effet d’une miséricorde spéciale de Dieu à son égard.

Le grand mystère qui nous occupe, celui de la conciliation de la prédestination restreinte ave la volonté salvifique universelle, se trouve surtout, aux yeux de saint Augustin et de saint Thomas, dans l’union incompréhensible et ineffable de l’infinie justice, de l’infinie miséricorde et de la souveraine liberté. C’est ce que ces deux grands docteurs ont formulé en disant : Si Dieu accorde la grâce de la persévérance finale à celui-ci, c’est par miséricorde ; et s’il ne l’accorde pas à cet autre, c’est par un juste châtiment de fautes antérieures et d’une dernière résistance au dernier appel.

Pour éviter ici toute déviation, soit dans le sens du prédestinatianisme, du protestantisme et du jansénisme, soit dan.-- celui du pélagianisme et du semipélagianisme, il faut maintenir les deux principes qui s’équilibrent : « Dieu ne commande jamais l’impossible » >t « nul ne serait meilleur qu’un autre s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. » Ces deux principe-, en s’équilibrant, nous permettent de pressentir que

l’infinie justice, l’infinie miséricorde et la souveraine liberté s’unissent parfaitement et même, s’identifient, sans se détruire, dans l’éminence de la Déité, qui nous reste cachée, tant que nous n’avons pas la vision béatifique. Dans ce clair-obscur, la grâce, qui est une participation de la Déité, tranquillise le juste, les inspirations du Saint-Esprit le consolent en confirmant son espérance, en rendant son amour plus pur, plus désintéressé et plus fort, de sorte que dans l’incertitude du salut, il a de plus en plus la certitude de l’cs-I pérance, qui est « une certitude de tendance » vers le salut, dont Dieu est l’auteur. Le motif formel de l’es-I pérance infuse n’est pas en effet notre effort, mais l’infinie miséricorde auxiliatrice, Deus auxilians, qui suscite notre effort et le couronnera. Cf. II » -II", q. xviii, a. 4.

6° Toute-puissance, création, motion divine. — Le principe immédiat des œuvres extérieures de Dieu est sa toute-puissance. L’action qui les produit ne peut être formellement transitive, elle impliquerait nécessairement une imperfection, elle serait un accident, qui émanerait de l’agent divin et serait reçu dans un être créé. Cette action est formellement immanente, elle s’identifie ainsi avec l’être même de Dieu, mais elle est virtuellement transitive, en tant qu’elle produit un effet en dehors de Dieu.

Dieu possède une puissance active infinie, car plus un être est en acte et parfait, plus il peut agir, et le mode d’agir suit le mode d’être. Or, Dieu est Acte pur, l’Être même infini, il a donc une puissance infinie, il peut donner l’être à tout ce qui ne répugne pas à l’existence. Cette toute-puissance n’est pas principe d’une action divine qui serait en Dieu un accident inadmissible, mais elle est principe d’un effet extérieur créé. I a, q. xxv, a. 1.

1. Création.

La toute-puissance nous est manifestée

par la création. Selon la Révélation, Dieu a librement créé de rien le ciel et la terre, non pas de toute éternité, mais dans le temps, à l’origine du temps. Il y a là trois vérités : a) que Dieu a créé l’univers ex nihilo ; b) qu’il l’a créé librement ; c) qu’il l’a créé non ab œterno. Les deux premières vérités sont démontrables par la seule raison, elles appartiennent aux préambules de la foi. La troisième, selon saint Thomas, est indémontrable, c’est un article de foi, cf. I &, q. xlvi, a. 2. Examinons-les brièvement l’une après l’autre.

a) Dieu a créé l’univers ex nihilo ou ex nullo præsupposilo subjecto, veluti causa materiali, c’est-à-dire que tout l’être des choses créées a été produit par Dieu ; avant cette production rien de leur être n’existait, pas même la matière si informe qu’on la puisse supposer. C’est une production de tout l’être ex nihilo sui et subjecti. Cette production a une cause efficiente, une cause finale, une cause exemplaire (l’idée divine), mais elle n’a pas de cause matérielle.

Saint Thomas, ibid., a. 1, 2, 5, montre qu’il y a une distance infinie entre créer de rien, ou créer au sens propre, et produire même génialement quelque chose de nouveau. Le statuaire fait la statue, non pas de rien, mais avec une certaine matière, marbre ou argile ; si fort soit-il, il a besoin d’une matière ; de même l’architecte ; de même le père n’engendre pas son fils de rien ; quelque chose de la substance du fils préexistait, la matière, le germe qui s’est développé. Le penseur qui édifie un système ne le crée pas de rien, il part de certains faits et de certains principes qui éclairent les faits. Notre volonté, qui émet un acte libre, ne le crée pas de rien ; cet acte n’est qu’une modification accidentelle d’elle-même, il suppose une puissance réelle dont il est l’acte. Le maître qui forme un disciple ne fait que façonner son intelligence, il ne la crée pas. Nul agent fini ne peut créer au sens propre