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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/460

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THOMISME. LE TRAITÉ DES ANGES


per sur ce qui appartient et ce qui n’appartient pas à la nature des choses.

Volonté des anges.

Saint Thomas considère

surtout la volonté des anges du côté de l’objet qui la spécifie ; Scot regarde plutôt son activité subjective ; celle-ci demande pourtant un objet vers lequel elle se porte.

Par suite saint Thomas admet qu’il y a dans la volonté des anges certains actes nécessaires è raison de leur objet saisi par l’intelligence comme un bien pariait, ou non mélangé d’imperfection, tel le désir naturel du bonheur. Saint Thomas tient aussi que l’élection libre est toujours conforme au dernier jugement pratique, qui la dirige, mais c’est elle qui, en acceptant cette direction, fait que ce jugement libre soit le dernier. Scot admet au contraire que la liberté est essentielle à tous les actes de volonté, et que l’élection libre n’est pas toujours conforme au dernier jugement pratique ; Suarez le suit sur ce point. À cela les thomistes répondent par le principe : nihil volitum nisi prœcognitum ut conveniens, et nihil preevoliium nisi prœcognitum ut convenientius hic et nunc ; en d’autres termes, il n’y a pas de vouloir, si libre soit-il, sans une direction intellectuelle, autrement la liberté se confondrait avec le hasard, ou avec une impulsion nécessaire et irréfléchie.

De là dérivent les principales divergences entre ces doctrines.

Pour saint Thomas, l’ange aime par dilection naturelle, non libre, ou nécessaire du moins quoad specificationem, non seulement le bonheur, mais lui-même et Dieu auteur de sa nature, car il ne peut trouver en ces objets rien qui provoque l’aversion. Q. lx, a. 5. Par suite, il est plus probable que l’ange ne peut pas pécher directement et immédiatement contre sa loi naturelle, qu’il voit intuitivement telle qu’elle est inscrite en sa propre essence. Q. lxiii, a. 1, ad 3 om ; Dc malo, q. xvi, a. 3. Cependant le démon, en péchant directement contre la loi surnaturelle, a péché indirectement contre la loi naturelle, qui fait un devoir d’obéir à Dieu en tout ce qu’il ordonne.

Saint Thomas tient aussi que, si l’ange pèche, son péché est toujours mortel, car, par sa connaissance purement intuitiv., il voit les moyens dans les fins, et il ne peut y avoir en lui un désordre véniel sur les moyens, sans qu’il y ait un désordre mortel par rapport à la fin ultime.

De plus pour saint Thomas, tout péché mortel de l’ange est irrévocable et par suite irrémissible. En d’autres termes, l’ange veut irrévocablement ce qu’il a choisi avec pleine advertanec, c’est-à-dire après la considération, non pas abstraite, discursive et successive comme la nôtre, mais intuitive et simultanée >ut ce qui concerne la chose à choisir. Ainsi le Docteur angélique explique l’obstination du démon, car il a tout considéré avant son élection et il ne peut changer celle-ci par une considération nouvelle. Si on lui disait : tu n’avais pas pensé à ceci *, il pourrait répondre : je l’avais considéré. Il n’a exclu que la considération de l’obéissance et il l’exclut toujours par le même orgueil dans lequel il persévère. De même l’ange bon a une élection bonne irrévocable, qui participe à l’Immutabilité de l’élection divine. Cf. I’, q. Util ; a. 4 et 5 ; q. lxiii, a. 5, 6 ; q. lxiv, a. 2. Aussi, dernier article, saint Thomas dit-il en l’approuvant : ConittéVll diri qtiod libenim arbitrium angeli est flexibitr ad utrumque opposition ante etectionrm. snl non pont. ].< choix de l’ange, une fois posé, reste Immuable à la manière du choix de Dieu.

Scot par opposition n’admet dnns la volonté angélique aucun acte nécessaire, pas même celui de l’amour naturel de la vie et do Dieu auteur de la vie naturelle. De même pour lui la volonté peut pécher sans qu’il y

ait erreur ou inconsidération dans l’intelligence, car le choix libre n’est pas toujours conforme, selon lui, au dernier jugement pratique. Il admet aussi que le premier péché mortel du démon n’est pas par lui-même irrévocable et irrémissible ; il tient que les démons ont commis plusieurs péchés mortels avant leur obstination, et qu’après chacun ils pouvaient se convertir. Aussi leur obstination, selon lui, ne s’explique qu’extrinsèquement, parce que Dieu de fait a décidé qu’après un certain nombre de péchés mortels, il ne leur donnerait plus la grâce de la conversion. Suarez suit Scot sur ces questions, parce qu’il tient comme lui que l’élection libre n’est pas toujours conforme au dernier jugement pratique. Mais il n’explique pas comment elle peut se produire sans direction intellectuelle ; les thomistes lui objectent : nihil prævolitum nisi præcognitum. ut hic et nunc convenientius.

On voit par là que saint Thomas et son école affirment beaucoup plus que Scot et Suarez la distinction spécifique de l’intelligence angélique et de l’intelligence humaine à raison de leur objet propre respectif. Le principe qui, pour le thomisme, domine tous ces problèmes, est celui-ci : les facultés, les habitus et les actes sont spécifiés par leur objet formel, principe qui revient constamment dans les articles de la Somme théologique.

Ainsi saint Thomas a écrit d’une façon très élevée un traité de l’esprit pur créé, de sa connaissance purement intuitive, nullement abstraite ni discursive. De plus, pour ce qui est de la volonté, il reste toujours fidèle au principe : nihil volitum nisi præcognitum ut conveniens : c’est à cause de cela qu’il soutient que l’élection libre est toujours conforme au dernier jugement pratique, mais, en l’acceptant, elle fait que celui-ci soit le dernier. Ce traité ainsi construit paraît être au point de vue spéculatif, un chef-d’œuvre ; il montre l’intellectualité supérieure du Docteur angélique, et constitue un grand progrès par rapport au traité des anges qui se trouve au IIe livre des Sentences de Pierre Lombard et aux commentaires sur cet ouvrage. Aux yeux des thomistes, Scot et Suarez n’ont pas saisi ce qu’est la vie intellectuelle et volontaire de l’esprit pur ; en lui attribuant le raisonnement au-dessous de l’intuition, ils ont méconnu son élévation et Us l’ont trop rapproché de l’intellect humain.

5° État originel des anges ; mérite et démérite. — Saint Thomas, qui est suivi en cela par Scot et Suarez. admet que tous les anges ont été élevés à l’état de grâce avant le moment de leur épreuve, car sans la grâce habituelle ils ne pouvaient mériter la béatitude surnaturelle. De plus ces trois docteurs s’accordent à dire qu’il esc plus probable que tous les anges ont reçu la grâce habituelle à l’instant même de leur création, comm « > le dit saint Augustin, De civ. Dci, I. XII, c. ix : Bonam voluntatem quis (ecit in angelis nisi ille qui eos… creavit, simul in eis condens naturam et largiens gratiam. Cf. I », q. lxii, a. 3. En cet instant de leur créalion les principaux mystères surnaturels leur ont été révélés dans l’obscurité de la foi. Q. lxiv, a. 1, ad 4° æ. Enfin ces trois docteurs s’accordent aussi à dire qu’après l’épreuve les anges bons furent immuablement confirmés en grâce et obtinrent la vision béatiflque, tandis que les mauvais s’obstinèrent dans le mal. Mais il y a de notables différences entre saint Thomas. Scot et Suarez sur trois problèmes avant l’épreuve des anges et au moment de celle-ci. — 1. Srunt Thomas t ient que, dès l’instant de leur création, les anges ont reçu toute leur perfection naturelle d’esprit pur et leur béatitude naturelle, parce que leur connaissance ne passe pas lentement, comme la nôtre, de la puissante à l’acte ; elli est nattiraliter indita, elle est comme une suite immédiate de leur nature, comme innée, infuse dès le premier instant. Dès cet instant, ils ont l’intni-