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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/450

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THOMISME. CRÉATION, MOTION DIVINE


du mot, mais seulement transformer ce qui existe déjà. Saint Thomas enseigne, ibid., a. 5, que même par miracle la puissance créatrice ne peut être communiquée à aucune créature. Cela dérive pour lui de la distinction de Dieu et du monde : in solo Deo essentiel et esse sunt idem ; Dieu seul, qui est l’Être par essence, pur être, peut produire ex nihilo l’être par participation (composé d’essence et d’existence) ; si pauvre que soit celui-ci, même s’il ne s’agit que d’un grain de poussière, Dieu seul peut le créer de rien, produire tout son être. Suarez, qui a des principes notablement différents sur l’essence et l’existence, est beaucoup moins clair et afnrmatif sur ce point. Disp. Met., XX, sect. 1, 2 et 3.

On voit par là la distance considérable qu’il y a sur cette question entre Aristote et saint Thomas. Platon et Aristote ne se sont pas élevés à la notion explicite de création ex nihilo même ab œlerno ; cf. S. Thomas, I », q. xliv, a. 2. Ils ont vaguement conçu la dépendance du monde à l’égard de Dieu, sans pouvoir préciser le mode de cette dépendance ; ils n’ont pas vu non plus que l’acte créateur est libre, souverainement libre ; chez eux le monde paraît être le rayonnement nécessaire de Dieu, comme les rayons solaires procèdent du soleil. Cette double vérité de la création libre et ex nihilo, qui vient de la Révélation, mais qui pourtant est accessible à la raison, est capitale dans la philosophie chrétienne et constitue un immense progrès par rapport à Aristote.

Mais saint Thomas, I », q. xlv, a. 5, explique que Dieu seul peut créer quelque chose de rien, par un principe qui a été formulé par Aristote, Met., 1. V (IV), c. ii : « L’effet le plus universel relève de la cause la plus universelle ». Puis il ajoute : Or, l’être en tant qu’être est l’effet le plus universel. Et donc la production de l’être en tant qu’être ou de tout l’être d’une chose (si petite qu’elle soit) ne peut s’attribuer qu’à la cause la plus universelle, qui est la cause suprême. Comme le feu chauffe, comme seule la lumière éclaire, ainsi l’Etre même et lui seul peut produire l’être, tout l’être d’une chos si minime qu’elle soit. L’objet adéquat de la toute-puissance est l’être et nulle puissance créée ne peut avoir un objet aussi universel.

On comprend beaucoup mieux dès lors que par les textes d’Aristote (Met., 1. I) que la métaphysique, qui est la connaissance des choses par leur cause suprême, soit la science de l’être en tant qu’être ; Aristote l’avait dit sans en donner explicitement la raison : car l’être comme être de chaque chose finie est l’effet propre de la cause mprême.

Cet immense progrès accompli à la lumière de la Révélation est néanmoins le fruit d’une démonstration philosophique, par laquelle la doctrine traditionnelle de la puissance et de l’acte, qui était dans l’adolescence chez Aristote, arrive à l’âge adulte. La Révélation a seulement facilité cette démonstration philosophique en montrant le terme à atteindre, elle n’a pas fourni le principe de la preuve. Dans le milieu chréla doctrine de la puissance et de l’acte peut produire rie nouveaux fruits, qui dérivent bien de ses priiK ipes, quoique Aristote lui-même ne les ait pas vus.

Saint Thomas ajoute une confirmât ion, Ibid., a. 5, ad ! " m. « l’Ius la matière à transformer est pauvre, en d’autres termes, plu. la puissance passive est imparfaite, plus la puissance active doit être grands. Et donc lorsque la puissance passive n’est plus lien, la puis sauce active doit être infinie ; aucune créature ne peut donc créer. « Cf. la 24’proposition des xxiv thèses thomistes.

b) La liberté dr l’acte créateur n’est pas moins importante fpie l’affirmation rte la création rr nihilo. Nous en avons déjà donné la raison en parlant de la volonté divine : Dieu n’a nul besoin des créatures pool lOI

séder son infinie bonté et en jouir, et celle-ci ne peut s’accroître par la production d’un bien fini. L’acte libre créateur, lui-même, n’ajoute pas à la perfection infinie de Dieu une perfection nouvelle. « Dieu n’est pas plus grand pour avoir créé l’univers », comme l’a dit Bossuet : Élévations sur les mystères, iiie semaine, Ie élev., contre Leibniz, Théod., § vin. H n’était pas moins parfait avant la création du monde, et il n’eût pas été moin., parfait, si de toute éternité il n’avait pas voulu créer. Il y aurait toujours eu, nous dit la Révélation, la fécondité infinie de la nature divine par la génération du Verbe et la spiration du Saint-Esprit ; la bonté divine est communicative d’elle-même ad inlra nécessairement, avant de l’être librement ad extra.

Saint Thomas a beaucoup insisté sur la liberté de l’acte créateur contre les averroïstes, dans le Cont. Gent.. t. II, c. xxii : Quod Deus omnia possil ; c. xxiii : Quod Deus non agat ex necessitate naturse ; c. xxiv : Quod Deus agit per suam sapientiam ; c. xxvi-xxix : Quod divinus intellectus non coarctatur ad determinatos effectus, nec divina volunlas ; c. xxx : Qualiter in rébus creatis possit esse nécessitas absoluta ; et t. III, c. xcvm et xcix : Quod Deus operari potest præte.r ordinem naturse. Cf. De potentia, q. vi ; Summa theol., I*, q. cv, a. 6.

Les raisons exposées dans ces articles valent également contre le déterminisme pantheistique.de Spinoza, contre celui de nombreux philosophes modernes, et même contre le déterminisme de la nécessité morale de Leibniz et son optimisme absolu selon lequel « la suprême sagesse devait créer et n’a pu manquer de choisir le meilleur des mondes possibles ». Théodicée, § vin.

Saint Thomas avait dit, I », q. xxv, a. 5 : « Le plan réalisé de fait par la sagesse infinie ne lui est pas adéquat ; il n’épuise pas son idéal, ni ses inventions. Le sage ordonne toutes choses en vue d’une fin, et quand la fin est proportionnée aux moyens, ceux-ci sont par là même déterminés et s’imposent. Mais la bonté divine, qui est la fin universelle, dépasse infiniment toutes les choses créées (et créables) et n’a avec elles aucune proportion. La sagesse divine n’est donc pas bornée à l’ordre actuel des choses, elle peut en concevoir un autre. » Leibniz a trop considéré ce problème comme un problème mathématique. Dum Deus calculai, fil mundus, a-t-il dit ; il a oublié que, si dans un problème de mathématique les divers éléments ont entre eux une proportion déterminée, il n’en est pas de même des biens finis par rapport à l’infinie bonté qu’ils manifestent.

A l’objection : Dieu, en sa sagesse, n’a pu manquer d3 choisir le meilleur, saint Thomas avait déjà répondu I », q. xxv, a. 6, ad l um : « La proposition Dieu peut faire mieux qu’il ne fait peut s’entendre de deux façons. Si le terme « mieux » est pris substantivement, dans le sens d’objet meilleur, la proposition est vraie, car Dieu peut rendre meilleures les choses qui existent et faire de meilleures choses que celles qu’il a faites, qualibet rc a se facta potest fucere aliam meliorcm. Mais si le mot « mieux » est pris adverbialement et signifie : d’une manière plus parfaite, alors on ne peut dire que Dieu peut faire mieux qu’il ne fait, car il ne saurait agir avec plus de sagesse et plus de bonté. » Le monde actuel est un chef-d’œuvre, mais un autre chef -ri’œu| vre est possible. Ainsi l’organisme de la plante, étant donnée la fin qu’il doit réaliser, ne saurait èlre mieux disposé, mais l’organisme animal, ordonne à une tin supérieure, est plus parfait. TelU symphonie de Bw thoven est un chef d’n u i e. mais cll< n’a pas épuisé

son génie,

Ainsi snnt résolues les difficultés M 11’P*i aisseni avoir arrêté Aristote dans l’affirmation de la liberté divine et d l’exist enec de la pro kden